Par Mariano Rosa
1) La droitisation des élections
Les élections du 13 août ont abouti à la victoire surprise de Javier Milei, un outsider de droite et proto-fasciste, avec plus de 30 % des voix et en remportant 16 des 24 provinces. Les deux grands perdants ont été le gouvernement national, qui est arrivé troisième, dans sa pire élection historique en tant que péronisme et qui a perdu environ 20 % par rapport à 2019. Et dans le même temps, la droite de JxC, qui est arrivé deuxième, a perdu plus de 5 % par rapport à 2019 et était loin des 40 % de 2021. Tout d’abord donc, le triomphe de Milei ajouté à la victoire de Patricia Bullrich dans l’interne de son parti représente, avec près de 50 % des voix à eux deux, un glissement électoral à droite. À cela s’ajoute l’absentéisme de deux millions d’électeurs par rapport à la dernière élection présidentielle, plus les 1 200 000 votes blancs et les 300 000 votes nuls.
La crise aiguë des forces politiques qui ont gouverné le pays ces dernières années a ainsi été mise à nu et la perspective d’un panorama hautement convulsif s’est ouverte, avec la possibilité que certains de ces personnages finissent par remporter la présidence et tentent d’appliquer leurs programmes de guerre contre le mouvement de masse. Face à d’éventuelles attaques directes venant d’en haut, l’accumulation de force et d’expérience de lutte existant dans notre pays se manifestera certainement avec une grande intensité, polarisant le choc frontal des intérêts sociaux antagonistes dans la lutte des classes (et dans la rue). En fait, la possibilité d’une crise des caractéristiques de 2001 en termes d’irruption massive du peuple dans les rues se profile à l’horizon.
2) Le vote pour Milei a des motivations contradictoires
D’une part, il exprime profondement le ras-le-bol sociale par rapport au gouvernement actuel, mais aussi par rapport à l’expérience récente de la droite macriste. Les deux gouvernements ont aggravé les conditions matérielles de vie et n’ont laissé entrevoir aucune amélioration dans un avenir immédiat. Circonstance aggravante, la semaine précédant les élections a été marquée par le crime de la fille Morena à Lanús par un vol et le meurtre répressif de Facundo Molares à l’Obélisque. Tout ce climat économique et social raréfié, et un certain sentiment de chaos, ont également bénéficié Milei et, dans une moindre mesure, Bullrich. Cette composante de la colère reflète également la dépolitisation (sur tout chez la jeunesse pauvre) et est canalisée par une figure ultra-réactionnaire, pro-capitaliste et anti-pauvre.
Dans le même temps, l’autre composante du vote en faveur de Milei est une base fasciste, très à droite, qui adhère à des positions anti-piquets, maccarthyste, anti-avortement, privatiste dans la sphère économique. Ce camp est enhardi par un climat qui s’est construit au cours des dernières années, par un fort effet de levier dans les médias (qui ont déplacé l’agenda politique dominant vers la droite), par le rôle contenant de la bureaucratie syndicale (avec quelques concessions partielles, dont le secteur du mouvement des travailleurs déclarés avec de meilleurs salaires) qui, malgré des luttes importantes (enseignants, Jujuy, chauffeurs, piqueteros), a empêché un débordement généralisé et une irruption massive qui aurait fait basculer les règles du jeu.
3) Le péronisme en thérapie intensive
Le coup reçu par le péronisme est très profond, et dans une élection de tiers, il est arrivé troisième. Dans ce scénario, la crise du kirchnerisme en tant que projet dynamique apparaît dans une phase terminale, avec pour corollaire final la défaite à Santa Cruz aux élections du gouverneur. D’une certain mode, il fallait s’attendre à une très grande rupture avec un gouvernement qui a totalement déçu après l’expérience du macrisme et dont sa “meilleure option” est le ministre de l’économie d’une inflation annuelle de 120-130 %.
Dans ce contexte, il faut noter le rôle assumé et rempli avec succès par la liste interne de Grabois, en tant que digue de confinement au sein de la coalition au pouvoir du mécontentement à l’égard de l’orientation générale du gouvernement et de la perspective de Massa. Avec près d’un million et demi de voix, elle a réussi à empêcher cette frange de migrer à terme vers la gauche. En même temps, elle apparaît comme un facteur potentiel de regroupement d’un centre-gauche dans le pays, dans l’espace laissé vacant par le recul et le glissement à droite du kirchnerisme.
Il faut suivre son évolution, en commençant par expliquer son rôle : dans son bunker, dimanche 13, Grabois a ratifié son vote pour Massa en octobre et a insisté sur son programme “de gauche”… Le lendemain, la réponse de Massa a été une dévaluation de 22 % et une augmentation du taux d’intérêt en faveur des banques, à conséquences récessives.
4) Juntos por el Cambio a également pris un coup
JxC, pour sa part, est sorti des primaires avec un coup dur et un horizon incertain. Loin des 40 % de 2021 qui le plaçaient dans la dynamique de capitalisation de l’échec du péronisme, il n’a pas été le principal bénéficiaire du vote sanction qui, au final, l’inscrit aussi dans une position logiquement différente de l’actuel parti au pouvoir. Larreta a été battu lors des primaires de cette coalition et a tout perdu : les élections nationales et les internes dans sa circonscription au profit de Jorge Macri. Patricia Bullrich et lui sont les gagnants de cet espace, bien qu’ils n’aient pas un chemin facile jusqu’en octobre pour se présenter aux élections.
5) L’élection du Front de gauche-Unité : résister à la bourrasque et continuer à discuter des limites de l’orientation
Dans ce cadre, l’élection du FIT-Unité a deux côtés : le premier est qu’il ne recule pas en tant qu’espace et maintient presque le même pourcentage que l’élection de 2019 (2,83 % en 2019, 2,65 % maintenant), bien qu’en voix il recule un peu. Mais en termes généraux, maintenir sa position parle d’un espace conquis qui n’a pas été balayé par le coup de vent de la colère. Il s’agit donc d’un point de départ pour un ancrage précieux avec environ 650 000 voix au niveau national, avec quelques-uns des meilleurs résultats nationaux dans l’aire métropolitaine, le cœur stratégique du pays.
Mais, dialectiquement, le FIT-U, en raison de ses propres limites (au-delà des données objectives), ne parvient pas à remettre en question, par la gauche, le phénomène de rupture avec les deux coalitions bourgeoises majoritaires et le fait que le virage est à droite. Nous insistons : au-delà des conditions objectives (pas d’irruption du mouvement de masse dans la rue, black-out médiatique sur la gauche, facteur Grabois), il est un fait que le caractère purement électoral du FIT-U a empêché, avant l’élection, une présence, un rôle, une accumulation politiques qui se seraient ensuite reflétés dans le processus électoral, en gagnant une partie du vote des mécontent.e.s au-delà du volume des voix gagnées.
Ces éléments combinés font notre explication du résultat de la gauche dans cette combinaison dialectique et renforcent notre proposition de modifier l’orientation et le profil du Front que nous avons soulevé depuis notre entrée dans la coalition en 2019.
6) L’interne du FIT-Unité et le débat sur les deux modèles
Dans ce contexte, le résultat des primaires au sein du FIT-Unité est prévisible. Le niveau d’installation électorale des porte-paroles du PTS, leur activité du parti et de l’appareil, qui depuis plus d’un an est surtout axé sur la conquête de voix, leur a donné un avantage sur la formule de notre liste convenue entre le MST et le PO. Nous avons mené une campagne militante intense et acharnée dans tout le pays, nous avons déployé une activité puissante dans 22 provinces et nous valorisons le message que nous avons transmis : il y a un débat sur le modèle et la conception du FIT-Unité en ce qui concerne son rôle, son caractère, son orientation. Nous revendiquons cet ensemencement ainsi que la méthode d’assemblage avec laquelle s’est formé l’accord de notre liste de confluence avec le Parti ouvrier, ainsi qu’avec d’autres organisations politiques et sociales qui ont intégré des candidat.e.s dans cette coalition.
La logique du terrain électoral, et en particulier l’attention concentrée sur la figure des candidats à la présidence, opère comme un effet d’entraînement qui n’est pas contrebalancé par d’autres références ou par le poids militant et l’implantation territoriale. En effet, la liste Bregman-Del Caño a gagné les élections internes dans des provinces où elle n’a pas de militant.e.s. Par ailleurs, là où l’effet d’entraînement de la candidature présidentielle n’a pas joué, mais plutôt le terrain du corps à corps de quartier, comme à Buenos Aires, l’unité du MST-PO a obtenu 65 % des voix lors de l’élection interne et a consacré la formule Biasi-Cele Fierro.
7) Une voix qui se renforce au sein du FIT-Unité
Notre parti traverse la lutte électorale d’une année au calendrier chargé, renforçant sa position en tant que tendance et sa personnalité propre au sein de la coalition. La conquête de sièges pour jouer le rôle de levier de l’activité extraparlementaire et contribuer au développement politique, fait partie de l’équilibre et de la projection de nouvelles figures dans tout le pays et de la consolidation des principales références du MST : Alejandro Bodart en province de Buenos Aires, Vilma Ripoll en tant que membre de la formule présidentiel et bien sûr, l’exploit particulier de la victoire interne à Buenos Aires qui projette Cele Fierro d’entrer à l’Assemblée législative.
Mais notre position a également été renforcée par notre victoire aux élections internes à Salta, qui nous a permis de consolider notre position de premier parti de gauche dans cette province. Et bien sûr, il faut ajouter à cela la réélection de Luciana Echevarría à l’Assemblée législative de Córdoba et l’entrée avec un siège au Conseil de la capitale. Nous avons également réélu Priscila Ottón comme conseillere à la mairie de Neuquén, nous allons y participer à la rotation d’un député provincial. Nous avons également réussi à assurer la continuité de Betina Rivero en tant que conseillère municipale à Palpalá et avoir Leo Rivero en tant que député provincial à Jujuy. Il y a quelques semaines, nous avons réussi à entrer dans la Législature de Chubut et à renforcer la figure provinciale d’Emilse Saavedra dans cette région de Patagonie. À tout cela, il convient d’ajouter le 3 septembre, lorsque nous nous battons pour l’entrée au conseil municipal de Bariloche, qui serait la première représentation de gauche dans l’histoire de cette ville emblématique. Occuper ces sièges avec un sens révolutionnaire et de gauche est stratégique.
8) La route vers octobre a démarré par une dévaluation, une hausse des taux d’intérêt, un bond de l’inflation
Quant aux perspectives pour octobre, la route est totalement incertaine. D’une part, Milei semble avoir fixé un “plancher” à 30 % et dispose des conditions nécessaires pour continuer à croître, et apparaît comme une option très probable pour le scrutin. Toutes les variables de l’économie sont déséquilibrées et, outre le cadeau à l’accord avec le FMI de la dévaluation et de la hausse des taux d’intérêt, la bourgeoisie continue de manière préventive à pousser le dollar vers le haut et l’inflation est à deux chiffres tous les mois. Il y a un transfert de revenus des salariés et du peuple dans son ensemble vers la minorité capitaliste qui continue à profiter de la crise. Tout cela intensifie la polarisation qui anticipe déjà le climat du scrutin.
De son côté, le péronisme joue le jeu d’ignorer Bullrich et de polariser avec Milei, en arrachant des voix à Larreta, ainsi que le vote utile moindre mal, qui, avec l’existence de Milei, se trouve renforcé. La gagnante interne de JxC a un panorama plus complexe, puisqu’elle n’est pas la principale bénéficiaire du vote sanction et anti-péroniste, il semble qu’il lui sera difficile d’attirer les franges vers octobre : si elle se déplace plus à droite, elle perd des voix de Larreta vers Massa ; si elle se déplace au centre, elle perd vers Milei, qui apparaît comme un vote gagnant solide.
Le signe de la situation actuelle est la désorientation de ceux qui sont au sommet.
9) Renforcer le Front de Gauche dans les urnes et dans la rue
Notre position politique est que la FIT-Unité doit être implacablement anti-libertaire. Il ne faut donner cette bannière à personne, surtout pas au progressisme de droite avec Massa. Et tandis que nous démasquons Milei, nous expliquons dialectiquement que son ascension est le résultat de l’échec du péronisme, et que la seule force contre l’ajustement du FMI et la répression de Massa ou des fascistoïdes, c’est la gauche.
Nous devons faire de la pédagogie politique pour présenter les conséquences d’un éventuel gouvernement ultra-réactionnaire, en termes de perte des droits que nous détenons encore, de remise en cause des libertés démocratiques et sûrement, de confrontation directe avec une déclaration de guerre anti-ouvrière et anti-populaire comme celle de Milei. La garantie d’un vote utile comme atout pour affronter ce qui se prépare dans la rue, c’est le renforcement de la gauche. Plutôt que de nous inquiéter, nous devons nous organiser et activer.
10) Révulsif sociale, élan politique : faire quelque chose, c’est militer
Les clés de la prochaine période dans ce pays dépendront nécessairement de deux questions centrales :
D’une part, si quel que soit le vainqueur de l’élection présidentielle, face au scénario de l’austérité et de la répression, en co-gouvernement avec le FMI, il y a une réponse de la rue du mouvement ouvrier et des secteurs populaires. C’est-à-dire : si, au-delà des urnes, la rue parle.
Le deuxième facteur sera de savoir dans quelle mesure nous pouvons progresser dans le renforcement politique et organique d’une alternative révolutionnaire qui progresse dans son implantation sur davantage de lieux de travail, de facultés, d’écoles normales, de lycées, de quartiers. L’expansion de cette capillarité sociale avec un militantisme socialiste qui contribue à l’organisation populaire est plus cruciale que jamais.
C’est pourquoi notre campagne militante vers octobre dans tout le pays a un axe, qui est de lutter pour renforcer électoralement du FIT-Unité, mais en parallèle et plus encore, c’est de parvenir à ajouter de plus en plus de militant.e.s à la tâche de nous préparer à ce qui vient le lendemain de l’élection. Sur le plan social, le choc surprise des primaires a créé un grand état positif de délibération politique. Il y a un intérêt à expliquer, à comprendre, une anxiété et un désir de faire. C’est pourquoi nos sections locales dans tout le pays, nos syndicats amis, nos facultés, nos cantines populaires dans les quartiers, les places, tout doit être utilisé pour promouvoir des débats, des réunions ouvertes, des rencontres, des assemblées pour discuter de tout cela. Et fondamentalement, pour concrétiser un besoin : plus d’organisation et de militantisme.