France: Le projet Macron de réforme des retraites en 10 questions-réponses

L’histoire de notre système de retraites par répartition, celle de sa casse, des « réformes » successives et des discours qui les accompagnent, est essentielle pour comprendre le projet Macron, dernier avatar d’une série ininterrompue d’attaques depuis 1991 par les gouvernements de droite comme de gauche. La Commune vous propose son dossier en 10 questions-réponses.

1/ Qu’est-ce que le système actuel de retraites par répartition ?

Il fait partie du système de Sécurité sociale instauré en 1945, fruit de la conquête des travailleurs/euses dans la vague des grèves insurrectionnelles de l’immédiat après-guerre. Il réside sur deux principes :

  • ne pas percevoir tout de suite une partie de son salaire. On parle de salaire différé : le salaire net est versé chaque fin de mois au salarié, une fois la part de salaire différé (les cotisations) versée à la Sécurité sociale. L’ensemble, salaire net et salaire différé, forme le salaire brut. Ce salaire brut appartient aux travailleurs/euses : exonérer le patron de cotisation sociale, transformer la cotisation en impôt, c’est voler le travailleur/euse !
  • mettre ce salaire différé dans une caisse commune pour s’assurer mutuellement à chaque moment de la vie (maladie, chômage, retraite, famille) selon le principe de solidarité ouvrière : chacun cotise pour toutes/tous et toutes/tous pour chacun.e. Chacun.e cotise selon son salaire et reçoit selon ses besoins : ainsi les prestations de soins ou de retraites ne correspondent pas à la cotisation individuelle de chacun.e (à la différence des fonds de pension ou à la retraite à points).

2/ Avant 1945, comment ça marchait ?

Avant 1945, ceux qui peuvent se le permettre mettent de l’argent de côté auprès d’organismes financiers privés : c’est donc un système essentiellement basé sur la capitalisation. Seul.e.s les salarié.e.s de certains secteurs disposent de régimes spécifiques de retraite depuis le XIXème siècle (1858 pour les gaziers de la Compagnie parisienne du gaz ; 1860 pour les cheminots de certaines compagnies ; 1890 pour tous les cheminots ; 1894 pour les mineurs). Ce sont les luttes sociales et le rapport de forces qui ont imposé leur mise en place pour répondre à des salaires de misère et à une grande pénibilité.

Majoritairement, à la suite de la crise économique des années trente, les retraité.e.s vivent dans la misère et le dénuement s’ils/elles ne peuvent plus travailler ou être hébergé.e. et nourri.e.s par leurs familles.

3/ Quelles ont été les précédentes attaques contre le système actuel de retraites par répartition ?

Sous couvert de préserver le régime par répartition, d’assurer sa pérennité et sa viabilité financière, l’État allié au patronat a mené des opérations de casse. Depuis 1991, le but des différentes réformes a toujours été le même : baisser le montant des pensions par répartition et développer les retraites par capitalisation !

Depuis trente ans, l’État n’a cessé de s’immiscer dans la gestion des recettes (cotisations) et des dépenses (prestations sociales) du budget de la Sécurité sociale, supérieur au sien 1 , pour le contrôler, en disposer et l’asphyxier.

  • La première attaque date de 1991 :Rocard instaure la contribution sociale généralisée (CSG), prélèvement obligatoire pour participer au financement de la Sécurité sociale, et, depuis 2018, à celui de l’assurance chômage, à la place des cotisations salariales. Le taux de la CSG est passé de 1,1% des revenus d’activité en 1991 à 9,2% en 2019 !
  • En juillet 1993, c’est la loi Balladur-Veil qui impose aux travailleurs/euses du secteur privé 40 annuités (au lieu de 37,5) et le calcul sur les 25 meilleures années (au lieu des 10 meilleures années). Les pensions, désindexées de l’évolution des salaires, sont désormais alignées sur l’inflation.
  • En 1995, le plan Juppé s’attaque aux régimes spéciaux et fait face aux grèves de novembre-décembre 1995 qui le mettent en échec.
  • Néanmoins, dans la continuité de la casse de la Sécurité sociale introduite par la CSG de Rocard, le gouvernement Juppé instaure en février 1996 le principe des lois de financement de la Sécurité sociale et modifie la Constitution pour se faire : « Les lois de financement de la sécurité sociale déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique » 2 .En 1996 aussi, les accords ARRCO-ARGIC (retraite complémentaire), signés notamment par Force Ouvrière, font baisser le montant des pensions du secteur privé.
  • La Gauche plurielle (PS-PCF-Les Verts-PRG) prend la suite avec plusieurs mesures qui dénaturent le système par répartition : en1999, création duFonds de Réserve pour les Retraites et en 2001, loi Fabius sur l’épargne salariale
  • En 2003, la loi Fillon aligne les salariés du public sur les 40 annuités du privé et prévoit pour toutes et tous (sauf les régimes spéciaux) une augmentation progressive de la durée de cotisation à 41,5 ans.
  • La réforme Sarkozy de 2007 aligne les salarié.e.s des régimes spéciaux (agents de la SNCF, de la RATP et des industries électriques et gazières) sur les 40 annuités.
  • En 2010, la réforme Woerth prend toute une série de mesures dont les plus emblématiques sont le relèvement de l’âge légal de la retraite (de 60 à 62 ans) et relèvement de l’âge de départ sans décote (de 65 à 67 ans).
  • Le PS reprend la main en 2013 avec la réforme Hollande-Touraine qui instaure le passage aux 43 annuités pour 2035.

4/ Le système actuel n’est-il pas inégalitaire ? Le système universel n’est-il pas une bonne idée plutôt que 42 régimes différents ?

Jusqu’en 1929 et les premières lois sur les retraites, les premiers régimes dits spéciaux (créés au XIXème siècle), sont considérés comme une référence : l’alignement se fait par le haut. Quand il y a uniformisation (en 1919 pour les retraites des postes, des tabacs et allumettes et des monnaies, en 1922, pour les cheminots), elle se fait sur le modèle des régimes les plus favorables, les plus avantageux.

Ce n’est qu’à partir de 1991 que les différents gouvernements commencent à parler d’inégalité, de privilégiés (régimes spéciaux, fonctionnaires) afin de niveler par le bas les différents régimes et réduire progressivement le montant des pensions de toutes et tous.

5/ Quel est donc le but du gouvernement avec cette réforme ?

Toujours le même ! Réduire le montant des pensions des retraité.e.s gérées par le système par répartition et développer les retraites par capitalisation.

Depuis trente ans, le Medef et le gouvernement veulent remettre la main sur cette partie des salaires qui échappent à leur contrôle et n’ont cessé de mettre en œuvre des mesures d’exonération de cotisations sociales, appelées «charges sociales ».

Les gouvernements successifs, depuis Rocard, ont instauré le remplacement progressif des cotisations sociales par l’impôt afin de faire disparaître la réalité du salaire différé et mettre la Sécurité sociale sous tutelle de l’État. Le résultat est sans appel : en 2018, les cotisations ne représentent plus que 54,2% des recettes de la Sécurité sociale (contre 77% en 1959).

Réduire les recettes et donc en conséquence les dépenses : c’est ainsi que la réforme Macron prévoit de plafonner les dépenses concernant les retraites à 14% du PIB. Pour cela, tous les moyens sont bons : âge pivot, calcul du montant des pensions sur les salaires de toute la carrière, fin des régimes spéciaux …

6/ Quelles conséquences aura cette réforme pour les salariés ?

Une baisse généralisée du montant des pensions pour toutes et tous. Syndicats et collectifs de citoyens ont réalisé des simulations permettant d’y voir assez clair :

– un.e employé.e du secteur privé, né.e en 1961, perçoit avec le système actuel une pension équivalente à 73 % de son dernier salaire ; un.e employé.e du secteur privé, né.e en 1990, ne percevra plus avec le système à points de Macron que 56 % de son dernier salaire 3 ;

– pour un.e adjoint.e administratif/ive ou technique (catégorie C) de la Fonction publique de l’État, entre le système actuel et le système à points de Macron, la perte mensuelle oscille entre 280 et 336 euros ; pour un.e secrétaire administratif/ive ou technicien.ne (catégorie B), entre 232 et 352 euros ; pour un.e enseignant.e certifié.e, entre 426 et 626 euros ; pour un.e. attaché.e d’administration à taux de prime moyen (catégorie A), entre 454 et 538 euros 4 .

Ces pertes, calculées avant l’annonce de l’âge pivot à 64 ans, doivent être réévaluées à la hausse !

7/ Oui mais la réforme n’est-elle pas nécessaire en raison du problème de financement ?

C’est en effet l’argument récurrent des différents gouvernements depuis trente ans : il y aurait trop de retraité.e.s par rapport aux actifs … Le Conseil d’Orientation des Retraites (COR) estime ainsi qu’en 2025, le système sera en déficit, d’une somme allant de 8 à 17 milliards.

Ce déficit est une construction, le fruit de choix conscients des gouvernements successifs et de leurs « réformes » Les dépenses (340 milliards de pensions de retraite versées environ chaque année) sont assez stables. Par contre, les recettes s’amenuisent, eu égard aux mesures d’austérité décidées ou aux cadeaux fiscaux faits aux employeurs par l’État.

C’est ainsi que la réduction du nombre de fonctionnaires (donc du montant de cotisations versées par l’État et les collectivités) et la politique d’exonération des cotisations sociales creusent le déficit.

De même la réforme Macron, loin de rétablir l’équilibre, va faire exploser le déficit : pour ne donner qu’un exemple, l’abaissement du plafond des revenus soumis à cotisation (passant de 27 000 à 10 000 euros mensuels) va considérablement affaiblir le financement du système par répartition : ce seront annuellement près de 4,8 milliards d’euros de cotisations en moins, alors même qu’il faudra pendant plusieurs décennies continuer à verser des pensions calculées sur de très hauts revenus 5 !

8/ Oui mais avec l’allongement de la durée de la vie, ne faut-il pas travailler plus longtemps ?

Cet argument de soi-disant bon sens, comme celui du déficit, utilisé par les différents gouvernements depuis trente ans, se heurte à la réalité économique subie et vécue par 50% des salariés de plus de 60 ans, broyés par les licenciements et/ou la maladie : reculer l’âge de départ à la retraite ce n’est pas permettre aux salarié.e.s de travailler plus longtemps mais les obliger à attendre plus longtemps au chômage, en maladie ou au RSA avant de pouvoir toucher leur pension 6 . Et encore, ce pourcentage de 50 % correspond à une moyenne car si, à 35 ans, un cadre peut espérer 34 ans de vie en bonne santé, cela tombe à 24 ans pour un ouvrier…

9/ Ne faudrait-il pas taxer les revenus financiers pour payer les retraites ?

Cela fait partie des fausses-bonnes idées mises en avant par la CGT et les partis dits de gauche. Cela revient à introduire le loup dans la bergerie, à savoir les institutions financières, boursières et bancaires dans le financement de la Sécurité sociale.

Redisons-le : notre système est basé sur la solidarité ouvrière, indépendante du patronat ; nos retraites doivent continuer d’être financées par les seules cotisations résultant des salaires.

Pour perpétuer le système actuel et le financer, des solutions simples peuvent et doivent être mises en œuvre. Augmenter les salaires, c’est augmenter les recettes pour les retraites ; interdire les licenciements, c’est des chômeurs en moins et des milliards d’euros en plus pour les retraites …

10/ Qu’en disent les organisations syndicales et patronales ?

Les organisations patronales sont majoritairement pour le projet du gouvernement et ont compris que, pour elles, ce serait moins de salaire différé à verser.

Les organisations syndicales ont toutes, sans exception, accepté pendant vingt mois de dialoguer avec le gouvernement. Seules la radicalité et l’absence de compromis de la base, des salarié.e.s, les a obligées à changer leur position : la décision des syndicats RATP de proposer aux salariés de se mettre en grève illimitée le 5 décembre 2019 jusqu’au retrait, la réussite de cet appel qui a essaimé au-delà des simples rangs de la RATP et de la SNCF, ont imposé aux dirigeants de la CGT et de FO de se mettre au diapason et d’exiger, sous peine de rejet de leur autorité, le retrait de la réforme.

Ces dirigeants ont été obligés de mettre sous le boisseau leurs sempiternelles demandes de négociation pour une « autre réforme » ou une « bonne réforme ». Les obstacles qu’ils ont tenté de mettre dans les pieds des salarié.e.s sont tombés en poussière : le traître appel de la CGT au soir du 18 décembre 2019 à une journée de manifestation le 9 janvier 2020 n’a pas entamé le moral et la détermination des salarié.e.s qui l’ont enjambé …

Isabelle Foucher,
31 décembre 2019

NOTRE POSITION : NI LOI NI RÉFORME !

TOUTES ET TOUS EN GRÈVE POUR :

  • le retrait du projet Macron
  • la restauration de la Sécurité sociale sur ses bases fondatrices de 1945 : abrogation des ordonnances de 1987, des lois Balladur, Fillon, Sarkozy et Hollande
  • la récupération et l’arrêt de toutes les exonérations de cotisations sociales
  • le retour au droit au départ à la retraite à 60 ans
  • le retour aux 37,5 annuités de cotisation pour une retraite à taux plein privé-public
  • le retour au calcul de la retraite du privé sur les 10 meilleures années
  • la réindexation des pensions sur les salaires des actifs
  • le maintien du Code des pensions civiles et militaires et de tous les régimes spéciaux, harmonisation vers le haut de tous les régimes de prévoyance et de retraite
  • aucune pension inférieure au SMIC, le SMIC à 1 800 euros nets
  • l’augmentation de 400 euros des salaires et minima sociaux ; égalité salariale femmes-hommes
  • une loi interdisant les licenciements

1. «470 milliards d’euros de prestations sont versées chaque année par la Sécurité sociale, soit plus que le budget de l’État – 350 milliards d’euros. Cela équivaut à 25 % de la richesse nationale – le PIB s’élève à environ 2 000 milliards d’euros. »

https://www.securite-sociale.fr/la-secu-cest-quoi/chiffres-cles

2. Article 34 de la Constitution.

3. Estimations du collectif Nos retraites, cité dans « Réforme des retraites: les vrais chiffres » par Dan Israel, Mediapart, 5 septembre 2019.

4. Note UFSE sur les simulations de la réforme Macron comparées au régime actuel des fonctionnaires dans le rapport Delevoye, 9 septembre 2019.

https://ufsecgt.fr/IMG/pdf/note_ufse_simulations_fp_rapport_delevoye_sept19.pdf

5. « Réforme des retraites : le révélateur des hauts salaires », par Dan Israel, Mediapart, 30 décembre 2019.

6. « Retraites: non, tous les seniors ne peuvent pas travailler plus longtemps », par Dan Israel, Mediapart, 24 septembre 2019.