Par : GUEDECHE KHALED ET HADJEM MADJID , ENSEIGNANTS-CHERCHEURS À L’UMMTO
” L’accord d’association n’a fait qu’entériner un fait déjà bien établi, à savoir que chacune des deux parties représente un partenaire privilégié pour l’autre. Tandis que l’Algérie demeure un des plus importants fournisseurs en matières premières et en hydrocarbures, l’UE reste le plus important fournisseur de l’Algérie en produits alimentaires et manufacturiers.”
L’accord d’association Algérie-Union européenne constitue une nouvelle attaque contre nos acquis socioéconomiques. Il portera une atteinte majeure aux droits des travailleuses et des travailleurs, aux droits sociaux ou encore à la sécurité alimentaire et environnementale.
À cet effet, tout un arsenal de lois et de directives concernant tous les aspects des secteurs productifs, agricole et industriel, est fin prêt ou en voie de l’être (privatisation tous azimuts d’entreprises, code des douanes, décret relatif aux conditions de morcellement des terres, loi portant codification de la vente et location des terres agricoles, etc.).
Censé reposer sur du “donnant-donnant”, l’accord d’association Algérie-Union européenne est en réalité un accord qui va transformer l’Algérie en un vulgaire comptoir colonial. Qu’en est-il au-juste quinze ans après l’entrée en vigueur de l’accord ?
L’observation de l’évolution du commerce extérieur de l’Algérie, depuis la signature de l’accord jusqu’au premier trimestre 2020, montre que les échanges commerciaux de l’Algérie se déroulent pour la majorité (50% à 65%) avec l’Europe, dont l’UE.
L’accord avec l’UE demeure le principal accord de libre-échange que l’Algérie a signé avec des partenaires étrangers. En 2019, il représentait, selon les données de la Direction générale des douanes, une part de 84,34% de la valeur des échanges dans le cadre des accords (la France, l’Italie et l’Espagne sont les principaux partenaires dans cet accord et y contribuent pour plus de 60%).
En fait, l’accord d’association n’a fait qu’entériner un fait déjà bien établi, à savoir que chacune des deux parties représente un partenaire privilégié pour l’autre. Tandis que l’Algérie demeure un des plus importants fournisseurs en matières premières et en hydrocarbures, l’UE reste le plus important fournisseur de l’Algérie en produits alimentaires et manufacturiers. L’évolution de la balance commerciale de l’Algérie avec l’UE est quasiment la même que celle avec l’ensemble des partenaires étrangers.
À titre illustratif, alors qu’elle est excédentaire depuis 2002, elle devient déficitaire à partir de 2015 et ce, autant avec l’ensemble des partenaires étrangers qu’avec ceux de l’UE pris séparément. Particulièrement, le pic négatif de 2016 que l’on retrouve dans les deux cas. Cela est dû à la rigidité de la structure des importations et exportations de l’Algérie et à leur forte dépendance des cours du pétrole.
En effet, depuis 2013, date de début du recul des cours du pétrole après l’envolée spectaculaire et historique des années précédentes, la balance ne fait que se rétracter. En observant la structure du commerce extérieur de l’Algérie, on s’aperçoit facilement que depuis vingt ans la structure est la même, dominée quasi exclusivement par les produits hydrocarbures et leurs dérivés.
Cette dépendance des hydrocarbures se reflète également dans les indicateurs d’ouverture de l’économie algérienne. En effet, ces quinze dernières années, on peut observer que les taux d’internationalisation et le taux d’effort à l’exportation sont fortement corrélés, tandis que le taux de pénétration demeure constant entre 10% et 15%.
Sur la longue période 2001-2019, la courbe d’évolution de la balance commerciale est fortement corrélée à celle des exportations des hydrocarbures, tandis que celle des exportations hors hydrocarbures présente l’allure d’une droite quasi constante, se confondant pratiquement avec l’axe horizontal du plan orthonormé.
Alors que les exportations algériennes vers l’UE représentaient 25,1% du PIB à la veille de l’entrée en vigueur de l’accord, elles n’en étaient qu’à 11,9% en 2017. Ces chiffres illustrent la forte corrélation des valeurs des exportations avec les cours du pétrole.
Autrement dit, la forte dépendance des exportations algériennes des hydrocarbures.Cela signifie aussi que l’un des objectifs de l’accord, en l’occurrence la diversification des exportations algériennes, n’est pas atteint.
En juin 2015, à l’occasion de la tenue du conseil d’association Algérie-UE, le ministre d’État, ministre des Affaires étrangères a déclaré clairement concernant les dix ans d’application de l’accord d’association entré en vigueur le 1er septembre 2005 que “dans ce partenariat, l’Algérie a donné plus qu’elle n’a reçu (…). Cela fait dix ans qu’on a conclu l’accord et une évaluation s’impose”.
Les chiffres officiels rendus publics par l’Agence nationale pour la promotion du commerce extérieur illustrent la réalité de cet accord qui ruine le pays. Selon cet organisme, en dix ans, l’Algérie a exporté vers les pays de l’Union européenne, hors hydrocarbures, 12,5 milliards de dollars et a importé l’équivalent de 192 milliards de dollars. L’UE est contre toute industrialisation du pays ; elle veut uniquement faire du commerce avec l’Algérie. Pour elle, il y a 40 millions de consommateur, et c’est tout.
D’un côté, elle exige l’ouverture du marché algérien aux investisseurs européens et, de l’autre, elle empêche Sonatrach d’investir dans la distribution du gaz en Europe et le développement de la pétrochimie dans le pays. Pis encore, elle recommande aux autorités algériennes de vendre l’électricité et le gaz sur le marché national au prix international.
L’article 46 incite à “préparer les entreprises énergétiques et les mines aux exigences de l’économie de marché et faire face à la concurrence”. Comment comprendre le fait que ces mêmes secteurs soient visés par la privatisation ?
L’objectif de l’Union européenne est donc de supprimer les barrières réglementaires qui limitent les profits potentiels des grands groupes capitalistes, en livrant au libre marché des secteurs encore relativement protégés, mais également d’autoriser les multinationales à remettre en cause les normes sociales et environnementales qui gênent leur expansion.
Cet accord d’association a créé les conditions de destruction de la production nationale publique et privée par la prohibition de toute forme de protection de l’outil productif national. Cet accord va donc porter une atteinte majeure aux droits des travailleuses et des travailleurs (le Code du travail), aux droits sociaux (la Sécurité sociale) ou encore à la sécurité alimentaire et environnementale.
Grâce à lui, des multinationales de la chimie comme Monsanto pourront plus facilement propager leurs OGM, au détriment de la santé publique. Abordant le volet politique de l’accord, un article interdit explicitement aux autorités algériennes de prendre toute mesure qui le remettrait en cause sans consulter au préalable l’UE.
Ce que reproche l’UE au gouvernement algérien, c’est d’avoir introduit dans ses lois de finances complémentaires des mesures de soutien à l’industrie nationale, la règle 51/49 dans tout partenariat ou encore les restrictions imposées dans les opérations d’import-import.
Au mépris de toutes les préoccupations sociales et environnementales, cet accord a été façonné pour répondre aux besoins des multinationales.
Il a pour fonction non seulement de contraindre à l’ouverture des frontières commerciales, à la suppression des taxes douanières, des contingents et des barrières non tarifaires (quotas, normes réglementations), mais également d’organiser l’ouverture des secteurs encore protégés aux appétits des multinationales et de liquider le monopole public.
Cette libéralisation et les privatisations imposées profitent exclusivement aux grandes entreprises et aux investisseurs financiers. Elles servent à forcer l’ouverture à la concurrence internationale des services publics, à les soumettre aux règles du marché capitaliste et à les transformer en activités privatisées génératrices de profits.
C’est véritablement une attaque ayant pour objectif de mettre à bas les avancées historiques que constituent la sécurité sociale, les nationalisations d’entreprises, le développement de services publics, les statuts protecteurs de leurs personnels, et qui ont été arrachées à une bourgeoisie affaiblie et compromise au sortir de la Seconde Guerre mondiale.
Cet accord conclu ou en cours de négociation constitue donc le cadre d’organisation de la déréglementation. Il est orienté dans le sens de laisser le champ libre aux multinationales et d’accélérer le processus de décomposition. Mettre fin à cet accord est possible, contrairement à ce que prétendent certains. L’article 107 de l’accord d’association prévoit que “chacune des deux parties peut dénoncer l’accord d’association (…) qui cesse d’être applicable six mois après cette notification”.
Les conséquences de la mise en œuvre seront néfastes dans tous les secteurs vitaux pour la population. Le chômage, la précarité et la pauvreté s’étendront dans tout le pays, et les pauvres deviendront encore plus pauvres.
Il est donc urgent de voir clairement comment éviter les dérapages dont est porteuse la régression socioéconomique terrifiante imposée par le FMI et la Banque mondiale. N’est-il pas l’heure de faire le bilan des réformes précédentes avant de continuer dans cette politique ?
Le bon sens lui-même nous le dicte. Allons-nous fuir la réalité qui démontre chaque jour la détérioration des conditions de vie des Algériennes et Algériens et de mise en cause des droits à la retraite et autres garanties et normes ?
Il est évident que seule la volonté politique permettra l’annulation de cet accord. Dans cette situation, certes difficile, des mesures politiques de sauvetage peuvent être prises pour la relance de l’économie nationale et le développement de la production nationale.
Les moyens existent, le peuple algérien a la capacité pour faire les efforts nécessaires au développement de son pays. Il y va de l’avenir et de l’existence de la nation algérienne, de l’unité de notre pays, de l’intégrité du peuple algérien.