Dans ce document, nous avons l’intention d’aborder de manière descriptive dans certaines sections, conceptuelle dans d’autres et avec des contributions de sujets que nous considérons intéressants pour le débat dans le militantisme de nos organisations nationales, des éléments pour évaluer le panorama de l’économie capitaliste mondiale dans son ensemble, non pas comme une somme de parties, mais en essayant d’identifier les tendances centrales dominantes. En toute logique, le débat pré-congrès enrichira, corrigera et agrandira ce que nous développons dans cette présentation. Il ne s’agit donc pas d’un document qui englobe tous les pays ni tous les continents, et ce n’est d’ailleurs pas son but : l’objectif est de servir de déclencheur à un débat collectif sur cet aspect particulier de la société capitaliste. En même temps, en tant que socialistes révolutionnaires, notre approche est basée sur l’économie politique, qui est donc traversée par la lutte des classes, l’intervention des directions politiques et syndicales, et enfin, ce facteur fournit le cadre des propositions de ce document, et des autres contributions à ce pré-congrès de la LIS, qui fonctionnent comme un complément dialectique. Après avoir clarifié ce qui précède, nous proposons une approche des axes suivants :
- Analyser l’actualité de l’économie capitaliste globale, en prenant comme point de référence les définitions et les hypothèses discutées et approuvées par le 1er Congrès Mondial de la LIS, sur la base desquelles on pourra établir des coordonnées de pronostique.
- La performance en 2022, qui se termine par un déclin de l’économie mondiale, et des taux de croissance inférieurs aux projections très modérées des propres organisations et centrales intellectuelles de la bourgeoisie impérialiste. L’effet de “rebond” post-pandémie de 2021 a montré son caractère éphémère.
- La guerre en Ukraine agit en amplifiant les tendances précédentes vers un ralentissement dû à une chute des investissements directs et un nouveau bond de la spéculation. La hausse des taux comme moyen de refroidir l’économie prépare le terrain pour une nouvelle récession mondiale en 2023.
- Un maillon faible à suivre comme catalyseur de la crise est le poids des dettes, l’augmentation du coût du crédit en raison de la hausse des taux d’intérêt et le risque d’insolvabilité et de défaut de paiement de la part de plusieurs pays et entreprises. En outre, avec sa dérive d’ajustement social et un bond en avant des inégalités et de la pauvreté structurelle ancrée.
- L’expansion du capital fictif et de la spéculation : les crypto-monnaies comme illusion capitaliste.
- Le consensus dans les prévisions économiques des « chefs » : le langage technique ne parvient pas à masquer l’hypothèse de récession de toutes les organisations internationales et des cabinets de conseil privés.
- Nous expliquons que la spirale n’est pas celle des prix et des salaires : elle est celle des profits et des prix. Encore une fois, vers une explication marxiste de la spirale inflationniste.
- Nous présentons quelques éléments pour aborder les tensions inter-impérialistes et l’économie chinoise : un parallèle historique avec une autre étape de la dispute pour l’hégémonie et quelques éléments du « tableau » actuel du géant asiatique.
- Nous introduisons des débats dans le domaine de l’économie : automatisation, travail à distance, intelligence artificielle et les faux modèles du capitalisme vertueux. Les cas du Japon et des pays nordiques.
- Nous résumons un rapport de l’ONU qui confirme notre thèse sur l’« involution historique » ou le développement des « forces destructrices » du capitalisme à cette époque.
- Notre programme d’urgence et pont de transition.
- Conclusions et résumé.
La crise de 2008 comme un tournant, la pandémie comme un amplificateur de tendance
Lors du 1er Congrès LIS, nous avons discuté de l’état de l’économie mondiale. À cette époque, 2021, notre affirmation la plus forte était que l’économie capitaliste ne s’était jamais remise de la crise de 2008 et que, prise dans son ensemble, la pandémie est arrivée dans les conditions d’une décennie de dépression mondiale, avec une faible reprise dans les épicentres économiques impérialistes comme les États-Unis, la Chine et l’Asie du Sud-Est, mais une stagnation en Europe et dans les économies périphériques. La pandémie de COVID a donc approfondi ces tendances jusqu’à des limites explosives.
Ce que nous avons avancé il y a plus d’un an dans le texte que nous avons contribué au débat pré-congrès était soutenu par une abondante information empirique et avait pour objectif politique central de combattre la thèse selon laquelle le COVID avait été la cause qui avait interrompu un cycle vertueux et expansif du capitalisme.
Nous montrons que jamais, au cours de la période 2009-2019, l’économie mondiale n’a retrouvé son taux de rendement d’avant 2008, et cette réalité a renforcé la tendance à la croissance du capital spéculatif, ne trouvant pas de niches de valorisation suffisantes dans la sphère de la production.
Tous les rapports précédents des agences multilatérales et des consultants privés prévoyaient une période de déclin de l’économie dans la période pré-pandémique. Le FMI et la Banque mondiale ont déclaré que les perspectives étaient incertaines et les indicateurs mauvais. Tout au long de 2019, ces deux institutions de la superstructure impérialiste ont procédé à des ajustements à la baisse pour 2020-2021.
Des sociétés de conseil privées, à commencer par JP Morgan, ont conseillé à leurs clients -banques, entreprises- de s’attendre à un « ralentissement synchronisé inquiétant ». En d’autres termes, ils ont conseillé de se retirer, de ne pas prendre de risques et ont suggéré une orientation d’investissement conservatrice, car la détérioration générale de la situation semblait être « globale » et non localisée dans une région.
Le cercle vicieux de l’économie mondiale se composait d’un faible taux d’investissement productif, produit de la baisse du taux de profit général, et d’un comportement spéculatif dominant du capital, qui préparait les conditions d’une nouvelle récession.
C’est ainsi que le capitalisme mondial est entré dans la pandémie, qui à son tour, bien sûr, avec le confinement de 2020 qui a pratiquement perturbé le commerce mondial et paralysé les chaînes d’approvisionnement, a fini par provoquer la plus forte chute du PIB mondial de toute l’histoire du capitalisme.
Viennent ensuite 2021, avec son effet rebond (que nous analyserons dans un chapitre séparé), et 2022, qui arrive à son terme (que nous passerons également en revue). Mais le point central que nous avons voulu reprendre du débat d’il y a un an lors de notre 1er Congrès est la définition des limites structurelles qui pèsent sur l’économie capitaliste mondiale et qu’aucune conjoncture n’a réussi à inverser depuis presque 15 ans : baisse du taux de profit, faible taux d’investissement productif, expansion spéculative, des contradictions cumulatives qui préparent de nouvelles crises. C’est à partir de ce point de référence que nous commençons à analyser l’économie capitaliste vers la période suivante.
2021-2022 : effet « rebond » et ralentissement
L’année 2022 se termine par un ralentissement de la croissance de près de -25% par rapport à 2021 en termes réels. Toutes les projections indiquaient une croissance de pas moins de 4% au niveau mondial. Mais il a à peine dépassé 2% dans les grandes économies capitalistes et un peu plus, mais toujours en dessous de 3%, dans les économies dites émergentes. Globalement, l’économie mondiale, après la pandémie et avec un 2021 de croissance relatif, a donc clairement ralenti à nouveau. Toutes les prévisions du consensus étaient fausses, l’économie a décliné.
En réalité, 2021 exprime un « rebond » classique des dépenses de consommation accumulées en 2020 par une politique globale des bourgeoisies d’intervention dans l’économie avec des subventions en espèces COVID et d’énormes injections de monnaie de crédit par les banques centrales. Tout cela, qui a été déployé comme une ligne directrice pendant la crise, a agi temporairement comme une sorte de carburant éphémère qui a eu un impact sur les taux de croissance en 2021. Mais, au milieu de l’année 2022, les banques centrales ont commencé à relever les taux d’intérêt, ce qui a entraîné une augmentation spectaculaire des prêts aux consommateurs et aux entreprises. On est passé d’une politique d’expansion et d’émission monétaire à un resserrement et à un ajustement brutaux en réponse à l’inflation mondiale des prix des biens, des intrants et des services.
A ce stade, nous voulons faire une pause pour argumenter les raisons du saut inflationniste en tant que phénomène mondial et l’orientation des banques centrales, qui « refroidissent » l’économie en augmentant le taux d’intérêt pour capter de capital circulant et l’inciter à se retirer du circuit productif (avec les conséquences sociales et politiques d’une telle mesure) afin que la hausse du coût de la vie, essentiellement, ne stimule pas la lutte des classes. C’est l’essentiel du point de vue de la bourgeoisie.
Mais, à l’échelle globale, les usines idéologiques du capital propagent la fausse idéologie selon laquelle ce sont les revendications salariales de la classe ouvrière qui stimulent l’inflation, et même les keynésiens et les monétaristes donnent aussi leur version, ou alors ils mettent en avant la guerre en Ukraine comme une « cause exogène supplémentaire » de l’inflation :
- La lutte distributive, la tension sur les revenus, est l’un des sophismes.
- Une demande excessive (et donc une offre limitée, qui pousse les prix à la hausse), expliquent les disciples de Keynes.
- L’argent très bon marché (et donc le crédit facile encourage la consommation « au-dessus des possibilités réelles », ergo : il faut « resserrer » le crédit, le rendre plus cher), disent les libéraux les plus à droite.
- La guerre en Ukraine, qui modifie les prix « objectivement » et indépendamment de l’intervention consciente des faiseurs de prix monopolistiques.
Ce sont là quelques-unes des étiquettes avec lesquelles on présente l’interprétation politiquement intéressée des causes de l’inflation. Mais l’analyse marxiste révèle d’autres facteurs structurels et présente la situation différemment. Dans le chapitre suivant, nous présentons notre schéma explicatif.
Rien a moitié : les causes endémiques de l’inflation, la guerre ukrainienne comme catalyseur
Le postulat central de l’économie politique bourgeoise est que le modèle de marché tend vers l’équilibre de manière plus ou moins permanente, jusqu’à ce qu’il soit secoué par un choc externe qui le perturbe. Ainsi, les analyses, les explications, les mesures proposées par leurs économistes professionnels du système consistent à ramener la dynamique à l’équilibre en procédant à certains ajustements politiques pertinents. Ils essaient même, dans la mesure du possible, d’anticiper les futurs chocs externes. Dans la conception bourgeoise de l’économie, il n’y a pas de place pour les problèmes inhérents au système de marché lui-même : toutes les perturbations sont exogènes.
Nous présentons ce qui précède comme un cadre pour une thèse répétée ad nauseam par les porte-parole de la bourgeoisie qui dominent les médias de masse, expliquant que « la guerre en Ukraine a été le facteur déterminant qui explique l’interruption d’un cycle de reprise économique et le phénomène inflationniste sans précédent ». Il s’agit d’une demi-vérité, c’est-à-dire, une fois de plus, d’un sophisme idéologique bourgeois.
Comme dans le passé, c’est le COVID qui a été utilisé comme « cause exogène ou externe » pour valider la thèse d’un « cycle vertueux interrompu par un facteur imprévu », et nous avons déjà démontré la fausseté de cette vision, la même chose se produit maintenant avec le « facteur Ukraine ». Par conséquent, nous devons clarifier cette question afin de la placer correctement dans l’analyse et d’en faire ainsi un point de référence solide pour la lutte politique des idées depuis la LIS.
D’une part, la première chose à dire est que la croissance de l’inflation et la « spirale » des prix n’ont pas commencé avec l’invasion russe de l’Ukraine en février 2022. Pour illustrer cette affirmation, il suffit de dire ce qui suit :
- Déjà en 2021, en commençant par les États-Unis, l’Indice des prix à la consommation (IPC) a augmenté de 6,2% par rapport à 2020 et il s’agit en fait de la hausse la plus rapide depuis 1990.
- Dans la zone euro, l’inflation a été enregistrée à environ 4,1%, soit le niveau le plus élevé depuis 13 ans. L’Allemagne se distingue avec une hausse de 4,5%, la plus forte depuis août 1993.
- à son tour, l’inflation au Royaume-Uni était de 4,2% : le plus haut niveau depuis Thatcher.
- Toujours en 2021, la FAO a noté que les prix alimentaires mondiaux étaient « à leur plus haut niveau depuis plus d’une décennie ».
Bien entendu, nous ne mentionnons pas les cas de l’Argentine, du Venezuela et d’autres pays d’Amérique latine. Ou encore les pays d’Asie du Sud, qui connaissent une forte inflation depuis avant la pandémie. Nous avons donné des cas de puissances capitalistes, qui n’ont pas connu de déséquilibres dans ce domaine depuis des décennies. Et tout cela avant l’invasion russe de l’Ukraine.
Ainsi, ce qui s’est passé avec la guerre en Ukraine, c’est qu’elle a amplifié et exacerbé les tendances structurelles antérieures de l’économie capitaliste à la hausse des prix, à l’inflation avec stagnation. En ce sens, logiquement, la guerre et son impact global généralisent un phénomène qui agit sur les revenus de la classe ouvrière et du mouvement de masse, et qui est à la base de l’incitation au processus de luttes des classes, de l’entrée en scène du mouvement ouvrier organisé avec des grèves historiques dans les pays capitalistes centraux et le détonateur des révoltes et des rébellions.
Mais le souligner n’est pas attribuer à la guerre tout le poids causal de l’inflation, car l’important pour l’analyse marxiste est de démasquer les phénomènes profonds sous les apparences de surface afin de donner des réponses systémiques, structurelles et révolutionnaires au niveau programmatique.
Il convient même de noter un autre élément, fortement présent en Amérique latine et dans les pays qui ont connu une inflation élevée pendant des années, avant la pandémie et la guerre : la crise des régimes politiques, la méfiance bourgeoise à l’égard de la capacité de stabilisation à moyen terme des gouvernements capitalistes instables, qui renforce le comportement parasitaire et spéculatif des formateurs de prix, qui majorent les prix afin d’assurer leur rentabilité préventive à court terme.
Cela dit, nous pourrions résumer les causes profondes de l’inflation qui, combinées à la guerre en Ukraine, déclenchent une spirale globale aux conséquences sociales et politiques considérables :
- La faible productivité des économies les plus faibles est un facteur.
- Les blocages de la chaîne d’approvisionnement mondiale par le COVID en étaient un autre.
- La crise des régimes politiques qui encourage la remarque « préventive » des prix en raison de la méfiance bourgeoise envers leurs gouvernements en place.
- Parallèlement, la crise énergétique, alimentée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie, vient compléter le tableau.
Ni une « demande excessive » comme l’ont soutenu les keynésiens, ni trop d’« argent bon marché » comme l’ont soutenu les monétaristes, ni la « poussée distributive », en parlant de facteurs structurels, ni exclusivement la guerre.
En fait, depuis le COVID, la part des travailleurs dans le revenu et les salaires réels ont fortement baissé alors même que le chômage diminue. C’est le contraire de la théorie keynésienne de l’inflation, par exemple, qui établit une corrélation entre les salaires et le chômage : des salaires plus bas réduisent le chômage, des salaires plus élevés le multiplient. Il s’agit de la dite courbe de Phillips comme « loi de fer des salaires », qui est toujours à la base des fausses interprétations des keynésiens et néo-keynésiens, et que Marx a enterrée au 19e siècle.
Si nous prenons les statistiques rigoureuses de ces trois dernières années, ou le long terme depuis la crise de 2008 jusqu’à aujourd’hui, nous avons que la hausse de l’inflation n’a rien à voir avec un marché du travail surchauffé, mais avec les marges bénéficiaires localisées des grandes entreprises et les goulots d’étranglement dans la chaîne d’approvisionnement, résultant du faible taux d’investissement des capitalistes. Cela signifie que les monopoles et les oligopoles ont augmenté les prix en raison de leur pouvoir de marché et n’ont pas réinvesti dans l’expansion des infrastructures ou l’ajout de main-d’œuvre. Par conséquent, les banques centrales ont beau augmenter les taux d’intérêt pour « refroidir » la lutte des classes, elles risquent davantage de provoquer une stagnation durable des investissements et de la consommation, provoquant ainsi une forte récession.
Une caractérisation adéquate de l’origine réelle et multi-causale de l’inflation est essentielle pour définir une politique. Dans le cas des économistes bourgeois, il s’agit d’analyses qui justifient leurs lignes anti-ouvrières et anti-populaires.
- Par exemple : si la cause est une « demande excessive » de biens et de services, il faut « refroidir » l’économie en augmentant les taux d’intérêt et en encourageant l’épargne bancaire, ou plutôt le business du capital financier.
- S’il s’agit de l’« argent bon marché », selon la loi de l’offre et de la demande et la main invisible du marché qui régit tout, il faut « resserrer » l’offre de crédit, augmenter son prix, retirer de l’argent du marché, « refroidir » également.
- Si les salaires sont le problème, alors ils devraient être gelés en tant que politique.
En bref : avec ces diagnostics, dans tous les cas, l’issue capitaliste consiste à ajuster par revenus la classe ouvrière et les secteurs populaires.
Si, comme nous l’avons expliqué plus haut, les problèmes ont d’autres origines (productivité, COVID, guerre concomitante), le programme qui pourrait servir d’issue a une autre série de mesures :
- Investissements productifs de l’État, plutôt que des investissements spéculatifs aux mains du capital financier.
- Abolir les brevets sur les vaccins et exproprier les laboratoires privés, pour produire, vacciner et immuniser massivement.
- Mettre fin à la guerre, en commençant par le retrait des troupes russes.
En d’autres termes, nos mesures d’urgence, partielles et basées sur la mobilisation, auraient une orientation clairement anticapitaliste et transitoire.
La preuve corroborante que les théories bourgeoises de l’inflation sont fausses est que les banques centrales ont été impuissantes à stopper l’inflation, sauf en détruisant des revenus, en augmentant le coût de la dette et en intensifiant ainsi la probabilité d’un effondrement total des principales économies en 2023. La gestion de la crise dans les mains des mêmes qui l’ont générée, les capitalistes, conduit au précipice.
Le cocktail explosif des dettes et la perspective de la stagflation comme phénomène
La directeur générale de l’OMC a déclaré il y a quelques mois que « l’on doit s’attendre à une récession mondiale, et pas seulement dans quelques pays ». Cette hypothèse a eu des expressions symptomatiques dans les pays capitalistes centraux tout au long de 2022 et dispose de données pertinentes à prendre en compte :
- Lorsque le marché financier britannique s’est effondré, la Banque d’Angleterre a dû intervenir massivement sur le marché des bons pour calmer la situation. La dévaluation de la livre a déprécié les obligations britanniques, car la décision du gouvernement de réduire les impôts des sociétés et des grandes fortunes pour relancer l’économie déprimée se traduit par dette publique (pour financer ces subventions aux grands capitalistes). Le prix de la livre a alors chuté à un niveau historiquement bas.
- La hausse du dollar, qui a un impact sur toutes les monnaies mondiales, est un autre élément à prendre en compte : le yen est à son plus bas niveau depuis 24 ans, l’euro à son plus bas niveau depuis 20 ans, la livre sterling est sur le point d’atteindre la parité avec le dollar, ce qui aggrave encore le poids de ses importations, surtout en cette période de prix élevés du gaz, du pétrole et des denrées alimentaires.
- Le yuan, malgré l’excédent commercial de la Chine, subit une forte pression de dépréciation par rapport au dollar, repositionnant l’incertitude autour de la fuite des capitaux à un moment où les préoccupations croissantes concernant la dette et le soutien de l’État aux entreprises zombies constituent un facteur de risque en Chine et dans le reste de l’Asie.
- Même un dollar artificiellement apprécié a un impact sur les bénéfices des entreprises américaines ayant d’importantes activités à l’étranger.
Parallèlement, la recette des banques centrales du monde qui augmentent leurs taux a pour conséquence immédiate le coût des prêts pour les consommateurs et les entreprises, ce qui peut entraîner la faillite des entreprises les plus faibles et réduire la demande et la consommation.
Ainsi, le plus probable est qu’une telle orientation ne réglera pas l’inflation mais va accentuer une récession sur toute la ligne. Cela signifie que les principales économies pourraient entrer dans une période de stagflation, jamais vue depuis la fin des années 1970, avec une inflation élevée et une stagnation de la production.
Par conséquent, si nous prenons ces caractéristiques générales de la situation et au-delà de 2023, qui est sans aucun doute incertain pour l’économie mondiale, le contexte a les caractéristiques de « fin de cycle », dans le sens où la situation mondiale apparaît pire pour la bourgeoisie mondiale qu’à la fin des années 1970 avec la fin du boom d’après-guerre, puisque maintenant non seulement les pays semi-coloniaux ont des dettes énormes (personnelles, publiques, d’entreprise), mais cela affecte également les principales économies capitalistes de la planète. Pour avoir une idée du poids de la dette à l’échelle de l’économie-monde, examinons quelques chiffres :
- En 1970, la dette globale s’élevait à 100% du PIB mondial. En 2020, il était de 250%, soit une multiplication en termes réels de 2,5 fois en cinquante ans.
- Le montant -230 000 milliards de dollars- est divisé en trois composantes : 24% pour les ménages (soit 55% du PIB mondial), 36% pour les sociétés non financières (soit 83%), 40% pour la dette publique (soit 92%).
- Plusieurs des économies dites émergentes sont confrontées à une crise majeure du crédit, avec des défauts de paiement de la dette au Sri Lanka, en Zambie, au Ghana et dans d’autres pays comme l’Égypte, et nous savons qu’au Pakistan le risque d’insolvabilité est élevé. En Amérique latine, l’ingérence du FMI en tant que contrôleur directe dans les plans économiques des pays se cristallise comme un fait accompli. L’Argentine est un exemple de cet assujettissement néo-colonial.
- Mais il faut aussi garder à l’esprit que la dette mondiale a perdu beaucoup de qualité ces dernières années. La gravité de cette détérioration qualitative de la dette mondiale pèse sur la fragilité du secteur financier : plus la dette augmente et plus les emprunteurs -dont certains sont surexposés- s’endettent, plus les crises futures seront probables et graves.
En bref, le retour de l’inflation augmente fortement les vulnérabilités financières. Si, comme à l’époque, les banques centrales décident de relever fortement les taux, cela pourrait déclencher une crise de la dette beaucoup plus importante qu’alors, limitée aux pays périphériques. La zone euro, par exemple, pourrait être particulièrement vulnérable.
Pour l’instant, les hausses de taux sont limitées par rapport au resserrement monétaire de la fin des années 1970 : entre 1979 et 1981, la Réserve fédérale (Fed) a relevé ses taux d’intérêt de 9 points de pourcentage. Mais les banques centrales, qui parient désormais sur une hausse durable des prix, pourraient resserrer fortement leur politique monétaire.
Il est donc bien réel que la prochaine récession aura comme trait une crise de dette stagflationniste aiguë. En pourcentage du PIB mondial, les niveaux d’endettement privé et public sont beaucoup plus élevés aujourd’hui que dans le passé.
Cette combinaison d’endettement, de hausse du coût du crédit et de stagnation due au manque d’investissement et de consommation, apparaît potentiellement à l’horizon comme un risque explosif pour l’économie capitaliste dans les années à venir. À cela s’ajoute la politique d’ajustement social permanent, qui réchauffe le climat social de polarisation dans le monde entier. La dette, en bref, est l’un des maillons faibles de l’économie capitaliste mondiale.
L’essor et la chute des crypto-monnaies : la distorsion du capital spéculatif
La politique de hausse du prix du crédit, la hausse des taux d’intérêt et la fin de « l’argent bon marché et liquide » ont notamment nui aux cryptomonnaies.
En 2022, la chute de la valeur théorique des cryptomonnaies s’est élevée à plus de 2 000 milliards de dollars, marquant un plongeon de 70% par rapport à leur valeur la plus élevée, atteinte -ce n’est pas une coïncidence- en 2021, année cruciale d’expansion monétaire et de liquidité financière.
La première chose à clarifier comme cadre est que la spéculation est inhérente au capitalisme, mais qu’elle augmente, comme d’autres activités financières, en période d’incertitude économique et de crise. C’est-à-dire : lorsque la rentabilité baisse dans les secteurs productifs et que le capital migre vers les secteurs improductifs et financiers où le taux de profit est plus élevé. Voilà la raison de la montée en puissance du marché des cryptomonnaies.
Ce qui se passe aujourd’hui, avec l’effondrement de ce créneau spéculatif, c’est ce qui se passe lorsque les investisseurs commencent à s’attendre à une baisse des profits en raison d’un ralentissement à venir de l’économie réelle. Cependant, en période de malaise, la spéculation se développe et s’amplifie avec l’ « irrationalité » de la logique capitaliste. Marx a déclaré dans le Capital que « dans toute escroquerie boursière, chacun sait qu’à un moment donné, le krach surviendra, mais chacun s’attend à ce qu’il tombe sur la tête de son voisin, après avoir lui-même ramassé la pluie d’or et l’avoir mise en sécurité ».
L’ingénierie financière des bitcoins est en fait une forme dans laquelle se manifeste ce que Marx appelait le capital fictif, c’est-à-dire des actifs financiers tels que les obligations (bons), les actions, la propriété, le crédit et ce que l’on appelle les dérivés de ceux-ci.
Le capital financier est toujours créatif pour trouver des moyens de spéculer et d’escroquer en espérant des profits futurs. Passons en revue des exemples plus ou moins récents :
- Nous avons connu le boom des point.com, lorsque le prix des actions de nombreuses start-ups Internet a explosé, avant de s’effondrer lorsque les bénéfices de ces entreprises ne se sont pas matérialisés et que le coût des prêts pour la spéculation a augmenté. C’était en 2000, suivi d’une légère récession en 2001.
- Puis vint le boom du crédit sur les prix des logements, les hypothèques et les paquets hypothécaires avec leurs dérivés, qui ont alimenté la fièvre immobilière et boursière qui s’est effondrée en 2008 : les subprimes.
- Après le crash de cette année-là, les banques centrales ont injecté massivement de l’argent, avec des taux d’intérêt faibles ou nuls et un « assouplissement quantitatif », ce qui a entraîné une nouvelle hausse des marchés boursiers et obligataires, qui ont atteint des niveaux record. L’impact de la pandémie a ensuite conduit les banques centrales à doubler la « liquidité » pour maintenir la hausse des prix des actifs financiers, tandis que l’« économie réelle », fondée sur la rentabilité et l’investissement dans les actifs productifs, stagnait. Et à ce tournant, nous sommes.
Jusqu’à présent, au XXIe siècle, la circulation d’argent accessible a poussé des illusions passagères dans divers casinos de spéculation financière. La faible rentabilité dans l’investissement productif stimule ce comportement addictif… et de crise chronique.
Les crypto-monnaies telles que le Bitcoin (son nom commercial) naissent dans le but déclaré de réduire les coûts de transaction des paiements sur Internet et d’éliminer complètement le besoin d’intermédiaires financiers, c’est-à-dire de banques. Le contexte était la crise de 2008 et la haine sociale de la banque en général et de la centralisation de l’État. L’idéologie qui sous-tend cette innovation consiste à contourner l’État, les banques, la centralisation, la fiscalité : une sorte d’idéologie de l’autogestion commerciale. Cependant, avec le temps, et entre les mains de la logique du capital, cet objectif est encore loin d’être réalisé, l’évolution a été très différente. C’est-à-dire : des monnaies numériques pour remplacer les monnaies officielles actuelles comme moyen d’échange bon marché.
Depuis sa création, le prix du bitcoin mesuré en dollars a connu de fortes variations. Plus récemment, il a atteint la stratosphère grâce à l’argent bon marché et à la faible inflation. Ainsi, plutôt que d’être un moyen d’échange, il a fonctionné comme un actif financier et un refuge de valeur.
Ainsi, dans le monde illusoire de l’investissement financier, le bitcoin et les autres cryptomonnaies semblent plus attrayants pour les spéculateurs de devises que même l’or. D’où leur essor et la cotation des entreprises de ce secteur aux États-Unis, qui est passé de 8 milliards de dollars en 2018 à 68 milliards en 2022. Cette société, par exemple, Coinbase Global Inc., compte plus de 43 millions d’utilisateurs dans plus de 100 pays. Mais les cryptomonnaies ont un talon d’Achille plus dangereux que les autres mécanismes de spéculation : la valeur du bitcoin n’est soutenue par aucune garantie gouvernementale. Les obligations émises par un pays ou les titres et investissements immobiliers tels qu’Evergrande en Chine sont en fin de compte garantis par les États bourgeois ou les banques qui interviennent dans les sauvetages d’urgence. La « crypto-folie » n’a pas cet ancrage.
En réalité, le bitcoin, aujourd’hui en déclin, n’est pas plus près de gagner une crédibilité et une acceptation planétaires qu’à ses débuts. Par conséquent, bien que les cryptomonnaies fassent de plus en plus partie de la finance numérique spéculative, comme elles ne sont reprises avec poids par aucun secteur bourgeois du grand capital, elles circulent dans la micro-périphérie des instruments spéculatifs.
Par conséquent, les monnaies numériques en tant que moyen de transaction bon marché n’échappent pas aux lois générales du capital fictif et à leur existence limitée au niveau des « attentes » de rentabilité, qui, cependant, se réalisent toujours de toute façon sur le terrain réel et concret plutôt que fictif de la production.
Prévisions 2023 de la bourgeoisie : consensus sur la récession
Il y a longtemps que les principaux think tank de l’économie globale n’avaient pas eu un accord aussi proche de l’unanimité sur une prévision. Et nous faisons référence, en particulier, à la récession de 2023 qui est hautement probable. Bien sûr, certains analystes liés à l’administration Biden affirment que l’économie américaine, avec son marché du travail tendu, son inflation ralentie et son dollar fort, évitera une chute. En réalité, plutôt que d’émettre des hypothèses, ils élaborent des politiques en fonction de leurs propres attentes et besoins. Voyons ce que disent les principaux prévisionnistes de l’économie mondiale à propos de 2023 :
- Le FMI estime que la croissance du PIB réel mondial ne sera que de 2,7% en 2023. Officiellement, il ne s’agit pas d’une récession en 2023, même si, dans ses papers, l’organisme indique qu’elle sera « ressentie comme telle » (comme une récession). Il prévoit un ralentissement de 1% aux États-Unis, de 0,5% au Royaume-Uni comme dans la zone euro, tandis qu’une récession de -0,3 % en Allemagne. Le FMI dit textuellement : « Les risques pour les perspectives restent exceptionnellement importants ». Et pourtant, les prévisions du FMI sont les plus optimistes du monde bourgeois…
- L’OCDE estime que la croissance mondiale va ralentir à 2,2%. Elle déclare : « L’économie mondiale est confrontée à des défis importants. La croissance a perdu son élan, l’inflation élevée s’est répandue dans tous les pays et les produits, et s’avère persistante. Les risques sont orientés à la baisse ». Accablant.
- La CNUCED (UNCTAD), dans son dernier rapport sur Commerce et développement, prévoit également que la croissance économique mondiale tombera à 2,2% en 2023. On peut y lire : « Le ralentissement mondial laisserait le PIB réel encore en dessous de sa tendance pré-pandémique, ce qui coûterait au monde plus de 17 000 milliards de dollars, soit environ 20% du revenu mondial ».
- L’OMCse joint à d’autres organismes internationaux pour prévoir une récession globale : « Le commerce mondial des marchandises devrait ralentir fortement l’année prochaine sous le poids des prix élevés de l’énergie, de la hausse des taux d’intérêt, des perturbations liées à la guerre, ce qui accroît le risque d’une récession mondiale. Elle prévoit une croissance économique mondiale de 2,3% en 2023 et met en garde contre un ralentissement encore plus important si les banques centrales augmentent trop les taux d’intérêt dans leurs efforts pour maîtriser une inflation élevée.
- L’Institut américain Peterson, gourou du Consensus de Washington, prévoit une récession pour la zone euro, les États-Unis, le Royaume-Uni et le Brésil cette année, avec une croissance économique mondiale tombant à un faible niveau de 1,8%.
- L’Institut des Finances Internationales (IIF), un organisme de recherche financé par les principales sociétés financières du monde, prévoit une chute encore plus importante de la croissance globale cette année : « Nous prévoyons une récession mondiale en 2023. Corrigée des effets de base, probablement autour de +0,3% l’année prochaine (vert), la croissance mondiale ne sera que de +1,3%. C’est aussi faible qu’en 2009, où la croissance globale était plus faible (+0,6 %), mais le résidu était de -0,7 % (jaune). Une autre ‘Grande Récession’ ».
En bref : il y a un accord au sein de la bourgeoisie elle-même sur un effondrement en 2023.
Que peut-il se passer au cœur de l’impérialisme ? Les États-Unis, éviteront-ils la récession annoncée pour l’ensemble de l’économie-monde ?
- D’ici décembre 2022, les registres d’activité des entreprises indiquent le rythme de contraction économique le plus rapide depuis la pandémie de 2020.
- Les porte-parole de JP Morgan indiquent que l’indice de la production manufacturière mondiale des États-Unis a chuté en novembre 2022 « à un niveau rarement observé en dehors des récessions ». Cela laisse présager un atterrissage brutal de la production manufacturière en 2023.
Quelle est la situation attendue pour la zone euro ?
- La Banque centrale européenne (BCE) affirme désormais que l’économie de la zone euro est déjà en récession, avec un recul de la production au dernier trimestre de 2022 et la même dynamique pour 2023. Elle précise toutefois qu’elle s’attend à ce que la récession soit « relativement brève et peu profonde ».
Indépendamment de l’ampleur du ralentissement économique en 2023 et des débats techniques sur récession ou non, la dure réalité pour les masses mondiales, en particulier les salarié.e.s, est de perte de revenus et de détérioration qualitative du niveau de vie :
- Le Financial Times (Royaume-Uni), autour du bilan 2022, écrit : « Alors que nous approchons de la fin de l’année, il est difficile d’affirmer que 2022 a été bénéfique pour les travailleurs. Les pénuries de main-d’œuvre ont persisté et si la croissance des salaires s’est accélérée dans certains pays comme les États-Unis et le Royaume-Uni, les rémunérations n’ont pas suivi le rythme de la hausse des prix. En conséquence, les salaires mondiaux ont baissé en termes réels cette année pour la première fois depuis que l’on dispose de données comparables, selon l’OIT. La part du travail dans le revenu mondial a également diminué, selon les chiffres de l’OIT, car la croissance de la productivité a dépassé celle des salaires dans la plus grande marge depuis 1999. Au Royaume-Uni, une décennie de stagnation des salaires avant la pandémie sera suivie de la plus forte baisse du niveau de vie des ménages depuis six décennies, selon les prévisions officielles ».
- Aux États-Unis, la baisse moyenne des salaires réels a été légèrement supérieure à 2% en glissement annuel au troisième trimestre 2022.
- En Europe, l’Allemagne et l’Espagne ont connu une baisse encore plus importante, de 4 et 5%.
- Pour l’ensemble de la zone euro, les salaires réels ont diminué de 8% depuis la fin de la pandémie en 2020.
- En Allemagne, les revenus réels ont chuté de 5,7% l’année dernière, ce qui représente la plus forte baisse des salaires réels depuis le début des statistiques.
Pourquoi, alors, les principales économies retombent-elles dans une nouvelle dépression si peu de temps après la chute du COVID ?
Deux facteurs cruciaux sont à l’œuvre dans ce processus : la baisse des profits et la hausse du service de la dette due à l’appréciation du dollar et à la hausse des taux d’intérêt. Ces deux facteurs de ciseaux étranglent l’activité économique dans la conjoncture actuelle.
L’état de l’économie russe en 2023-2024 mérite un paragraphe à part. Tout d’abord, regardons d’où vient ce pays sur le plan économique :
- Après la chute du Mur et jusqu’à au moins l’an 2000, date de l’arrivée au pouvoir de Poutine, sous Eltsine et sous l’impulsion de l’impérialisme occidental, une grande partie du capital étatique a été privatisée et d’importants droits sociaux ont été démantelés, avec des pics de crises économiques hyperinflationnistes entre les deux.
- Putin a eu de la chance, du vent arrière lors de ses deux premiers présidences (2000-2004 et 2004-2008) ; l’économie russe a prospéré grâce aux prix internationaux du pétrole et d’autres commodities et a enregistré une croissance moyenne du PIB de 5 à 6% au cours de ces années. La nouvelle élite composée d’anciens bureaucrates et de partenaires capitalistes occidentaux a profité de cette période.
- La « décennie perdue » a été la période après la grande crise de 2008-9, marquée par la chute des taux d’investissement, la fuite des capitaux -dont ceux du milliardaire Poutine lui-même- vers les paradis fiscaux et un déclin du PIB au rythme de 1 à 2% par an.
- Après l’Euro-Maidan en 2014, Poutine a déployé une ligne nationaliste-pan-russe à l’égard de l’Ukraine, du Donbas et de la Crimée, et avec les Jeux olympiques d’hiver de cette période, également financé par l’oligarchie amie, a partiellement détourné l’attention et les troubles sociaux, ainsi que le renforcement d’un régime répressif dur dans le pays contre toute protestation.
- Bien que nous l’aborderons en profondeur dans une contribution sur l’écologie politique, nous ne pouvons oublier les débats autour de la crise énergétique provoquée par la guerre, son impact sur l’Europe et l’augmentation du coût de la vie. Le fait est que jusqu’à présent, bien que le G7 ait décidé en 2022 de ne plus acheter d’énergie à la Russie, les approvisionnements n’ont pas été complètement coupés. Ils ont plutôt été réduites à titre de politique préventive par l’Allemagne et d’autres pays, accumulant des réserves pour passer l’hiver 2023 en faisant appel à des sources alternatives plus coûteuses, par exemple en Amérique du Nord, mais cette accumulation pourrait suffire pour une saison, pas plus. Cela augmente le prix du pétrole et du gaz, stimule la production de combustibles fossiles dans le monde entier et renforce le commerce de la Russie avec l’Inde et la Chine à des prix subventionnés. Les perspectives pour l’Europe dans ce monde sont sombres et inquiétantes, car le facteur énergétique exerce une pression supplémentaire sur l’escalade des prix et le coût de la vie, en particulier pour la classe ouvrière et les couches moyennes appauvries. Les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre sont plus éloignés que jamais dans la zone euro, à l’Est, en Asie du Sud-Est et en Chine. Nous revenons en profondeur sur cette question dans le débat sur l’environnement.
Bien sûr, une « victoire éclair » sur l’Ukraine étant désormais exclue, l’horizon de Poutine et de la Russie est très incertain. Il en va de même pour ses effets sur l’Europe et la région. De toutes les sources que nous avons pu consulter, il n’y a aucune projection positive sur le front économique.
Perspectives régionales pour 2023 : le complet rapport de la Banque mondiale
Le dossier le plus exhaustif sur la conjoncture et des hypothèses des rythmes de l’économie planétaire est sans doute celui que produit chaque année la Banque mondiale, avec des centaines de cadres techniques dédiés à cette tâche. Et au-delà du langage avec toute son empreinte idéologique et de classe, en l’étudiant en profondeur nous pouvons extraire des informations et des données utiles pour notre activité révolutionnaire. Le rapport est destiné aux « spécialistes », « cabinets de conseil », banques, entreprises, il est donc destiné aux conseils de la bourgeoisie elle-même.
Du point de vue des régions et des pays, les projections désagrégées du dernier rapport de la BM montrent ce qui suit :
- · Pour l’Amérique latine et l’Amérique centrale, on prévoit une baisse globale de l’activité de 1,3% et un rebond modeste pour dépasser les 2% en 2024. Le rapport reconnaît la stagnation résultant de la hausse des taux d’intérêt et prévoit également que la réduction de la demande extérieure des États-Unis et de la Chine aura un impact sur les exportations des pays qui en sont totalement dépendants, ainsi que la chute des prix internationaux de la plupart des commodities. En outre, les hausses de taux de la FED ont augmenté le risque pour la dette libellée en dollars dans la région, avec un accent particulier sur des pays comme l’Argentine. Une baisse du taux d’investissement direct privé est prévue, essentiellement en raison de « l’instabilité politico-institutionnelle » de la région : Brésil, Argentine, Pérou, comme maillons particulièrement faibles selon cette organisation impérialiste.
- Pour l’Asie du Sud en tant que région, la croissance devrait ralentir à un peu plus de 5% en 2023, puis reprendre un peu en 2024. Toute cette région a été durement touchée, d’abord par la pandémie et les inégalités d’accès à la vaccination, puis par la guerre en Ukraine et la flambée des prix de l’énergie et des denrées alimentaires. Le blé fournit près de 20% de l’ensemble des calories consommées dans cette région, qui abrite un tiers des pauvres du monde. La pauvreté structurelle et la recrudescence de la pauvreté due à l’insécurité alimentaire constituent donc un facteur important. Par ailleurs, les récentes inondations catastrophiques au Pakistan montrent le poids du changement climatique dans la région et l’impact sur les infrastructures reste un élément crucial à prendre en compte. À l’exception de l’Inde, qui parvient à maintenir des niveaux de croissance supérieurs à l’augmentation de la population, le reste des pays présente des projections à la baisse, et l’endettement constitue un risque potentiellement explosif. La récente crise au Sri Lanka a imposé le non paiement de la dette, les émeutes pèsent sur l’instabilité économique et l’incertitude au niveau régional.
- · L’Europe de l’Est et l’Asie centrale, quant à elles, devraient chuter en 2023 et croître d’un maigre 2% en 2024, régions complètement touchées par la guerre. Les taux d’inflation sont les plus élevés depuis 20 ans, la hausse des prix de l’énergie et des denrées alimentaires est dominante, tout comme le poids des emprunts internationaux en raison de la hausse des taux d’intérêt. La région entière vit économiquement au rythme de la guerre, ses perspectives sont donc associées à sa dynamique. Or, l’OTAN vient de se résoudre à geler une dette importante envers l’Ukraine, dans le cadre de sa ligne de soutien au gouvernement bourgeois de ce pays, à hauteur de 20 milliards de dollars. Mais l’effondrement économique et social qui pèse sur les masses ukrainiennes est énorme et une mesure isolée ne change rien à cette réalité. L’économie ukrainienne s’est contractée de plus de 40% en 2022 et continuera de se contracter en 2023. Il y a destruction de la capacité de production, dommages aux terres agricoles et réduction de l’offre de main-d’œuvre, car on estime que plus de 14 millions de personnes ont été déplacées. Selon des estimations récentes de la Banque mondiale, les besoins en matière de redressement et de reconstruction dans les secteurs social, productif et des infrastructures s’élèvent à au moins 349 milliards de dollars, soit plus de 1,5 fois la taille de l’économie ukrainienne d’avant-guerre en 2021.
- Le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord devraient connaître une baisse en 2023 et 2024 de 3% et 2,7% respectivement. Bien que la région ait bénéficié de la hausse des prix du pétrole et du gaz en 2021, qui s’est répercutée en 2022, la chute des prix internationaux de ces intrants, ainsi que les effets mondiaux de la baisse de la demande de biens et de services, devraient avoir un impact négatif sur une région fortement touchée par la pauvreté, les inégalités, les taux élevés de chômage jeune (en particulier) et, dans certains cas, une réduction de moitié du niveau des revenus des masses durant la dernière décennie (Syrie, Égypte et Liban, par exemple). Les perspectives sont celles d’une baisse de la croissance économique due à une inflation croissante et à un endettement élevé et plus cher.
- Enfin, la région d’Afrique subsaharienne devrait également connaître une baisse de l’activité économique en 2023 et 2024 avec des taux légèrement supérieurs à 3%. La principale économie de cette région, par exemple l’Afrique du Sud, est en déclin depuis avant la pandémie. Le 70% des pays de la région est affecté par la chute des prix internationaux des métaux qu’ils exportent (leur principale source de revenus) et la combinaison de cette chute avec la hausse des prix des denrées alimentaires (dont ils sont importateurs nets) et les blocages de l’approvisionnement énergétique font que la Banque mondiale prévoit des perspectives négatives pour ce sous-continent. Le facteur climatique et la faiblesse des infrastructures, couplés au processus de lutte des classes et aux crises politiques, projettent une baisse du taux d’investissement capitaliste direct.
La spirale n’est pas les prix sur les salaires : c’est le profit capitaliste, idiot !
C’est un débat important, car dans le cadre de la construction du sens commun installé par les centrales idéologiques du capital, l’idée que « la pression salariale spirale les prix » tend à être naturalisée. Il s’agit en particulier d’une thèse de l’orthodoxie keynésienne, qui a aujourd’hui un poids influent dans le champ des idées économiques. Et la réalité empiriquement démontrable est différente. En fait, il n’y a rien de nouveau dans ce débat et Marx l’a déjà réglé au 19ème siècle.
Certes, les salaires ne stimulent pas la hausse des prix, puisque, en fait, depuis la pandémie, la rentabilité bourgeoise est la composante qui a le plus augmenté parmi les trois facteurs qui composent la valeur des marchandises (capital constant, salaires, profit). Mais ce qui est remarquable, c’est un fait que les économistes du système négligent : toute l’année 2022 a montré une baisse de la productivité générale, avec une hausse des prix des intrants et des coûts unitaires de la main-d’œuvre. Ce kit affecte les marges bénéficiaires. Et le cercle se referme avec moins des investissements productifs, car les profits diminuent. Ainsi, la production globale diminue également. C’est là le nœud du problème, et non la « pression salariale ».
Si nous nous concentrons sur le cas particulier des États-Unis, première économie capitaliste mondiale, nous constatons qu’en 2022, la productivité a chuté comme elle ne l’avait plus fait depuis 1982. Par conséquent, bien que l’inflation annuelle ait fini par dépasser les 10% et que la croissance des salaires ait été d’à peine 3%, la rentabilité des entreprises a chuté à mesure que le coût de production unitaire augmentait (en raison du faible taux de réinvestissement productif). La manne de profits post-pandémie est terminée. C’est le premier facteur des ciseaux que nous avons décrits précédemment comme catalyseurs de la dépression économique.
L’autre variable est la hausse du coût du crédit. De nombreuses entreprises croulent sous les dettes et se dirigent vers des difficultés de solvabilité, car les banques ont resserré les liquidités : plus d’argent bon marché. Lors du 1er Congrès de la LIS, dans la résolution sur l’économie mondiale, nous avons discuté du fardeau des entreprises dites « zombies » qui ne peuvent même pas faire fonctionner l’équation économique pour couvrir le coût du service de leur dette. Les données de l’époque montraient qu’il y avait près de 20% de ces entreprises dans l’économie mondiale, soutenues artificiellement par des refinancements et des subventions publiques. Il faut ajouter à cela un nombre important d’entreprises qui ont contracté des prêts en 2021 pour investir dans des actifs financiers et qui, aujourd’hui, avec la hausse des taux d’intérêt, sont incapables de rembourser leurs prêts. Ce risque potentiel de défaut de la dette des entreprises existe.
En bref : baisse de la productivité, diminution des taux de profit, hausse du coût de la dette préparent le terrain pour une année 2023 de stagnation récessionniste et d’inflation consolidée.
La Chine : conflit interimpérialiste, approche conjoncturelle de son économie, des hypothèses ouvertes
La Chine est un sujet de débat important pour toute analyse de l’économie et de la politique mondiales au XXIe siècle. Le conflit interimpérialiste avec les États-Unis est l’un des facteurs prépondérants de la géopolitique capitaliste actuelle. Dans ce chapitre de notre contribution au débat économique du 2ème Congrès de la LIS, nous souhaitons aborder quelques questions ouvertes afin d’enrichir l’échange pré-congrès :
- Expliquer l’origine des tensions interimpérialistes entre les États-Unis et la Chine, pôles de la lutte pour l’hégémonie mondiale, et utiliser un parallèle historique pour mieux illustrer notre point de vue actuel.
- Nous aborderons des aspects de l’économie actuelle de ce géant de 1,4 milliard d’habitants (940 millions de salarié.e.s), à la fois sous l’angle de la « photo » de sa situation actuelle et de quelques coordonnées pour laisser des questions à l’ordre du jour.
Il est peut être utile d’établir un parallèle historique entre la dispute actuelle pour l’hégémonie et une autre qui a eu lieu dans la période analysée par Lénine dans son livre sur l’impérialisme. Plus précisément, entre la fin du 19e siècle et le début du 20e siècle, l’impérialisme dominant, la Grande-Bretagne, a entamé un déclin qui a finalement été capitalisé par les États-Unis, qui se sont cristallisés comme la nouvelle puissance dominante après la Seconde Guerre mondiale. Cependant, il y a eu une étape ou une période antérieure, entre la première grande crise capitaliste mondiale en 1873 et la Première Guerre mondiale et la Révolution d’Octobre, qui a plus de points de contact avec la phase que nous traversons maintenant.
D’une certaine manière, la comparaison est pertinente dans la mesure où, comme l’Angleterre à l’époque, les États-Unis, dont la domination est écornée, remise en question, menacée, sont toujours la puissance hégémonique sur le plan économique, politique et militaire. Et comme les États-Unis et l’Allemagne à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, la Chine connaît aujourd’hui un renforcement économique soutenu, surtout, mais avec des contradictions et des limites qui n’est pas encore suffisant pour dépasser les États-Unis ou même avoir une chance de les dépasser.
Bien sûr, le type de capitalisme impérialiste à ce stade de son développement, déjà au 21e siècle, est en partie différent de celui analysé par Lénine, en raison du saut dans l’intégration capitaliste des soi-disant chaînes de valeur globales et du processus de délocalisation de la production, qui a un impact sur la classe ouvrière en tant que sujet. Mais au-delà des nouvelles traits, deux éléments peuvent être comparés :
- D’une part, la grande crise (1873) a marqué un tournant dans la domination britannique, similaire à la fin du boom d’après-guerre pour les États-Unis, et le saut qualitatif qui renforce cette dynamique avec la grande crise de 2008-9. D’une certaine manière, l’hégémonie incontestée est maintenant débattue et des concurrents dialectiquement opposés sont enrôlés : dans le premier cas, les États-Unis et l’Allemagne, maintenant la Chine.
- Dans l’interrègne 1873-1914/17 s’ouvre une période de désordre, de contradictions et de crises, qui commence à se résoudre avec la Première Guerre mondiale et les révolutions de la nouvelle époque, et dans le cas de l’hégémonie, avec la Seconde Guerre mondiale. Les dernières décennies, marquées par des crises récurrentes, présentent une puissante ressemblance de « transition chaotique » avec cette période : un impérialisme affaibli mais qui ne finit pas par mourir, un autre qui ne finit pas par émerger et se cristalliser.
L’Allemagne, en tant que concurrent, est tombée dans l’oubli lors de la première guerre et a réessayé lors de la seconde, avec le nazisme comme régime, et enfin, cette nouvelle guerre a cristallisé le triomphe des alliés sous le commandement des États-Unis en tant que puissance hégémonique consolidée.
Actuellement, la dispute porte sur les marchés et la captation des commodities à bas coût, et c’est la course au développement technologique de pointe dans les branches du numérique et de l’intelligence artificielle, où la bourgeoisie américaine est en tête (l’épisode Huawei l’a anticipé il y a peu). Face à cette menace, la politique étrangère de la Maison Blanche est passée de l’endiguement avec Clinton et même Obama à une contestation plus ouverte, qui passe par une guerre de positions et le réarmement de l’OTAN et des alliés. La stratégie économique chinoise ne se limite plus à l’exportation de produits bon marché basés sur la surexploitation de sa main-d’œuvre massivement disponible et militairement enrégimentée, mais elle se dispute dans le domaine de l’innovation où la bourgeoisie américaine fait la différence à l’échelle mondiale -tout comme dans la domination du capital financier avec ses banques et le dollar comme monnaie de référence globale.
Voilà donc pour les parallèles en tant qu’approche permettant de mieux comprendre l’une des clés géopolitiques de notre époque.
D’autre part, les analystes économiques de la bourgeoisie pro-yankee ont insisté pour prédire la débâcle de la Chine pendant des années, arguant que les taux d’investissement réalisés par l’État ne sont pas viables à long terme, que le vieillissement de la population est un facteur limitant et que la consommation est sous-optimale pour une économie capitaliste classique prospère. Tous ces raisonnements finissent par proposer une issue : la nécessité d’une privatisation totale de ce qui reste étatique en Chine et d’une ouverture globale au capital transnational. À un autre pôle, les apologistes intéressés de la bureaucratie chinoise revendiquent un « socialisme avec des caractéristiques spéciales », ignorant toutes les contradictions et les tensions de la société chinoise, y compris la censure d’État, la répression, les inégalités imprévues, les antagonismes de classe.
En réalité, le tableau est plus nuancé et contradictoire, et loin des approches unilatérales et antiscientifiques, nous considérons qu’il faut aborder le tableau plutôt hybride et non chimiquement pur de la Chine, en utilisant l’instrument de la loi du développement inégal et combiné, formulée par Trotsky.
* La Chine, c’est clair, part d’une « accumulation originelle » héritée du processus révolutionnaire de 1949, de la réforme agraire et de l’expropriation de la bourgeoisie, qui a élargi ses forces productives pendant plus de 20 ans de manière qualitative : alors que dans le reste du monde capitaliste le boom économique du deuxième après-guerre était en déclin, l’économie chinoise est entrée dans les années 70 avec cette accumulation antérieure au niveau de sa base matérielle.
* Dès lors, on assiste à un zigzag spasmodique dirigé par la bureaucratie du PC, depuis la libéralisation économique des années 1980, les privatisations jusqu’à Tiananmen, puis une période d’intervention renforcée de l’État et de prolétarisation massive des paysans, au tournant jusqu’à la crise de 2008-9 vers l’exportation à grande échelle de biens et de services dont les avantages comparatifs reposent sur l’exploitation d’une main-d’œuvre bon marché et militairement enrégimentée.
* Pendant la crise récessive de 2009, puis l’impact de la pandémie, les distorsions du capital privé en Chine sont devenues évidentes : seule l’intervention de l’État dans les opérations de sauvetage des entreprises et les investissements directs dans les travaux publics ont atténué la débâcle que d’autres économies du monde capitaliste occidental ont connue.
* Au cours des 15 dernières années, la bureaucratie chinoise a encouragé la diffusion massive d’investissements improductifs et spéculatifs par le secteur capitaliste de l’économie. Dans leur élan de construire suffisamment de logements et d’infrastructures pour une population urbaine en pleine expansion, les gouvernements centraux et locaux ont laissé le soin aux promoteurs privés de s’en charger. Au lieu de construire des maisons à louer, ils ont opté pour la solution du « marché libre », à savoir que les constructeurs privés construisent pour vendre. Le poids du secteur immobilier spéculatif explique des crises à haute explosivité comme celle d’Evergrande, qui était au bord d’un défaut de 300 milliards de dollars en 2021 et que seul le sauvetage étatique a évité. Près de 20% du PIB chinois est représenté par le secteur de l’immobilier qui, à son tour, surendetté pour la spéculation, abrite pas moins de 25% d’entreprises zombies. Ces données sont essentielles à deux égards :
a) exprimer la vulnérabilité d’un pilier de l’économie du géant asiatique.
b) tenir compte de l’effet de levier artificiel de la croissance chinoise.
* Le maillon les plus faible de l’économie chinoise ne semble pas résider dans son système financier, car dans ce secteur, la bureaucratie contrôle les leviers décisifs : la Banque centrale, les quatre grandes banques commerciales d’État, qui sont les plus grandes banques du monde, et les « mauvais banques », qui absorbent des créances douteuses, les grands gestionnaires d’actifs, la plupart des grandes entreprises. Le gouvernement peut ordonner aux quatre grandes banques d’échanger des prêts non productifs contre des participations au capital et les oublier. A ce stade, l’accumulation primitive et les énormes réserves de la Chine lui donnent un oxygène transitoire.
Cependant, il est clair que les problèmes du secteur immobilier actuel sont le signe que l’économie chinoise est de plus en plus influencée par le chaos et les aléas du secteur à but lucratif. Comme dans les économies capitalistes de l’Ouest, la rentabilité du secteur capitaliste chinois est en baisse et cet élément introduit toutes les contradictions de la loi de la valeur comme dans toute économie capitaliste classique.
Or, la Chine a ralenti sa croissance et pour absorber seule son évolution démographique a besoin de 8% par an, ce qui n’est pas rien. Par conséquent, le repli vers le marché intérieur après la crise de 2008, qui a généré des contradictions avec les transnationales dans le pays et la bourgeoisie chinoise elle-même (puisque pour encourager la consommation d’une partie de ce qui était auparavant exporté, il fallait augmenter les salaires), est tenté d’être résolu par une expansion impérialiste en concurrence avec les États-Unis, ce que la Route de la soie en tant que projet révèle clairement. L’orientation impérialiste de la Chine dans le domaine économique opère comme une compensation de la rentabilité du tournant protectionniste qu’elle a pris en réponse d’abord à la crise de 2008 et ensuite à la paralysie du commerce dans la pandémie. En outre, elle vise clairement à concurrencer la bourgeoisie américaine dans le domaine de la finance. Ainsi, la Route signée par 140 pays implique des investissements sous forme de prêts qui établissent des relations de dépendance financière et de crédit avec la Chine. Cette ligne économiquement offensive renforce les frictions, les tensions, les différends avec les États-Unis :
* La politique de la Maison Blanche n’est plus celle de l’« endiguement » de la Chine, mais celle du blocage direct dans les secteurs et les branches où les États-Unis sont hégémoniques et où la bureaucratie chinoise cherche à pénétrer : la finance et le numérique.
* Pour l’instant, la bureaucratie chinoise ne répond pas par des mesures équivalentes à l’encontre des sociétés étrangères présentes sur son territoire. Mais le coin qui lui est imposé par la bourgeoisie américaine s’élargit et l’horizon est incertain.
Enfin, la participation des entreprises d’État à l’économie chinoise reste très importante et centrale dans des secteurs clés. Cependant, la présence de capitaux privés n’a cessé de croître au cours des quinze dernières années. C’est la source des principales contradictions qui traversent la puissance impérialiste en question.
Évidemment, cet élément est négligé par le camp des apologistes de la Chine, et en même temps, on ne peut nier que c’est la présence de l’État investissant directement en 2009 et dans la pandémie qui a empêché un effondrement comme cela s’est produit dans d’autres pays du monde capitaliste occidental. Le désespoir de maintenir la production d’une part, et en même temps d’empêcher la propagation du virus d’autre part, a donné lieu à des protestations et à des mobilisations, qui ont fait reculer le gouvernement du PC et ont pu être comparables, voire supérieures, à celles de Tiananmen.
Il ne fait aucun doute que la Chine a été sous une bureaucratie stalinienne répressive pleine de privilèges économiques dans sa nature sociale depuis la Révolution de 1949. Après 1978, des parties de la bureaucratie sont également devenues bourgeoises. Contrairement à l’URSS, cependant, la bureaucratie chinoise a maintenu un contrôle étroit sur l’économie grâce à d’énormes entreprises d’État, à des banques d’État et à la planification, même après la soi-disant réforme et ouverture de Deng Xiaoping. Deux secteurs (capitaliste/privé et étatique/public) coexistent dans l’économie chinoise, lui conférant une composition capitaliste d’État très contradictoire. La bureaucratie du PC, au nom de sa propre existence, de ses privilèges et de sa stabilité socio-politique, a été forcée d’inverser de nombreuses réformes du marché dans le passé et un phénomène similaire semble se produire sous Xi Jinping ces dernières années. L’évolution des événements dans ce géant dans les années à venir dépendra en partie des contradictions entre les factions internes de la bureaucratie, une faction exigeant d’approfondir les réformes du marché et de renforcer les secteurs bourgeois qui détiennent la propriété privée des entreprises, tandis que celle l’autre veut un contrôle étatique plus strict et une plus grande propriété publique. Il convient de noter que la crise de 2008 a été un revers idéologique et politique pour la faction de la bureaucratie chinoise qui voulait une restauration complète du capitalisme à travers des privatisations à grande échelle et l’abandon complet de la planification économique. Toute nouvelle crise du capitalisme mondial pourrait forcer la bureaucratie chinoise à renforcer la propriété étatique et les éléments de planification de l’économie. Mais plus que cela et les données froides des statistiques économiques, cela dépendra de la lutte des classes dans le monde et du réveil ou non de la puissante classe ouvrière chinoise.
Débats post-pandémie 1 : automatisation-digitalisation, intelligence artificielle, à nouveau « la fin de la classe ouvrière »
Pendant la pandémie (bien qu’il s’agisse d’un processus antérieur au COVID), l’enfermement forcé et le travail à distance ont réinstauré le débat récurrent (et idéologiquement intéressant) sur le travail en usine, l’automatisation, l’intelligence et -à nouveau- l’avenir de la classe ouvrière.
Certains théoriciens qui étudient l’impact de la numérisation du travail et son extension post-pandémique ont tendance à relativiser la théorie de la valeur et l’exploitation du travail de Marx, en affirmant qu’elle n’est plus pertinente pour la nature des relations de classe et de l’oppression au travail dans les sociétés post-COVID.
Par exemple -encore !-, Michael Hardt et Toni Negri (les mêmes qui ont « décrété » depuis Paris la fin de l’impérialisme après la chute du Mur), soutiennent maintenant que l’exploitation dans le nouveau paysage du capitalisme se situe dans de nombreuses sphères « non manufacturières » de la vie sociale ; par exemple, sur les sites de réseaux sociaux. Évidemment, on ne peut nier l’impact de l’intégration globale des chaînes de valeur et des délocalisations sur la classe ouvrière en tant que sujet -et il faut aller plus loin- en termes de fragmentation et d’affaiblissement objectif, dans le sens d’une certaine « déconcentration » de la production à travers les frontières. Mais les veuves du stalinisme, les prédicateurs du « on ne peut pas », isolent des phénomènes comme celui-ci afin de généraliser un pronostic de scepticisme quant aux tâches historiques du mouvement ouvrier. C’est ce que nous questionnons dans le cadre de notre thèse, sans nier les changements et en reconnaissant la nécessité de les calibrer davantage dans nos analyses.
En réalité, l’exploitation du travail pour l’appropriation de plus-value reste au cœur des rapports de classe, même dans le monde du travail numérique, c’est-à-dire un travail qui est traité et géré principalement par des plateformes numériques où, du moins en théorie, il n’est souvent pas nécessaire que les travailleurs soient ensemble dans un espace physique permanent pour effectuer certaines tâches de travail.
Au contraire, le travail numérique et à distance dans le monde post-COVID poursuit l’intensification, par des moyens numériques, des processus de travail productifs et improductifs. Les horaires de travail deviennent « élastiques » et la démarcation entre le temps de travail et le temps de repos s’estompe. Ainsi, en général, les employé.e.s travaillent plus longtemps et accomplissent plus de tâches pendant ces heures, ce qui entraîne une plus grande exploitation. En fait, une revendication apparue dans ce contexte était le droit à la « déconnexion » afin d’éviter une sorte d’asservissement à temps plein par des tâches à domicile.
En réalité, la numérisation, ainsi que la robotisation industrielle, aux mains du capitalisme, renforcent l’exploitation du travail et remplacent les personnes par des machines, augmentant ainsi le chômage. Mais dans ce cas, le problème n’est pas « l’intelligence artificielle », mais sa propriété privée en tant que moyen de production au service de la maximisation du profit.
Un élément de plus concernant la « fin de la classe ouvrière ». Ce que les économistes bourgeois omettent de faire, c’est d’inscrire l’analyse de l’automatisation et de la numérisation du travail dans le cadre de certains des outils d’analyse scientifique les plus précieux développés dans le Capital. Leur limitation de classe pour ce faire est logique. Mais, chaque avancée technologique appliquée à la production sous le capitalisme, l’investissement croissant dans cette technique au détriment de l’investissement dans la force de travail, ne fait rien d’autre qu’augmenter la productivité de certaines branches plus équipées de cette technologie de pointe, mais en déplaçant la force de travail, avec une conséquence avérée : la réduction du volume de la valeur créée, puisque la nouvelle valeur ou plus-value n’est attribuée qu’à la force de travail, et non aux machines. Ce phénomène, appelé l’augmentation de la composition organique du capital, favorise la plus importante loi de tendance sous le capitalisme : la baisse du taux de profit global.
Donc : ni la numérisation n’élimine l’exploitation, ni la classe ouvrière ne disparaît, ni ne surmonte la loi de la valeur qui opère encore et encore. C’est pourquoi, en tant que socialistes révolutionnaires, nous sommes des promoteurs fanatiques du développement de la science et de la recherche appliquées à l’augmentation de la productivité du travail, mais non pas pour accumuler du profit privé, mais pour alléger la charge collective du travail socialement nécessaire, dans le cadre d’une planification démocratique des valeurs d’usage, ce que la société, sans capitalisme, exige. Mais ceci fait l’objet d’un autre point de notre contribution.
Débats post-pandémie 2 : le miracle du « capitalisme modernisé et social » au Japon et aux paradis (perdus) de la social-démocratie nordique
La crise économique chronique et récurrente du capitalisme affecte sa crédibilité, son autorité en tant que « modèle » d’organisation sociale. C’est pourquoi, par ses multiples mécanismes d’action idéologique, avec ses faiseurs d’opinion et ses constructeurs de sens commun, il tente dans ces phases d’incertitude d’installer des « références », des « modèles » dans le cadre, toujours, de la logique du capital. Et au-delà de ceux qui polarisent entre les États-Unis et la Chine comme différentes factions bourgeoises alliées à l’un ou l’autre impérialisme, le Japon et les pays nordiques apparaissent comme des alternatives et des exemples de réaffirmation capitaliste.
Le Japon, d’une part, comme référence de la reconstruction basée sur l’innovation, l’initiative et l’unité nationale, après la Seconde Guerre mondiale ; et les pays nordiques, comme référence d’un socialisme modéré ou d’un capitalisme à contenu social, possible et « réaliste ». Voyons où en sont les deux « modèles alternatifs » sur le plan économique à ce stade, post-crise 2009 et post-pandémie :
* Le Japon, désormais gouverné par le banquier Kishida, est dans une impasse de stagnation significative de tous les paramètres économiques. Le nouveau Premier ministre a promis un « Japon nouveau, actualisé » avec un « contenu social et anti-néolibéral ». En d’autres termes, on remet en question les trois piliers du projet précédent : l’ajustement budgétaire, la réforme des retraites, la réforme du travail.
* Cependant, tous les chiffres de 2022 ont fini par être négatifs. Le nombre record de cas de Covid-19 a conduit le gouvernement à mettre en place des mesures de quasi-état d’urgence qui, associées à la hausse de l’inflation, ont entraîné une chute de la consommation privée et des investissements. La production manufacturière et les exportations ont chuté, en raison de la contraction mondiale due à la guerre et aux blocages de la chaîne d’approvisionnement.
* Selon l’OCDE, le PIB par habitant du Japon reste inférieur de près de 20% à celui des autres puissances capitalistes du G7 ; l’inégalité des revenus demeure plus élevée que dans la plupart des économies avancées, la pollution et les émissions de gaz à effet de serre restent désastreuses.
* Certains partisans du « modèle japonais modernisé » citent la faible inflation du Japon comme preuve de sa plus grande force par rapport à ce phénomène mondial. Toutefois, ce faible taux d’inflation est principalement dû au fait que l’économie japonaise stagne au bord d’une véritable récession depuis plusieurs années. L’investissement et la demande des consommateurs sont donc faibles.
* Les salaires au Japon stagnent depuis 25 ans face à des taux de rentabilité croissants et concentrés. Pour y parvenir, la bourgeoisie japonaise a intensifié le rythme de l’exploitation et allongé la journée de travail. En outre, si le chômage est faible en raison de la réduction massive de la population en âge de travailler, qui diminue d’environ 550 000 personnes par an, il est compensé sur le marché du travail par une forte féminisation, mais les employées travaillent dans des secteurs où les salaires sont plus bas et même plus inégaux que ceux des hommes. La pression salariale reste ainsi en déclin, mais les profits élevés.
En bref : il y a surcharge de travail, surexploitation, et n’oublions pas qu’au Japon, il y a 50 ans, le concept de karoshi (mort par surmenage) a été inventé après une série de tragédies d’employé.e.s. Pourtant, malgré cela, la productivité continue de baisser dans cette puissance capitaliste.
Par conséquent, plutôt qu’un « modèle de capitalisme actualisé », nous sommes confrontés à un pouvoir qui est clairement en déclin en raison de ses paramètres économiques actuels et structurels.
Ainsi donc, le capitalisme « social » nordique est une alternative ? Jetons un coup d’œil à l’image.
La première chose, pour être clair, est que le modèle social-démocrate tant vanté de l’État-providence nordique a été démantelé au cours des 40 dernières années. Les processus électoraux de ces dernières années au Danemark, en Suède et en Norvège, avec des renversements et des défaites des coalitions hégémonisées par la social-démocratie en faveur de l’émergence de forces réactionnaires, anti-immigrés, anti-droits et néolibérales, cristallisent la désillusion vis-à-vis d’un centre-gauche droitisé qui administre des plans d’austérité depuis au moins la fin des années 1980 et 1990. Ce n’est pas un éclair dans un ciel dégagé. Comme dans le cas du « modèle phare d’innovation et de progrès » du Japon, la fausse idéologie du bien-être capitaliste et social-démocrate nordique est une autre imposture, fondée sur la désinformation et la manipulation délibérée.
Il existe une documentation abondante qui prouve, par exemple pour la Suède, le passage du modèle d’après-guerre jusqu’aux années 80 basé sur des politiques publiques à contenu keynésien à un démantèlement progressif puis accéléré de ce schéma en faveur du capital financier, hégémonisé par pas plus d’une douzaine de clans familiaux qui se sont appropriés des entreprises publiques à travers les privatisations et qui sont passés du paiement d’impôts élevés à la réception d’énormes subventions pour garantir des taux de rentabilité moyens qui ont consolidé un saut très important dans l’inégalité sociale.
Au Danemark et en Norvège, la réalité a été la même. L’inégalité des revenus et la concentration de la richesse personnelle dans une poignée de capitalistes locaux transformés (1%) associés à des multinationales se sont accrues depuis les années 1980, avec un saut qualitatif après la crise de 2008-9.
Simultanément et dialectiquement, la part des salaires des travailleurs dans la richesse nationale a chuté de plus de 50% au cours de la même période.
Il est vrai que, comparativement, les petites économies nordiques s’en sortent généralement mieux que la plupart des pays de la zone euro. Ainsi, par exemple, la croissance moyenne du PIB réel a été légèrement supérieure à la moyenne de l’UE et l’impact de la baisse de la COVID a été moindre.
Cependant, ni le Danemark, ni la Suède, ni la Norvège n’ont échappé à l’escalade inflationniste avec la hausse des taux d’intérêt, et avec ce scénario, les troubles sociaux et le dégoût de la société se multiplient. Ce qui est politiquement contradictoire, c’est que la débâcle du centre-gauche et de sa base de soutien syndical dans les bureaucraties de cols blancs libère un espace politique pour la croissance des droites émergentes.
Indépendamment de cette coupure synchronique, ou plutôt du « tableau » de la situation dans cette région du monde aujourd’hui, la projection à la baisse de la rentabilité moyenne des entreprises d’origine nordique anticipe, dans le cadre du capital, des politiques d’austérité qui ne manqueront pas d’encourager le processus de lutte des classes et d’ouvrir des opportunités pour la gauche dans la période à venir. En tout état de cause, l’équation économique générale de ces pays, faussement présentée comme « la preuve incontestable d’un capitalisme vertueux et réussi », finira par se résoudre sur ce terrain et dans la capacité des socialistes révolutionnaires à intervenir et à se renforcer.
Au-delà des fausses idéologies et du bon sens : un résumé de l’orientation bourgeoise dans cette période
Tout au long de ce rapport, nous avons présenté des aspects partiels de l’image générale de l’économie au cours des deux dernières années et des coordonnées sur la projection de l’hypothèse à venir la plus probable. A ce stade, il s’agit d’esquisser l’orientation précise actuelle de la bourgeoisie, chez ses fractions dominantes ou hégémoniques, au-delà des tensions et des contestations.
En réalité, comme dans chaque crise, et peut-être que celle qui traverse l’économie capitaliste depuis 2008-9 est la troisième plus importante de l’histoire du système (après la dépression de 1873-1895 et le krach de 1930), il y a des symptômes de confusion, d’improvisation et de désorientation dans la classe dirigeante (ainsi que dispute pour l’hégémonie et des frictions interimpérialistes). Par conséquent, nous identifions un programme d'”émergence” d’un certain conjoncturalisme bourgeois, qui mise sur le gain de temps tout en continuant à défendre et à appliquer partout où il le peut sa plateforme de contre-révolution économique et sociale contre les masses, leurs conditions de vie et les écosystèmes.
Dans l’immédiat, l’orientation générale se résume à ce qui suit :
- D’abord, « refroidir » l’économie en augmentant les taux d’intérêt, en resserrant la liquidité monétaire. De cette manière, ils visent à tempérer l’inflation et décourager le processus de la lutte des classes. Ils choisissent cette voie en sachant que les conséquences de la récession entraîneront du chômage et davantage de pauvreté. La bourgeoisie préfère cela à l’approfondissement du conflit social et à la polarisation. Notre hypothèse est que l’inflation est due à des facteurs structurels autres que la revendication salariale et donc qu’un horizon proche d’inflation + stagnation est le plus probable. En d’autres termes : stagflation mondiale.
- Deuxièmement, la ligne globale, surtout dans les semi-colonies, est l’ajustement afin de payer les dettes, préparant un nouveau cycle de « thérapie de choc », basé sur des réformes dites structurelles. La fragilité économique des pays dits émergents, même dans les puissances, est telle, et le poids de l’endettement si important, que le risque d’insolvabilité dû à l’impossibilité politique et sociale de mettre en œuvre les ajustements nécessaires apparaît comme l’un des maillons les plus explosifs de la période à venir.
Cet paquet de mesures d’urgence, en réponse à l’immédiateté de la crise, rejoint l’aspiration stratégique d’une plateforme visant à contrecarrer la baisse globale du taux de profit en prenant l’économie-monde dans son ensemble :
- L’agenda des réformes du travail, pour enterrer les droits ouvriers qui sont encore préservés.
- Réforme fiscale, avec une charge plus lourde pour les secteurs moyens et la classe ouvrière, et des exemptions-subventions pour la grande bourgeoisie.
- Réforme des retraites.
- Renforcement d’une matrice de production écocide pour obtenir des intrants primaires à moindre coût (avec le facteur aggravant de la guerre en Ukraine, qui renforce l’utilisation des combustibles fossiles et l’aggravation consécutive du changement climatique mondial).
- Plus de pressions impérialistes, aggravées par le différend entre les États-Unis et la Chine, qui agit comme une tenaille sur les pays : le FMI et les entreprises américaines d’un côté, la Route de la soie et l’expansion du capital chinois de l’autre.
Enfin, au-delà des modes intellectuelles et des tentatives pour l’enterrer, Marx revient sans cesse pour aider à clarifier le tableau : le capitalisme surmonte ses crises en renforçant l’exploitation du travail et de la nature. Dans ses mains, les progrès technologiques prodigieux sont une source de crise parce qu’ils ne servent qu’à maximiser le profit privé et qu’à déplacer les travailleurs de la production, faisant baisser le taux de profit global.
Et aucune robotisation, automatisation, intelligence artificielle et internet des objets ne peut remplacer la classe ouvrière qui, comme Marx, est toujours en vigueur, prend du poids et ne recule pas : selon l’OIT, il y a 3,5 milliards de travailleurs.euses dans le monde et jamais le poids de la classe ouvrière n’a été aussi important du point de vue quantitatif. C’est pourquoi sa position stratégique dans l’économie reste décisive et c’est pourquoi la sortie du cercle de la crise capitaliste consiste pour la bourgeoisie à récupérer le taux de rentabilité sur la base de la hausse des niveaux d’exploitation de la force de travail comme jamais auparavant, en obtenant plus de commodities et de matières premières bon marché, et tout cela est possible en supprimant les droits du travail, en rendant le travail précaire, en provoquant plus de catastrophes environnementales. Tous leurs porte-parole et leurs centrales idéologiques se consacrent à expliquer que les lois du travail rigides des pays doivent être « assouplies et modernisées », qu’il faut alléger la charge fiscale pesant sur les entreprises afin d’encourager les investissements et, dans le même temps, repousser l’âge de la retraite, car les systèmes de pension seraient « non viables ». En outre, les dettes extérieures des pays périphériques ajoutent un facteur supplémentaire de pillage économique et de conditionnement politique au sens de l’agenda expliqué ci-dessus.
C’est pourquoi, en dehors des disputes interimpérialistes, il existe un programme qui unifie la bourgeoisie mondiale et dont la variable d’ajustement sont les masses du monde. Ce véritable plan de guerre contre-révolutionnaire est l’« usine » réelle de la polarisation sociale et politique, de la lutte des classes, des rébellions, des droites émergentes et des opportunités pour les révolutionnaires.
« Détresse », crise civilisationnelle, des forces destructrices
Alors que nous étions sur le point de finaliser cette contribution au débat pré-congrès de la LIS, nous avons lu le dernier Rapport sur le développement humain (RDH) des Nations unies couvrant les années 2021-2022. Cela nous a semblé si révélateur des points que nous avons depuis longtemps proposé, que nous allons le citer car on s’étonne de ce genre de « confession de partie » d’une organisation impérialiste.
Selon le RDH (qui est produit depuis 1990 et mesure la qualité de vie des personnes en fonction de divers paramètres), la perception de l’avenir par la population mondiale est plus pessimiste qu’à n’importe quel moment de l’histoire moderne depuis au moins la Première Guerre mondiale. D’une manière ou d’une autre, sans le vouloir, le rapport englobe une étude de l’ensemble de l’époque impérialiste telle que nous l’avons périodisée depuis le marxisme révolutionnaire à la suite de Lénine.
Le rapport examine les caractéristiques et les tendances linguistiques au cours des 125 dernières années de l’histoire de l’humanité et constate une « forte augmentation des expressions qui reflètent les distorsions cognitives associées à la dépression et à d’autres formes de détresse mentale ». Plus précisément : au cours des 20 dernières années (de 2002 à aujourd’hui), le langage populaire reflète « des perceptions extrêmement négatives du monde et de son avenir ». Les niveaux actuels de détresse sont sans précédent et dépassent ceux de la crise des années 1930 et des deux guerres mondiales !
Dans l’ensemble, le repli du rapport coïncide avec la quasi-totalité de la période post-crise de 2008-9, et même légèrement avant.
Ce n’est pas tant l’inflexion psychologisante du Rapport qui importe, mais le caractère révélateur d’un état d’esprit des masses dans le monde dans leur rapport au système capitaliste et leurs perspectives de vie, selon notre propre analyse.
La profondeur de la perception sceptique de l’avenir du monde en termes actuels, plus que pendant les deux guerres mondiales, exprime la dimension de la crise civilisationnelle du projet capitaliste pour les êtres humains et l’ensemble de la nature.
Notamment parce qu’il y a déjà eu des crises capitalistes auparavant. Mais la combinaison de crises multiples telle qu’elle se présente actuellement est unique :
- Dépression économique, où les revenus réels stagnent ou même chutent.
- Pauvreté, qui augmente en même temps que les inégalités de plus en plus.
- Modèle de comportement plus parasitaire que jamais du capital qui n’investit pas de manière productive, mais spécule dans une optique à court terme.
- Le désastre environnemental qui balaie actuellement le monde.
- Au lieu d’une coopération internationale globale, les tensions et les différends économiques, politiques et militaires s’intensifient.
Le bureaucrate de l’ONU chargé de la présentation du rapport a souligné ce qui suit : « Nous vivons des temps incertains. La pandémie de Covid-19, qui en est à sa troisième année, continue de générer de nouvelles variantes. La guerre en Ukraine se répercute dans le monde entier, causant d’immenses souffrances humaines, notamment une crise du coût de la vie. Les catastrophes climatiques et écologiques menacent le monde au quotidien ».
Il a poursuivi : « Les couches d’incertitude s’accumulent et interagissent pour perturber nos vies d’une manière sans précédent. Les gens ont déjà été confrontés à des maladies, des guerres, des perturbations environnementales. Mais la confluence de pressions planétaires déstabilisantes, d’inégalités croissantes, de transformations sociales radicales visant à atténuer ces pressions et d’une polarisation généralisée constitue des sources d’incertitude nouvelles, complexes et interactives pour le monde et ses habitants. Les gens du monde entier nous disent maintenant qu’ils se sentent de plus en plus insécurisés. Faut-il s’étonner, alors, que de nombreuses nations craquent sous la pression de la polarisation, de l’extrémisme politique et de la démagogie, le tout suralimenté par les médias sociaux, l’intelligence artificielle et d’autres technologies puissantes ? »
La clôture de la présentation du fonctionnaire est impressionnante : « Dans une première surprenante, nous constatons que la valeur de l’Indice de développement humain global a diminué pendant deux années consécutives à la suite de la pandémie de Covid-19 ».
On estime qu’au moins 20 millions de « vies inutiles » ont été perdues à cause de la pandémie de COVID, notamment dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Les séquelles demeurent et s’aggravent même. Des milliards de personnes sont aujourd’hui confrontées à la plus grande crise du coût de la vie depuis une génération. Ils sont déjà aux prises avec l’insécurité alimentaire, due en grande partie aux inégalités de richesse et de pouvoir qui déterminent les droits à l’alimentation. Les blocages de la chaîne d’approvisionnement mondiale se poursuivent, contribuant à la hausse de l’inflation dans tous les pays à des taux jamais vus depuis des décennies.
Nous ne nous attarderons pas sur les références à la dynamique socio-environnementale de la planète, car nous ferons une contribution spécifique au 2e Congrès de la LIS à ce sujet. Mais il est frappant de constater qu’en matière de climat, le Rapport des Nations unies nous rappelle que ces dernières années ont vu se multiplier les records de température, d’incendies, de tempêtes dans le monde. Il parle de « code rouge pour l’humanité » sur le climat.
La dépression économique et la catastrophe écologique s’accompagnent d’incertitude, d’insécurité, de polarisation politique. Une masse énorme se sent frustrée et aliénée. Le mécontentement à l’égard du capitalisme n’a jamais été aussi profond. Les conflits armés sont également en hausse. Pour la première fois dans l’histoire, plus de 100 millions de personnes sont contraintes de se déplacer, la plupart à l’intérieur de leur propre pays.
Un élément dévastateur de plus pour nous amener à la dernière partie de ce document : pour la première fois depuis l’origine du capitalisme, l’espérance de vie diminue.
L’espérance de vie est l’une des mesures du développement humain. Dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs, en moyenne, environ 70% des enfants vivaient jusqu’à l’âge de 15 ans, mais la moyenne était plus proche de 50 ans pour les plus de 15 ans. Enfin, avec le développement ultérieur du capitalisme, l’espérance de vie est passée à 75-80 ans. Si l’on admet que l’espérance de vie est une bonne mesure du développement humain, les dernières données sont révélatrices du capitalisme au XXIe siècle.
L’espérance de vie est tombée aux États-Unis en 2021 à son plus bas niveau depuis 1996, deuxième année d’un déclin historique. Et le phénomène n’est pas propre à ce pays : il se consolide comme une tendance mondiale après le COVID.
Ce document porte sur l’économie mondiale. Mais nous ne voulions pas négliger d’introduire tout cet angle pour montrer la nature concrètement anti-humaine du capitalisme dans cette époque historique.
Les « promesses » du système depuis la chute du Mur, d’une globalisation positive, d’une interaction harmonieuse des peuples du monde au service d’un capitalisme humanisé et progressiste, ont été enterrées à jamais.
La définition léniniste de l’époque impérialiste et décadente du capitalisme, faite de crises, de guerres, de révolutions (et de pandémies), avec la révolution socialiste comme tâche historique pour le dépassement général de cette impasse civilisationnelle, est réaffirmée.
La critique politique vis-a-vis de l’économie du système actuelle développe enfin la base matérielle de cette « angoisse » et de ce « mécontentement » de masse comme symptôme aigu de la crise civilisationnelle ou poly-crise, telle qu’elle a été définie au Forum de Davos 2023, rien de moins.
C’est aux capitalistes de payer la crise ; planification démocratique versus anarchie bourgeoise
Vue le poids de la crise économique en général et l’importance des issues alternatives dans le débat politique chez l’avant-garde, il est une tâche essentielle à ce stade celle d’armer en profondeur les cadres et les militants de nos organisations avec un ensemble d’axes programmatiques sur l’économie qui nous permettent de lutter pour nos positions socialistes et révolutionnaires. De cette façon, nous pouvons attirer les meilleurs éléments de l’avant-garde pour nos partis et groupes, et agiter des slogans corrects vers des franges de masses dans une perspective de polarisation qui tendra à amplifier l’audience sociale de nos idées. Donner nos réponses transitoires, anticapitalistes et socialistes, expliquer notre approche économique alternative pour une issue indépendante des travailleurs et des masses pauvres à la crise systémique est l’une des activités les plus importantes pour gagner des militants avec niveau politique et pour qualifier nos structures de cadres. Dans ce sens, nous présentons une énumération conceptuelle d’axes programmatiques :
* Face au phénomène global de l’inflation, il s’agit d’abord de relever une augmentation générale des salaires, équivalentes au coût réel de la vie et indexables automatiquement tous les trois mois sur l’évolution des prix.
* Contre les remarques spéculatives des faiseurs de prix ayant un pouvoir de marché monopolistique, établir des plafonds de prix obligatoires, des sanctions de patrimoine et pénales pour les grands propriétaires et l’expropriation des entreprises en dernier recours, avec nationalisation et contrôle mixte des travailleurs et des consommateurs.
* Pour la défense du droit social au travail, occupation de toute entreprise qui ferme ou licencie des travailleurs. Contrôle des travailleurs, ouverture des livres comptables. Suppression du secret commercial. Expropriation et nationalisation sans indemnisation, sous la direction des travailleurs.
* Pour assurer le plein emploi, le partage du temps de travail, la réduction du temps de travail sans affecter les salaires.
* Suspension du paiement des dettes extérieures. Sur la base de ces ressources, financer les travaux publics et les plans d’infrastructure, notamment le logement populaire afin de relancer l’économie et de garantir le droit social au logement.
* Réforme fiscale intégrale : élimination de toutes les taxes sur la consommation populaire et imposition permanente et progressive des grandes fortunes (entreprises, banques, agrobusiness) et des particuliers.
* Nationalisation des banques privées et du système financier, ainsi que du commerce extérieur sous le contrôle des travailleurs, comme mesure pour disposer d’un levier clé dans l’administration du crédit et du circuit d’import-export au profit de la majorité sociale.
* Pour la défense du système de retraite solidaire, non pas comme une « subvention vieillesse » mais comme un salaire différé, équivalent à 82% mobile du meilleur salaire du travailleur.euse appartenant à la même activité.
* Pour garantir les services publics en tant que droits sociaux, nationalisation de toutes les entreprises privatisées d’énergie, de transport, de télécommunications, d’eau et autres, sans compensation, sous le contrôle social des travailleurs et des usagers.
* Augmentation qualitative du budget de l’État dans les domaines de l’éducation et de la santé, basée sur la captation des ressources des sources mentionnées ci-dessus (suspension des dettes, imposition des riches) et élimination des subventions économiques aux églises et à la médecine privée.
* En faveur de la recherche scientifique et de l’innovation technologique par l’État et de son incorporation massive dans le processus productif, non pas pour remplacer des travailleurs.euses mais pour alléger la charge générale et collective du travail socialement nécessaire.
* En opposition à l’anarchie capitaliste de la production, pour la planification démocratique avec intervention directe de la classe ouvrière dans tout le circuit de l’économie, y compris la distribution et la commercialisation générale avec projection régionale et internationale.
* Pour une matrice de production et de consommation stratégiquement adaptée aux conditions des écosystèmes, pour un rapport harmonieux, durable dans le temps et discuté consciemment par le mouvement de masse.
Conclusions : crise chronique, désordre économique, des opportunités
Tout au long du document, nous décrivons des aspects partiels du scénario économique mondial, en nous concentrant sur des questions, en fournissant des informations que nous considérons utiles pour le militantisme de la LIS et des outils pour la lutte idéologique contre le sens commun dominant que la bourgeoisie mondiale essaie de maintenir. En bref, nos principales affirmations sont les suivantes :
- L’économie mondiale ne se remet pas de la crise de 2008-9. Le taux de profit mondial n’a jamais atteint les niveaux antérieurs à ce point de basculement. Ce facteur prévaut comme une cause déterminante de toute la dynamique de l’économie depuis près d’une décennie et demie.
- La pandémie d’abord, puis la guerre en Ukraine, ne sont pas la cause de la crise capitaliste mondiale : ce sont des symptômes de la crise civilisationnelle (la pandémie en raison de la matrice de production irrationnellement prédatrice, la guerre dans le cadre des conflits interimpérialistes pour l’hégémonie mondiale). En même temps, les deux ont amplifié toutes les contradictions précédentes, ajoutant de l’huile sur le feu.
- Le tableau de l’économie mondiale montre que l’année 2021 a connu une reprise de type « rebond » et que l’année 2022 était déjà un recul planétaire. 2023 et 2024 apparaissent à l’horizon comme des années de probable récession mondiale, avec une caractéristique particulièrement conflictuelle en termes politico-sociaux : la stagflation.
- Le poids de la dette des entreprises privées et publiques est l’un des maillons les plus fragiles de l’économie-monde. Le surendettement, l’expansion du capital fictif, la spéculation sur l’investissement productif, constituent un cercle vicieux qui s’auto-alimente et prépare les conditions de nouvelles crises.
- La bourgeoisie mondiale déploie un plan de guerre contre les masses, leur niveau de vie et leurs droits, et contre la nature. Son caractère réactionnaire et décadent entraîne l’humanité dans une involution civilisationnelle typique des époques révolutionnaires.
- En même temps, il ressort de nos recherches et de nos analyses que, dans la situation mondiale, les contre-mesures de la bourgeoisie impérialiste, comme par exemple la hausse des taux d’intérêt pour refroidir l’économie, sont le résultat jusqu’à présent de l’impossibilité d’appliquer les contre-réformes structurelles auxquelles le mouvement de masse résiste de manière inégale mais permanente : l’agenda des réformes du travail-retraites-impots. Il est clair que les progrès réactionnaires des capitalistes dans cette direction ne sont que partiels et ne correspondent pas à ce dont ils ont besoin pour une stabilisation globale sur la base d’un redressement du taux de profit planétaire.
- Nous, socialistes révolutionnaires, avons le seul programme réaliste et pratique pour sortir de la crise intégrale en réorganisant toutes les règles économiques de la propriété, de la production, de la consommation et de la circulation, et c’est une tâche décisive de la LIS de l’assimiler, de l’enrichir et de le diffuser de manière conséquente.
- Enfin, nous, socialistes révolutionnaires, comprenons l’économie comme de la « politique concentrée », telle que définie par Lénine. C’est pourquoi, en fin de compte, ce sera la lutte des classes qui déterminera la dialectique des événements économiques au cours desquels la LIS, par le biais de ses sections nationales, aura l’occasion de tester des hypothèses, une politique et une orientation afin de croître et de se renforcer.