Dimanche dernier, les élections PASO en Argentine ont marqué un point de rupture dans la situation du pays. La défaite brutale du macrisme a eu une portée bien plus grande que toutes les prévisions. Une crise politique en pleine évolution et dont la fin est incertaine s’est ouverte. Dans le cadre du FIT-Unité, des accords importants ont été exprimés et aussi des polémiques. Nous résumons dans cet article les thèmes en discussion et nos positions en tant que MST.
Parallèlement à cet article, la coalition que nous formons avec le PTS, le PO et l’IS[1], publie une déclaration politique commune. Elle exprime quelques accords de caractérisation générale sur la crise, et au moins deux points importants que nous revendiquons positifs : • Le besoin d’exiger une grève générale et un plan de lutte à l’ensemble de la bureaucratie syndicale.
• Un programme de revendications économiques en tant que réponse immédiate à la crise pour qui soient les banquiers et les grands entrepreneurs qui en payent.
À partir de là, et avec ce seuil d’accord, des débats marquants se sont manifestés sur lesquels nous voulons donner notre vision.
¿Qu’il s’en aille (ou) qu’il reste? Sur des « dialogues » et niveau de conscience
Un premier débat, fondamental, est la politique à mener face au gouvernement macriste. Notre caractérisation est que le rejet massif du macrisme a été concluant. Mais il a également révélé d’autres symptômes présents chez le mouvement de masse :
• Au-delà du caractère déformant du vote dans la démocratie bourgeoise, l’ampleur du rejet électoral exprime un niveau social de rupture et de colère qui corrobore une thèse que nous avons défendue depuis l’année dernière : Macri et la politique du FMI ont survécu de manière artificielle depuis l’année dernière grâce au soutien de la bureaucratie syndicale et du péjotisme[2] parlementaire et des gouverneurs.
• Le sens du rejet du macrisme comprend et va au-delà de l’orientation d’ajustement imposée par le FMI. Autrement dit, c’est plus qu’une rupture circonstancielle avec le gouvernement, c’est contre une politique de confiscation sociale des grandes majorités et la « promesse » de réformes du travail et de la prévoyance sociale.
• C’est un coup porté à la fausse idéologie du « tournant droitier » de masse en Amérique latine. Les plans de repositionnement yankee sur le continent avec Trump, soutenu par Bolsonaro, Piñera et Duque, sont frappés de plein fouet. Preuve de la réserve sociale chez le mouvement de masse de notre pays pour faire face à l’agression capitaliste, et en liaison, la responsabilité des directions politiques et syndicales en bloquant son plein développement.
Par conséquent, avec ce contexte, notre parti n’a aucun doute : la gauche anticapitaliste et socialiste a la responsabilité de poser maintenant « Que Macri et le FMI s’en aillent, sans attendre une minute ». Même parce que, depuis dimanche même, la panique bourgeoise face à l’ampleur de la crise globale du régime politique met la responsabilité majeure des organisations révolutionnaires celle de déployer des politiques en sens exactement opposé à celui des capitalistes, décidés à stabiliser la situation. C’était notre première proposition au Bureau national du FIT-Unité par écrit et lors d’un débat oral. Pour résumer, disons que le PTS, le PO et l’IS ont rejeté cette proposition :
• Le PTS, avec deux arguments : le premier est que « comme la majorité a voté pour Alberto Fernández, poser ‘Macri, hors maintenant’ ne ‘dialogue’ pas et se heurte à l’attente majoritaire de voter pour lui en octobre ». Et puis, un deuxième argument : poser « Macri, hors maintenant » serait de permettre à Alberto de prendre ses fonctions. En réalité, c’est précisément le contraire : ne pas poser ce mot d’ordre comme tâche immédiate implique de soutenir Macri et, en fait, de laisser courir la canalisation institutionnelle-bourgeoise avec les « normales » élections d’octobre pour que la formule F-F finalement soit gagnante et que les capitalistes bouclent conjoncturellement leur crise.
• Le PO, évidemment conditionné par sa crise fractionnelle avec le secteur d’Altamira, ordonne sa politique non pas pour la réalité du mouvement de masse et ses besoins, mais pour sa lutte interne. Alors, il ne veut pas ressembler du tout à l’autre fraction, même s’il s’agit de mettre en place une politique correcte.
• Pour sa part, l’IS réduit son approche à un programme syndical et économiste (« grève et plan d’urgence »), presque comme à n’importe quel moment.
Finalement le FIT-Unité, soit pour ne pas se confronter avec la base électorale K (« qui a des attentes sur Alberto et sur voter pour lui ») comme dit le PTS, soit pour des luttes fractionnelles ou économisme, la principale coalition anticapitaliste socialiste du pays refuse d’exiger que le gouvernement massivement répudié s’en aille de façon anticipée. À notre avis, une grande erreur.
C’est au mouvement des masses de décider ou non ?
Une autre controverse porte sur l’utilisation et la pertinence du mot d’ordre « Élections anticipées, mais pour une Constituante libre et démocratique ». Sur ce point-là, un schéma se répète :
• Le PO le rejet, parce qu’il est posé par son adversaire fractionnel.
• IS ne la voit pas placée dans la réalité, et donc tout au plus pour la propagande reste « un gouvernement de travailleurs ».
• Et le PTS le limite à une propagande défensive, mais pas pour l’agitation de masse.
C’est-à-dire, vis-à-vis d’une crise politique qui remet en cause toute la légitimité du gouvernement et du régime politique, car un gouvernement qui a été massivement rejeté est dans l’air, sans qu’un nouveau gouvernement ait encore été élu ; face à la panique bourgeoise que révèlent les éditoriaux des principaux médias en parlant de « gouvernance en question », la gauche révolutionnaire… n’a d’autre proposition politique d’issue que celle qu’elle disait en campagne ou presque la même chose.
Notre vision est très différente :
• Exigence que Macri s’en aille maintenant.
• Nous opposons à l’ajustement dévaluationniste un programme d’urgence économique pour la défense du travail, du salaire, des retraites et du patrimoine national et de rupture avec le FMI.
• Nous posons l’exigence de grève générale et plan de lutte.
• Et nous posons comme partie de l’agitation propagandiste de masse (oui, vis à vis des masses), le besoin que c’est à la classe ouvrière et à la population entière de décider et de prendre dans leurs mains, pas en octobre mais avant, pas un changement de figure dans la gestion étatique de l’ajustement mais avec une Assemblée constituante -c’est-à-dire établissant de nouvelles règles légales-, libre -discutant tout : FMI, services privatisées, salaire, le rapport avec l’Église, tout-; souveraine -sans conditions- et démocratique -avec un mécanisme qui considère le pays comme district unique et qui élit un député tous les 30.000 habitants-, sur le cap général et sur l’orientation de l’Argentine.
En d’autres termes, nous sommes convaincus que c’est la manière de mettre en évidence le pacte de co-gouvernement en cours entre Macri et F-F ; et en même temps, de proposer une issue démocratique et transitionnelle à la crise politique d’ensemble du pays qui puisse en perspective, soutenue par la mobilisation, ouvrir une dynamique de rupture avec l’ensemble de l’institutionalité capitaliste. Et bien sûr, même s’il n’est pas placé aujourd’hui, nous proposons comme stratégie pour la propagande -c’est-à-dire pour l’explication patiente- le gouvernement des travailleurs et des secteurs populaires. Malheureusement, le FIT-Unité se désengage de cette politique clé dans le paysage actuel.
L’intervention politique dans la crise : être ou non un pôle de référence
Nous avons à l’intérieur du front une autre polémique, décisive : la nature de l’intervention de cette coalition dans la crise. Notre proposition en tant que MST est ponctuelle, claire et nette : nous proposons une énorme mobilisation politique du FIT-Unité sur la Place de Mai et toutes les places du pays, bien sûr avec le syndicalisme lutte de classe, mais avec une évidente prédominance de notre front en politique, pour apparaître clairement comme un pôle alternatif vis-à-vis du pacte de co-gouvernement du macrisme et du PJ.
Là encore, nous ne sommes pas d’accord. En effet, le PO et l’IS insistent sur un type d’intervention syndicale, qui subordonne le FIT-Unité à un plan secondaire et relégué, voire le dilue dans une action des « syndicats », c’est-à-dire, en réalité, de l’actif mobilisé de certains syndicats où nos forces ont une certaine influence. Le PTS, quant à lui, a une position centriste et n’est pas en mesure de soutenir notre point de vue, encore une fois préoccupé de ne pas délimiter clairement le FIT-Unité du kirchnérisme qui bloque activement l’action du mouvement de masse et qui laisse passer la dévaluation confiscatoire.
Plus encore : Del Caño[3] fait centre et agitation politique sur la proposition de réunir le Parlement, qu’il siège de manière télévisée, et même de convoquer à mobiliser pour soutenir les mesures qui cette repaire du régime débatte. Carrément au Congrès dominé par les blocs capitalistes qui pactisent la gestion de l’ajustement en cours et la dévaluation confiscatoire ! Grosse erreur d’adaptation institutionnelle, lorsque, par contre, en général la tâche d’une force révolutionnaire vis à vis des institutions du régime démocratique-bourgeois, sur tout en temps de crise, c’est d’en stimuler la méfiance des masses en démasquant leur rôle de ressource de stabilisation du pouvoir capitaliste.
Cette partie de la polémique, en fin de compte, résume les différences et les nuances : nous pensons que face à une telle crise politique, le FIT-Unité doit être un acteur de premier ordre pour polariser avec toutes les forces bourgeoises et la bureaucratie syndicale, et d’opposer un programme donnant une perspective anticapitaliste et socialiste au rejet social au macrisme et au FMI; et surtout, qui apparaisse se postulant avec force devant des millions dans tous les domaines, mais principalement dans les rues, devant le quiétude de l’opposition bourgeoise pour être un canal exprimant une action indépendante de toutes les variantes patronales. Ce sont ces moments d’inflexion où sont mises à l’épreuve les politiques, les directions et, en particulier, les changements brusques dans la situation qui enregistrent de façon indélébile dans la conscience de millions de personnes le rôle des forces politiques, Le FIT-Unité a encore le temps de changer et de ne pas manquer une nouvelle opportunité. Le MST, en tant que membre de cette coalition, insistera sur ce point.
Direction nationale du MST dans le FIT-Unité
Le 16 août 2019
[1] Parti des travailleurs socialistes, Parti ouvrier, Gauche socialiste.
[2] Dérivé du PJ, le Parti justicialiste, péroniste.
[3] Candidat présidentiel du FIT-Unité, dirigeant du PTS.