Pénurie de carburants, longues queues d’attente et incidents dans les stations-service, menaces de Macron aux raffineurs en lutte, le chaudron social en France est mis sous pression. Au conflit s’ajoutent, entre autres protestations, une mobilisation ce dimanche 16 octobre contre la vie chère et une marche nationale avec une grève des cheminots le mardi 18 octobre, toutes deux à Paris. C’est la lutte des classes, comme on dit…
Pablo Vasco
Le climat de grève se répand dans tout le pays comme une marée noire. Plusieurs milliers de travailleurs des raffineries d’Exxon Mobil (Esso) et de TotalEnergies sont en grève depuis plus de trois semaines pour les uns et depuis deux semaines pour les autres. Le président Emmanuel Macron les a accusés de perturber l’approvisionnement et de « prendre en otage » la population, tandis que son premier ministre Élisabeth Borne a lancé une attaque directe contre le droit constitutionnel de grève mardi 11 : la procédure de réquisition pour les obliger à assurer un service minimum et ainsi débloquer les dépôts Exxon de Fos-sur-Mer et de Notre-Dame-de-Gravenchon.
Le gouvernement envoie des avis aux travailleurs d’autres raffineries. En cas de refus, ils risquent un emprisonnement de six mois et une amende de 10 000 euros. A l’heure où nous mettons sous presse, à Fos-sur-Mer, un déblocage partiel a été convenu, mais le dépôt de Notre-Dame-de-Gravenchon est toujours bloqué. D’ailleurs, si le conflit s’intensifie, le gouvernement envisage de recourir à la répression policière.
Face à la demande des travailleurs, qui ne réclament pas une prime unique mais une augmentation de salaire de 10 % car l’inflation annuelle avoisine ce chiffre, la direction de la multinationale Total a signé un accord actant une augmentation de 7 % avec les syndicats non grévistes CFDT et CFE-CGC, mais la CGT tient bon sur l’objectif des 10 % et la grève se poursuit. Total a réalisé un bénéfice net de 13,6 milliards d’euros l’année dernière, plus de 10 milliards au premier semestre de cette année « grâce » à la guerre en Ukraine et s’apprête à verser 2,6 milliards à ses actionnaires. L’année dernière, Patrick Pouyanné, son président-directeur général (PDG), a augmenté son propre salaire de 52 %. L’indignation suscitée par un tel privilège est telle que le député Patrick Vignal (Renaissance, macronie) l’a accusé de « prendre la classe politique pour des imbéciles »et que le député Hadrien Clouet (Nupes, réformiste) a déclaré qu’ « il est la seule personne dans le pays qui devrait être réquisitionné ».
Les menaces du gouvernement n’ont pas réussi à intimider les grévistes, mais ont suscité des signes de solidarité de la part d’autres secteurs syndicaux. De nombreux syndicats ont annoncé qu’ils se mettront en grève si des sanctions sont appliquées, comme la Fédération CGT des Mines et de l’Énergie et son homologue de la Chimie. Et les employés des stations-service d’Argedis, filiale du groupe Total, ont rejoint la grève le mardi 11.
De même, ce dimanche 16, la LFI-Nupes dirigée par Mélenchon appelle à une manifestation « contre la vie chère et l’inaction climatique », dont les revendications sont : la hausse des salaires et des minima sociaux, la taxation immédiate des superprofits, contre le report de l’âge de départ à la retraite, une allocation d’autonomie pour les jeunes, le blocage des prix de l’énergie et des investissements massifs dans la bifurcation écologique. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un programme anticapitaliste de fond, ce sont des revendications d’urgence justes. Le problème est que la Nupes se concentre sur l’action électorale et parlementaire au lieu de promouvoir un véritable plan de bataille avec les syndicats et les mouvements sociaux de lutte. Par exemple, par rapport à la taxe sur les superprofits, ils proposent de demander un référendum, dont l’approbation au parlement, le règlement et la convocation ultérieure pourraient prendre presque deux ans… jusqu’aux prochaines élections.
Dans le même temps, dans le secteur de l’énergie nucléaire -qui fournit en France près de 70 % de l’électricité-, des grèves partielles sont également engagées à Gravelines, la principale centrale du pays, et sur d’autres sites. Organisées par endroits par des assemblées générales dans les transports en région parisienne, ainsi que dans d’autres villes, la grève du mardi 18 pour une hausse des salaires et contre les réquisitions des raffineurs pourrait engager une dynamique modifiant la situation sociale et le rapport des forces. Le même jour, il y aura une grève et une manifestation vers le ministère de l’Éducation des enseignants des lycées professionnels (techniques), contre la réforme du gouvernement qui vise à les subordonner aux intérêts du marché capitaliste.
La journée nationale de grèves et manifestations du 29 septembre, bien que partielle, a déjà montré la volonté de lutte existant dans le salariat, la jeunesse et les couches populaires. Dans ce cadre de mobilisations sociales croissantes, les principales organisations du mouvement trotskyste sont malheureusement à l’arrière-garde de la situation. Lutte Ouvrière parle d’ « une situation de recul et de montée de l’extrême droite », tandis que le NPA, dans son congrès de décembre, entend expulser ses dernières tendances de gauche et que son porte-parole Philippe Poutou propose qu’il soit l’aile « de combat » de la gauche institutionnelle représentée par la LFI-Nupes. Dans ce cadre-là, nous, depuis la LIS et nos militants en France, soutenons que le regroupement des forces conséquentes de l’extrême gauche dans un même espace politique, sur la base d’un programme socialiste révolutionnaire de rupture avec le capitalisme, est le défi qui reste ouvert.