Nous avons interviewé le camarade Farid Ziane, militant socialiste en Algérie, autour du conflit israélo-palestinien et les sentiments du peuple algérien aujourd’hui. Malgré l’interdiction du gouvernement, un rassemblement pro-palestinien s’est tenu vendredi 13 en Alger, la capitale.
Comment vit-on en Algérie les évènements de Gaza ?
Il est peut être utile de rappeler qu’en Algérie et particulièrement dans les milieux populaires, il y a une forte sympathie pour la question palestinienne perçue comme une cause anticoloniale légitime au même titre que la légitimité du combat en Algérie contre le colonialisme français. C’est pourquoi on trouve toujours présents les drapeaux palestiniens dans différentes manifestations en Algérie contre le gouvernement ou dans les gradins des stades à l’occasion de matchs de football.
Pour revenir à l’actualité, l’offensive du Hamas de part son ampleur et son efficacité a surpris plus d’un. Elle a surpris aussi parce que les masses ont observé qu’à l’alignement systématique de l’impérialisme sur les positions d’Israël s’est ajouté celui des États arabes normalisateurs qui a fait dire à plusieurs observateurs que la question palestinienne est définitivement reléguée au second plan. Et là on constate que ce retour avec fracas de la question palestinienne au devant de la scène faisant même de l’ombre à la question ukrainienne a démenti avec force ces analyses pessimistes.
En même temps l’offensive du Hamas a été accueillie avec enthousiasme et joie tout en pensant aux représailles d’Israël qui feraient, comme il est de coutume, des milliers de morts et de blessés civils sous les coups des bombardements. D’ailleurs c’est ce à quoi on assiste. Un « gouvernement de guerre » a été mis en place par Netanyahu dont la mission serait l’anéantissement de la résistance palestinienne. Ce consensus colonial au sein de la société israélienne est dangereux et met en difficulté les voies pacifistes ou antisionistes israéliennes. D’où la nécessité d’intensifier les campagnes de solidarité à l’international.
Est-ce qu’il y a des initiatives en soutien des palestiniens ?
La Palestine a toujours été un facteur de politisation et de mobilisation en Algérie. Par exemple en janvier 2009 dans un contexte marqué par l’interdiction de manifestations à Alger, c’est autour de la solidarité avec la Palestine soumise à l’époque aux bombardements israéliens que s’est constitué un rapport de force qui a imposé le droit de manifester à Alger. Avant il y avait deux tentatives de manifestation initiées par notre collectif au sein de l’université de Bouzareah, hauteurs d’Alger, empêchées par des dispositifs de sécurité importants.
Maintenant ça discute beaucoup de ce qui s’y passe, de la trahison des pays arabes, de l’alignement totale des puissances occidentales sur le narratif sioniste. L’indignation est trop forte et finalement a débouché sur un rassemblement en dépit du climat autoritaire qui règne en Algérie. Le droit de manifester pour soutenir la Palestine n’est pas totalement acquis en dépit du soutien officiel qu’affiche l’Algérie à cette cause et son refus de normalisation avec l’État colonial.
Quelle est, à ton avis, l’issue pour ce conflit historique ?
Difficile de voir actuellement le bout du tunnel tellement la situation s’est compliquée davantage. La solution à deux États adoptée à l’issue des accords d’Oslo est déjà caduque, la poursuite des colonies en Cisjordanie et le blocus de Gaza ont réduit la surface de la Palestine en peau de chagrin, sans continuité territoriale. C’est de cette situation pourrie que sont nées et grandi des organisations réactionnaires tels le Hamas qui a largement tiré profit du discrédit de l’Autorité palestinienne devenue collaboratrice d’Israël. Mais les islamistes du Hamas ont aussi déçu à l’épreuve du pouvoir, déception qui ne peut que s’accentuer après la normalisation de plusieurs pays arabes auxquels sont associés les sections locales des Frères musulmans à l’image du Parti de la justice et du développement (PJD) au Maroc. Ce qui fait que la flamme de la résistance est gardée intacte parmi la population palestinienne qui se détourne de ses représentants politiques autoproclamés.
Mais une nouvelle direction politique tarde à émerger, le colonialisme israélien veille à couper la tête à toute nouvelle figure qui émerge et Marwan Barghouti, figure de proue de la deuxième intifada croupit encore en prison. Mais nous faisons toujours confiance à la capacité des colonisés à relever la tête, à inventer leurs nouveaux instruments de lutte et de combat contre le colonialisme. La question nationale est légitime, on ne peut que la soutenir en espérant qu’elle soit réglée sous le drapeau du socialisme et de la fraternité des peuples. À condition qu’une telle direction politique existe du côté palestinien qui tendrait la main à un mouvement ouvrier Israélien capable de se débarrasser de sa mentalité coloniale. Le chemin est dur mais il n’y a pas de raccourcis.
Interview : Pablo Vasco