Ouverture
Camarades, nous, depuis le CEI de la LIS, pour contribuer à une série de congrès que nous avions à cette date (il y a eu récemment le congrès des camarades du Pakistan, nous allons maintenant vers un congrès au Kenya, il y a celui-ci du MST argentin), nous avançons un document paru dans le bulletin n° 17[1], dans le but de faciliter le débat et d’encourager la question internationale à être également présente dans nos congrès. D’autant plus dans une situation où le national, notamment ici en Argentine, nous prend depuis plusieurs mois.
Nous avons titré ce texte Socialisme ou barbarie. Ce n’est pas censé être plus de la même chose, car nous utilisons souvent ce slogan, mais pour nous, il a maintenant une grande importance, car c’est une prévision qui devient de plus en plus actuelle et nous pensons qu’il faut commencer par là. Car nous sommes dans un moment où la crise du capitalisme est telle qu’il y a déjà des éléments de barbarie et tout indique que, si nous n’y mettons pas un terme, elle continuera à avancer. Il faut souligner que nous sommes face à un moment important, où ce dilemme devient de plus en plus présent, plus actuel, et il est important de transmettre á l’avant-garde ce débat sur l’étape actuelle dans laquelle nous nous trouvons et le moment que nous vivons.
La crise économique, qui a fait un bond extraordinaire en 2008, la majeure des 70 dernières années au moins, ne s’est pas arrêtée. Au contraire, elle n’a cessé de s’approfondir. Même si nous faisons une analyse économique de la situation, je pense que la perspective pour cette année, pour l’année prochaine, est que la crise n’aura pas un horizon positif. Tous les économistes, toutes les organisations internationales estiment que cette situation va continuer à s’approfondir et que les perspectives sont donc très mauvaises pour l’économie mondiale. Et nous savons tous ce que cela signifie pour les secteurs populaires : une situation de précarité qui s’aggrave.
Car la bourgeoisie, face à cette crise, déclenche une offensive brutale pour tenter de sortir de la crise au prix d’ajustements brutaux, voire remettant en cause les régimes politiques mêmes dont elle a besoin pour appliquer ce type d’ajustements. Dans de nombreux endroits, ils ne sont pas en mesure d’imposer des dictatures, mais la démocratie bourgeoise, telle que nous la connaissons dans certains pays, ne leur sert plus à avancer dans l’ajustement. Nous constatons donc des changements. Nous assistons au pari des secteurs bourgeois vers des variantes plus d’extrême droite. Même si nous ne pouvons pas parler de fascisme, il y a des éléments évidents et cela est lié à la crise.
La situation de faim et de misère provoque des phénomènes tels que des migrations massives qui, dans le cas de l’Europe, ont un poids énorme. Le désespoir d’atteindre les métropoles depuis les pays semi-coloniaux provoque des morts et ceux qui parviennent à arriver vivent dans une situation de misère permanente car ils ne trouvent pas l’avenir qu’ils cherchaient. Cela se répète également en Amérique latine par rapport aux États-Unis.
Nous assistons à une attaque brutale contre la nature. Nous devons discuter du fait que nous sommes dans une étape critique par rapport au modèle productif et à la possibilité d’entrer dans une voie de quasi-sans retour par rapport aux possibilités de survie, résultat de la brutalité du capitalisme. Le racisme et les conflits religieux se multiplient. Là où des progrès sont acquis autour des droits démocratiques des femmes, il y a aussi une réaction face à cela. Dans de nombreux endroits, des épidémies sont causées précisément pour briser les limites de la nature et pour un modèle productif qui produit de plus en plus de catastrophes.
Il est donc très important de définir clairement quelque chose qui est évident pour beaucoup d’entre nous ici, mais qui est aussi un débat politique, car il s’agit de convaincre l’avant-garde et des secteurs importants du mouvement de masse que le capitalisme n’a pas de réforme et que il n’y a aucune possibilité de sortir de la crise que par la destruction du capitalisme. Et cela, qui, j’insiste encore une fois, est peut-être une question évidente pour nous, ne l’est pas aussi pour l’avant-garde et pour des secteurs du mouvement de masse. Il y a donc une bataille politique pour convaincre qu’il n’y a pas de perspective pour l’humanité sans détruire le capitalisme, qu’il n’y a pas de réforme, qu’il n’y a pas de capitalisme bon ou humain. Il s’ensuit donc que la grande tâche de l’humanité – et que nous devons collaborer pour la réaliser – est la révolution socialiste. La crise a atteint un tel degré que le capitalisme ne permet même pas de réformes minimes. Il faut presque faire une révolution pour parvenir à des réformes minimes que les réformistes, à d’autres époques, ont réalisées et maintenues par ce biais.
C’est précisément ce qui conduit les projets réformistes dans le monde entier à la crise : ils suscitent des attentes, mais comme ils ne peuvent rien donner au mouvement de masse de la part du gouvernement en raison du stade actuel de la crise du capitalisme, ils entrent rapidement en crise. C’est ce qui ouvre souvent la porte à la droite : la déception face à ces projets. Nous l’avons vu en Europe avec Syriza, avec Podemos, en Amérique latine avec tout ce qu’était le chavisme, avec ce qu’était Lula à l’époque, le kirchnérisme lui-même en Argentine : ils ne peuvent absolument rien offrir au mouvement de masse parce que, dans le contexte de la situation de crise actuelle du capitalisme, il n’y a pas de place pour des réformes. Les réformistes en sont la proie.
C’est pourquoi ce débat est très important, pour le transmettre à l’avant-garde. Nous devons lutter politiquement pour lui expliquer que si nous ne détruisons pas le capitalisme, ce qui se pose c’est la barbarie, et il y en a déjà des éléments ; que le combat est justement d’éviter la barbarie, d’éviter l’émergence d’expressions d’extrême droite, et que cela nécessite de rompre définitivement avec toute perspective réformiste et d’avancer vers une perspective révolutionnaire.
Un autre élément important de la phase actuelle, sans lequel on ne peut presque rien comprendre de ce qui se passe, est que la crise du capitalisme a également provoqué un conflit inter-bourgeois entre les vieux impérialismes en crise et les nouveaux impérialismes qui émergent. C’est aussi un élément important. On ne comprend pratiquement rien à ce qui se passe ni aux conflits qui commencent à éclater au niveau international, sans comprendre que nous sommes dans une étape d’une sorte de nouvelle guerre froide, cette fois entre puissances impérialistes, qui se réchauffe de plus en plus et qui pourrait même conduire, à terme, à une nouvelle confrontation internationale. Car même si nous ne pouvons pas faire de prédiction fermée à ce sujet, nous devons savoir que, jusqu’à présent, les conflits entre puissances pour l’hégémonie se sont toujours terminés par un conflit militaire. Nous vivons désormais à un moment où la puissance atomique existante peut même évoquer la possibilité d’une nouvelle confrontation mondiale mettant fin à la vie sur la planète. C’est pourquoi il est important de souligner que nous, révolutionnaires, sommes les seuls à pouvoir arrêter cette perspective, car seule la révolution socialiste peut agir pour l’empêcher d’atteindre ce terrain. Attention, il faut savoir que, par exemple, la guerre entre la Russie et l’Ukraine soulève en permanence la possibilité que, surtout la Russie, qui est une puissance nucléaire, si elle se voit menacée, puisse agir dans ce domaine. En fait, ce sujet est un débat permanent en Europe.
Or, pour comprendre et se positionner politiquement, il faut définir la question du déclin des États-Unis. Parce que les États-Unis continuent d’être la puissance hégémonique à ce jour, mais ils se trouvent dans une période de déclin très importante et cela est dû à différents facteurs qui ont conduit à cette situation. Un élément est que, même s’ils ont installé, à travers une propagande très forte qui a frappé sur la conscience du mouvement de masse, qu’avec la chute de l’Union Soviétique et tout ce qui s’est passé après, ils allaient parvenir à la semi-colonisation de ces pays, ils ont échoué dans cette tâche. Non seulement ils n’ont pas réussi à semi-coloniser la Chine, la Russie, mais c’est le contraire qui s’est produit. La restauration capitaliste ne s’est pas terminée par une semi-colonisation : elle s’est terminée par la formation de nouvelles puissances capitalistes qui ont commencé à leur disputer le rôle hégémonique, en particulier la Chine. Mais il n’y a pas que la Chine : c’est aussi la Russie, dont il faut discuter si elle a le caractère d’une puissance plus régionale, plus internationale, mais puissance en fin de compte dans toute sa région, où elle agit comme une puissance impérialiste.
Un autre élément majeur est que les États-Unis ont perdu la bureaucratie soviétique en tant que partenaire fondamental pour agir dans la lutte des classes. Bien que la restauration ait été un triomphe du capitalisme sur le « socialisme réel », réalisé précisément par l’ensemble de la politique du stalinisme, ils ont en même temps perdu la bureaucratie, qui jouait un rôle fondamental dans la réponse à la situation mondiale et cela a affaibli l’impérialisme et les États-Unis. Je fais toujours une comparaison, ce qui est important à faire. Imaginez qu’ici la bourgeoisie ait perdu la bureaucratie syndicale en tant qu’acteur fondamental pour agir dans la lutte des classes. Parce que les avancées de la bourgeoisie ne se comprennent pas seulement par ce qu’elle veut faire : dans de nombreux cas, elles se comprennent par ce que la politique de la bureaucratie lui permet de faire. En Argentine, nous sommes à un moment où, s’il y avait une grève générale et un plan de bataille, il serait difficile pour le plan de Milei de survivre. Mais cela avance grâce à la complicité de la bureaucratie. Bien; au niveau mondial, la bureaucratie soviétique a également joué un rôle dans ce sens.
Il y a un débat clé à gauche, d’abord parce que de nombreux camarades pensent que la Chine ne peut pas encore être définie comme impérialiste. C’est un débat qui mène à des conclusions politiques, car si elle n’est pas impérialiste et qu’il y a à un moment donné une confrontation entre l’OTAN et la Chine, si l’une est impérialiste et l’autre ne l’est pas, cela suggère objectivement que nous devons nous ranger du côté de la Chine. S’ils sont deux secteurs impérialistes, comme nous le pensons, aucun d’eux n’est progressif et nous n’avons donc à soutenir aucun d’entre eux. Cela se traduit par un conflit qui existe en permanence. Par exemple, les camarades du PTS (Fraction trotskiste) d’Argentine estiment qu’il s’agit d’un processus qui n’est pas terminé, ce qui a beaucoup à voir avec la position qu’ils ont à l’égard de l’Ukraine et d’autres pays.
Il en va de même pour la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Ce n’est pas la même chose s’il s’agit de deux pays semi-coloniaux ou non-impérialistes. Ce qui fait débat en Ukraine, c’est de savoir s’il existe un pays impérialiste qui en attaque un autre. Le Parti ouvrier a un bordel dans la tète. C’est très déroutant ; il affirme que la restauration en Russie n’est pas encore achevée, mais qu’elle joue en même temps un rôle impérialiste. Mais c’est un débat au niveau international et nous devons être très fermes là-dessus. Depuis la LIS, nous avons apporté un matériel important, à savoir le magazine que nous avons publié sur tout cela.
C’est un débat qui dépasse le campisme. Le campisme existe. Des secteurs même de la bourgeoisie encouragent le campisme, le nationalisme, des secteurs issus du stalinisme. Mais il y a un débat qui dépasse cela et qui atteint les forces du trotskisme, sur lequel nous ne pouvons toujours pas nous mettre d’accord sur ce point et qui rend souvent difficile l’unité d’action face aux processus qui se produisent et nous trouvent dans les débats et même dans différents espaces. Nous sommes catégoriques : nous pensons qu’aucun des secteurs, ni les anciennes puissances -évidemment les États-Unis- ni les nouvelles, ne joue un rôle progressif et, par conséquent, nous avons une politique indépendante de toutes.
Et cela est important pour agir, pas seulement face à des conflits comme celui en Ukraine. Par exemple au Nicaragua, quelle politique avons-nous, puisque il est si proche ? Nous avons une politique indépendante. Nous, socialistes révolutionnaires, développons une politique contre l’impérialisme yankee, mais aussi contre le gouvernement du Nicaragua. Nous ne cédons pas au gouvernement du Nicaragua, comme le fait un secteur, notamment du campisme. Nous avons eu une politique qui nous a permis de nous renforcer dans toute l’Amérique centrale, précisément en ayant une politique indépendante du gouvernement du Nicaragua. Nous avons constitué une brigade. Tout cela nous a permis de nous renforcer, de construire notre section nicaraguayenne, de commencer à avoir des relations et de nous construire en Amérique Centrale en ayant de la clarté sur ce point.
Il y a des secteurs de gauche qui manquent de clarté sur Cuba, qui est en train de restaurer le capitalisme ; ils ont une politique complètement ambiguë, ne soutenant souvent pas les mobilisations qui se produisent. Nous nous distinguons tout d’abord de l’impérialisme, qui tente constamment d’intervenir et de profiter de chaque crise. Mais il nous faut aussi avoir une politique indépendante des gouvernements qui font partie de ce bloc organisé autour de la Chine et de la Russie.
Dans le mouvement de masse, la haine vis-a-vis des États-Unis, une haine juste, rend souvent ces débats complexes, car « l’ennemi de mon ennemi » suscite souvent de la sympathie pour ce que font les puissances qui s’y opposent. Mais c’est un débat politique qu’il faut expliquer. Il est également souvent vrai de comprendre la Russie comme si elle était une continuité de ce qu’était l’Union soviétique, et ce qui se passe en Russie n’a rien à voir avec ce qui s’est passé en Union soviétique.
En Ukraine, tout cela est entré en contradiction. À notre avis, une partie importante de la gauche est tombée dans une position unilatérale consistant à ne voir qu’un seul côté du processus qui s’est déroulé en Ukraine, alors qu’en réalité deux processus étaient combinés. Car le conflit commence par l’invasion de la Russie, puissance oppressive, prison des peuples, historiquement oppressive des différents peuples de la région, contre un pays semi-colonial. Ce fait soulève tout d’abord la défense du droit de l’Ukraine à l’autodétermination. Mais cela se combine aussi avec le fait que l’OTAN a profité du conflit pour se réarmer et se renforcer. L’invasion de la Russie lui convenait même parfaitement pour y parvenir, voire pour intégrer de nouveaux pays à l’OTAN. Et c’était déroutant, car il y avait des camarades qui avaient pour politique de ne voir que ce côté et, par conséquent, de ne pas soutenir le droit à l’autodétermination de l’Ukraine, mais de le subordonner au conflit contre l’OTAN et ainsi de sauver la Russie du rôle d’oppresseur, de puissance impériale dans la région.
Attention, il y avait aussi des courants comme l’UIT (Gauche socialiste d’Argentine) ou la LIT (PSTU du Brésil) qui ignoraient que l’OTAN profite du conflit et ne voyaient donc qu’un côté du problème, celui de l’autodétermination, lorsqu’une politique devait intégrer les deux éléments pour pouvoir avoir une position concrète et pouvoir aider à se construire dans la région.
Notre grand problème, s’il est vrai que l’alternative est le socialisme pour éviter la barbarie, pour avancer dans la révolution socialiste il faut construire parti et nous devons nous construire dans chacun des lieux où nous intervenons et avoir des politiques pour nous construire. De nombreux camarades ont une orientation complètement abstraite, agissant à distance sans chercher à intervenir et à contester la direction du mouvement de masse.
En Ukraine, il y a un lutte pour le mouvement de masse et ceux qui cèdent à la Russie ne pourront jamais se construire et gagner le mieux de l’avant-garde et céderont aux nationalistes. Car la meilleure aide aux nationalistes est de ne pas défendre le droit à l’autodétermination dans ces pays. Ainsi tu laisses le mouvement de masse aux Zelensky et à l’OTAN, qui se présentent comme les porte-drapeaux de la défense des droits, alors que nous savons tous que tout ce qu’ils veulent, c’est soumettre l’Ukraine et approfondir sa colonisation. Mais pour contester, pour avoir l’autorité nécessaire pour contester et affronter le plan de colonisation de l’impérialisme occidental, il est très important d’être à l’avant-garde du droit à l’autodétermination du peuple ukrainien.
Et la même chose se produit en Russie. Il est impossible de se construire en Russie en cédant à Poutine, qui a développé un régime complètement autoritaire et dictatorial pour soutenir son offensive et sa transformation en puissance dans toute la région, et qui fait emprisonner le mieux de l’avant-garde, l’exiler à l’étranger ou dans la clandestinité sans pouvoir agir.
Pour nous, la lutte pour la direction n’est pas un problème abstrait, intellectuel, académique ; cela a à voir avec les batailles spécifiques qui existent dans des endroits spécifiques. Nous, socialistes révolutionnaires, ne gagnerons jamais le prolétariat d’Europe de l’Est sans avoir une politique claire de délimitation complète du pouvoir oppressif de cette zone et, en même temps, sans expliquer au mouvement de masse que l’issue n’est pas l’Occident, ce n’est pas l’OTAN, ce n’est pas les États-Unis.
Cette combinaison est également liée à la politique envers Cuba. Nous n’allons jamais nous construire sans soutenir l’avant-garde qui combat et défend la Révolution, mais qui est critique à l’égard de la bureaucratie, si nous avons des préjugés selon lesquels si nous la soutenons, nous faisons le jeu de l’impérialisme yankee, comme le font de nombreux courants, y compris du trotskisme, qui ne soutient pas les processus concrets de lutte et ne luttent pas pour la direction. C’est un débat très important. Toutes les caractérisations sont liées aux politiques et il faut bien s’armer car ce sont des débats concrets avec l’avant-garde.
Nous ne sommes pas des nationalistes. Nous devons être clairs sur le fait que notre solution ne réside pas dans la division en d’innombrables pays et nationalités. Nous luttons pour l’unité de la classe ouvrière. Nous luttons pour la Fédération Libre des Républiques Socialistes à l’Est, au Moyen-Orient, en Afrique, en Europe, en Amérique Latine. Mais nous identifions bien qu’il existe différents types de nationalisme. Le nationalisme des pays qui oppriment les autres peuples n’est pas la même chose que le nationalisme des pays opprimés. Et c’est pourquoi nous devons établir des politiques en défense du droit à l’autodétermination. Et c’est une politique cruciale, car à l’étape où nous allons, nous assisterons à de nombreux processus d’asservissement de la souveraineté des peuples. Et nous, qui ne sommes pas nationalistes, allons devoir défendre ce droit.
Écoutez, il n’y aurait pas eu de Révolution russe si Lénine ne défendait pas le droit à l’autodétermination des nationalités opprimées par l’empire tsariste, défendant même le droit à la séparation, ce qui n’était pas la politique bolchevique, car elle était la Fédération. Mais la politique ne peut pas être imposée au moyen des armes, ce qui constitue le meilleur argument pour que le mouvement de masse se rallie aux nationalistes de droite. Ce succès a donné lieu à une révolution et ce fut un débat très important parmi les bolcheviks, car Staline et d’autres secteurs s’y opposaient. Même Rosa Luxembourg était contre, parce qu’elle n’avait qu’une politique abstraite selon laquelle on devait être internationaliste. Mais pour faire la révolution internationale, nous devons gagner le mouvement de masse et pour gagner le mouvement de masse, comme le propose également le Programme de Transition, nous devons poser les exigences du mouvement de masse pour le gagner à l’internationalisme, et non lui lacher aux dirigeants nationalistes.
Il y aura de nouveaux problèmes. Qu’allons-nous faire de Taïwan, par exemple, si la Chine envahit ? Bien sûr, il existe toutes sortes d’arguments. Oui, quand la révolution a eu lieu, toute la droite s’y est rendue. Le gouvernement Mao avait pour politique de transférer à Taïwan toute la population qui était du côté de la bourgeoisie chinoise. Mais de nombreuses années se sont écoulées depuis. A-t-il le droit à l’autodétermination ou non ? Ce sont des débats que nous devons faire, qui vont surgir à tout moment. Ce sont des débats que nous devons ouvrir entre nous pour réfléchir à la politique que nous avons à cet égard.
Il y a un autre débat : la Palestine. Contrairement à l’Ukraine, il y a une très grande unité, non pas totale, mais très grande, par rapport à la défense de la cause palestinienne. Mais sur son issue, il y a de nombreux débats chez la gauche mondiale. Il y a un débat que nous menons contre ceux qui défendent depuis plusieurs années l’issue de deux États qui a été pulvérisé par la réalité, mais qui a permis, par exemple, au sionisme, de se renforcer par la capitulation d’Arafat et de toute la direction historique lorsqu’ils ont accepté la politique des deux États, qui s’est accompagnée de la reconnaissance de l’État sioniste.
Il y a d’autres débats aujourd’hui. Une fois cette politique échouée, est-il possible de créer un État binational, un État unique où cohabitent les deux peuples ? Beaucoup de temps s’est écoulé depuis la création de l’État sioniste, il y a 75 ans. Certains camarades suggèrent que tellement de temps s’est écoulé que la population juive s’est déjà sédentarisée, que la question de la destruction de l’État sioniste est donc en débat et que nous devrions peut-être aller vers un État binational unique. Ce sont des débats qui existent entre camarades qui tentent de trouver une issue. Nous ne le voyons pas. Nous pensons qu’il n’y a aucune possibilité de paix dans la région que sur la base de la liquidation de l’État sioniste et le retour à la situation d’il y a 75 ans. C’est un débat même avec des camarades avec lesquels nous entretenons des relations fraternelles, car c’est un débat logique, car notre proposition de liquider l’État sioniste et de passer à un État palestinien unique, laïc, démocratique et socialiste n’est pas non plus facile.
Il y a un autre débat : la solution est-elle la fraternisation des classes ouvrières de Palestine et d’Israël ? Il y a une classe ouvrière forte en Israël. Cependant, nous ne voyons pas que cette fraternisation soit possible s’il n’y a pas une défaite de l’État d’Israël, car aujourd’hui cette classe ouvrière est contaminée jusqu’aux os par la politique du sionisme, qui a eu pour politique de faire suivre à la population le sionisme, qui a été de leur donner les territoires, les maisons et tout ce qui appartenait au peuple palestinien, d’incorporer toute la population dans l’armée pour que chacun, d’une manière ou d’une autre, participe également au nettoyage ethnique, à la prise de territoires, au propre génocide.
Donc, s’il n’y a pas une défaite catégorique du sionisme qui ouvre une autre perspective, celle-ci est très complexe. Qu’allons-nous faire des près de sept millions de Palestiniens qui se trouvent en dehors des territoires ? Allons-nous leur permettre de revenir dans les territoires, ce qui est un mot d’ordre historique ? Nous sommes favorables à leur retour. Mais s’ils retournent dans les territoires, ils voudront leurs terres, leurs maisons. Mais dans cette maison il y aura sûrement un travailleur israélien venu d’un autre endroit et s’est installé. Ce sont des problèmes spécifiques que nous rencontrons.
Tout d’abord, nous devons défendre le droit du peuple qui a été massacré et qui continue aujourd’hui de subir un génocide. Alors que nous discutons de la manière de mettre fin au génocide, ces débats sont très importants et ils le sont dans la gauche.
Nous sommes convaincus que c’est la seule issue, et c’est pourquoi il est important d’en discuter, car nous avons opéré un changement sur un slogan historique. Certains d’entre nous ont évoqué le mot d’ordre historique de l’OLP, celui d’une Palestine unique et laïque, qui était un slogan démocratique, si vous voulez. Nous pensons que cela n’est plus posé dans la réalité. Premièrement, parce qu’il n’y a pratiquement aucune direction qui le soulève, l’OLP l’abandonnant et en acceptant l’État sioniste, elle a permis de renforcer les directions de l’islamisme radical qui n’ont pas cette politique, mais ce qu’ils veulent, c’est détruire l’État d’Israël pour le remplacer par un nouvel Iran. Et nous ne sommes pas pour cette politique. Il y a une dispute avec eux. C’est pourquoi nous pensons que la seule issue, et je reviens au slogan initial, est la révolution socialiste pour la région. Il n’y aura aucune issue s’il n’y a pas de révolution socialiste au Moyen-Orient contre les bourgeoisies arabes qui ont permis à Israël de se renforcer.
Et pour cela il faut construire un parti, car il n’y a pas de révolution sans parti. Et voici encore la même chose. Comment contester et se construire ? C’est pourquoi nous attachons de l’importance à la politique à l’égard du Liban. Je vous dis quelque chose. La première fois que je suis allé au Liban, invité par les camarades qui ont fini par rejoindre la Ligue internationale socialiste, ils m’ont fait un grand meeting, de nombreux camarades de la jeunesse sont venus et la première question qu’ils m’ont posée a été : êtes-vous pour ou contre détruire l’État d’Israël ? Grâce à ma réponse, nous avons une section de la LIS au Liban. Parce que souvent, on discute de l’extérieur des processus concrets et du rapport avec le mouvement de masse et l’avant-garde. Il n’est pas possible de se construire au Moyen-Orient sans commencer par là.
Bien entendu, cela ne signifie pas refuser d’avoir une politique à l’égard des mouvements qui se développent en Israël. Il y a une crise brutale en raison du régime de Netanyahu. Le rejet de ce qui se passe à Gaza commence à croître. Il faut avoir une politique, mais les convaincre à adopter une politique révolutionnaire, qui consiste à se tenir aux côtés de la résistance palestinienne pour vaincre cet État et construire quelque chose de nouveau où les peuples pourront à nouveau vivre en paix. Mais ce sont des débats concrets qu’il faut faire, qu’on doit faire avec l’avant-garde, parce qu’ils existent. La communauté juive a apporté en permanence des éléments précieux à la révolution, non seulement historiquement, mais quotidiennement. Notre parti ici en Argentine compte sur des camarades très éstimés qui viennent de là-bas. Il y a une forte représentation de la communauté juive dans ce pays, donc il faut se battre.
Comment définir la situation mondiale ? Je sais qu’il y a ici une tendance, héritée de notre courant historique, à essayer sans cesse de trouver un nom bien précis à la situation. Est-ce une situation pré-révolutionnaire, une situation révolutionnaire, non-révolutionnaire, contre-révolutionnaire ? Nous faisons partie d’une organisation internationale qui n’est pas moreniste, même si le morenisme en est une composante importante, mais plutôt une confluence avec d’autres camarades qui disposent d’autres types de mécanismes pour définir les choses. Nous ne voulons pas définir la situation autour d’un nom ou faire comme beaucoup de courants qui donnent d’abord le nom et essayent ensuite de faire rentrer la situation dans le nom.
Par exemple, nous avons des courants comme la LIT, qui depuis que Moreno a déclaré qu’il y avait une situation révolutionnaire, 40 ans se sont écoulés, il y a toujours une situation révolutionnaire. Et c’est pareil s’il y a défaite, il n’y a pas de défaite, si la droite avance, si elle n’avance pas, parce qu’ils n’osent jamais changer. Et les définitions sont concrètes, elles ont à voir avec la situation.
Attention, nous sommes arrivés au niveau international à définir qu’une éventuelle définition pourrait être pré-révolutionnaire. Essentiellement parce qu’il y a des luttes partout mais que le facteur subjectif manque. Mais cela ne nous intéresse pas tellement. Ce qui nous intéresse, c’est de définir qu’il existe une situation d’énorme polarisation sociale, car nous pensons que c’est la meilleure définition pour comprendre ce qui se passe. C’est à dire, la situation actuelle se caractérise par une polarisation extrême qui touche tous les pays.
Lorsque nous avons fait cette définition, Milei n’était pas au pouvoir et la société n’était pratiquement pas divisée en deux. Mais il est arrivé en Argentine, comme dans presque tous les pays. Il existe un pôle qui a une expression politique de plus en plus claire à l’extrême droite, et il faut l’assumer. C’est une réalité aussi grande qu’une maison. C’est une extrême droite avec même des éléments fascistoïdes, qui ne deviennent pas fascistes parce qu’ils n’ont pas encore remporté de défaites historiques de la classe ouvrière dans pratiquement aucun pays, parce que l’autre pôle répond par la lutte, avec de nombreuses faiblesses, parce qu’il le fait sans direction, c’est là le gros problème. Mais les droites agissent et ont gagné un secteur de la société. Nous ne pouvons pas être nigauds et ne pas comprendre qu’ils ont atteint une certaine base sociale et que cette base est liée au fait que les partis de droite traditionnels, et même la nouvelle gauche qui a émergé, n’ont résolu aucun problème, mais précisément parce que de la crise du capitalisme, en ne prenant pas de mesures anticapitalistes, aucun d’entre eux n’a pu se maintenir. Ils sont même entrés en crise et sont tombés, ce qui a ouvert la porte à ces expressions de droite, ainsi qu’au fait qu’un secteur de la bourgeoisie et de l’impérialisme, pour mettre en œuvre leurs plans, a besoin d’expressions prêtes à aller jusqu’au bout et même à provoquer des changements de régime dans des endroits où la démocratie bourgeoise les a servis pendant un temps mais plus. C’est pourquoi elles sont soutenues par des secteurs très importants.
Trump n’est pas fou. Il émerge dans le principal pays du monde et parvient à accéder au pouvoir. Il n’est pas fou : cela a à voir avec les pouvoirs qui sont derrière cela et les secteurs de la bourgeoisie qui parient dessus. Hier, je l’ai expliqué lors du meeting : en Argentine, Milei ne se comprend pas sans Rocca, sans Bulgheroni[2], sans les grands propriétaires du pays, qui sont derrière lui et veulent mettre fin à une classe ouvrière qui a foutu leurs plans depuis 40 ans. Ils veulent aller au fond. Et de même pour la bourgeoisie du monde entier, dans de nombreux pays où elle veut se débarrasser des conquêtes restantes, parce qu’elle a fait des progrès dans leur liquidation dans de nombreux cas, mais il en reste encore beaucoup. Ils veulent aller à l’encontre des libertés démocratiques parce qu’elles leur font obstacle.
Mais ils n’ont pas encore réussi à vaincre la classe ouvrière. C’est pourquoi nous n’avons pas une vision sceptique et ne nous laissons pas non plus à l’idée que « eh bien, il y a la droite, cachons-nous ». Nous ne misons pas non plus sur la politique de ceux qui, par rapport à la droite, nous disent que la solution est le front populaire et que la gauche doit se subsumer derrière des secteurs de la bourgeoisie et de la bureaucratie -qui n’ont pas ce projet- mais qui sont les échecs qui ont tenté de gouverner les pays sans provoquer aucun changement.
C’est une question spécifique, nous la vivons par exemple au Brésil. Au Brésil, nous avons un gros problème, car l’outil qui avait été construit, dans lequel le trotskisme jouait un rôle fondamental, à savoir le PSOL, est en train d’éclater, précisément parce qu’une aile réformiste a gagné et, face à la peur de Bolsonaro, a proposé presque d’intègrer le gouvernement PT et il veut expulser ceux d’entre nous qui sommes contre.
Ce sont des problèmes concrets, nous allons les avoir ici en Argentine. Ne croyez pas que le péronisme battu soit mort. Il va inventer une issue, parce que la bourgeoisie va essayer de mettre en place quelque chose. Et ils vont essayer de nous faire pression en disant que, pour aller à l’encontre du Milei, nous nous unissons tous. Il s’agit d’une pression concrète qui attire la volonté de personnes très honnêtes qui sont terrifiées par ce qui se passe, qui veulent s’en débarrasser et qui voient dans l’unité de tous une issue.
Et attention, nous sommes pour l’unité, l’unité dans la rue, l’unité dans la mobilisation. Nous n’avons pas besoin d’être sectaires à cet égard. Nous ne sommes pas sectaires dans la mobilisation, mais nous maintenons notre indépendance politique, car si nous, révolutionnaires, la perdons, il n’y aura pas d’issue pour l’humanité, camarades. Car la seule façon pour l’humanité d’arrêter ce désastre est l’émergence d’une direction révolutionnaire, indépendante de tous les secteurs bourgeois et bureaucratiques. Et pour cela, il faut rester ferme et disputer avec l’avant-garde, et leur expliquer que celle-la n’est pas la solution.
Ce sont des débats importants que nous avons. Des débats globaux naissent des politiques. Et en même temps, nous devons discuter de la manière dont nous allons construire la direction révolutionnaire. Parce que l’autre pôle, qui se manifeste aux États-Unis avec les grèves de l’année dernière, qui a été l’une des années de grèves les plus importantes depuis des décennies et qui se poursuivra cette année, en Europe, en Afrique. Il y a des processus dans quasi le monde entier, mais ils ont une faiblesse -nous l’avons vu ici dans toute la vague de luttes en Amérique latine- qu’il n’y a pas de directions révolutionnaires en tête. La crise de la direction révolutionnaire est très aiguë, parce que les masses luttent, luttent, luttent, mais elles n’ont pas de direction qui leur permette de triompher, ce qui donne lieu à la bourgeoisie de se recomposer et à ces droites d’émerger.
Notre grande tâche est de collaborer à l’émergence de cette direction révolutionnaire. Il y a des pays où nous avons plus de responsabilités que d’autres parce qu’il y a une certaine accumulation. Je l’ai dit hier lors du meeting : en Argentine, il y a une énorme responsabilité car il y a une accumulation pour construire une alternative forte. C’est pourquoi les débats que nous avons dans le FIT-U ne sont pas académiques. Car si nous ne résolvons pas bien ce problème, la gauche révolutionnaire manquera le rendez-vous. C’est pour cela que ce sont des débats que nous devons mener avec force dans l’avant-garde, parce que c’est là que nous trouverons de la sympathie.
Tous les changements dont le parti discute ici pour avoir une meilleure diffusion des idées, un meilleur appareil de communication, pour mieux aller à l’avant-garde, sont liés au fait de mener ce combat et d’atteindre l’avant-garde, qui en a assez du PJ[3] mais que, si elle ne regarde pas à gauche, elle va tomber dans les pièges qu’on va encore lui tendre, comme ils le font déjà depuis l’Église avec Grabois[4], qui dit des choses semblables à nous et c’est pour cela qu’il y a des gens qui nous disent de ne pas être sectaires. Il ne faut pas être sectaire, mais il faut avoir un débat politique, car Grabois propose du capitalisme à visage humain et les encycliques du Pape qu’on ne lira jamais. Notre issue n’est pas cela. Et si la gauche ne donne pas de réponse, ce nouveau vendeur d’illusions dans un capitalisme inexistant va se renforcer, comme il se renforce déjà.
Mais attention, au PSOL il faut mener une bataille politique depuis notre parti vers le MES et les secteurs qui, bien que tièdement, sont à gauche de la direction majoritaire, complètement subordonné à la politique du PT. Il faut soutenir le processus du NPA, qui est un processus très important en France, un pays central. Et nous devons construire nos partis, camarades, aider à construire nos partis.
Il est essentiel de nous insérer dans la classe ouvrière, car des batailles fondamentales y vont avoir lieu. Il faut nous structurer. En général, nos partis sont très structurés parmi les fonctionnaires et c’est très bien, car ils ont été attaqués en permanence et continuent de l’être. Nous devons continuer à nous renforcer chez les enseignants, dans l’État en général, dans la culture, mais nous devons nous adresser au prolétariat industriel : il nous faut pouvoir nous y structurer. Nous devons revenir à l’engagement selon lequel nos jeunes veulent travailler à l’usine, veulent devenir des dirigeants du mouvement syndical, ce qui est difficile, qu’il n’est pas facile de trouver un emploi, mais c’est stratégique parce que c’est notre classe et elle commence à monter partout, des États-Unis jusqu’à l’Europe, en passant par l’Argentine, partout. Nous devons donc nous structurer là-bas, sans perdre les politiques envers la jeunesse, car la jeunesse est un réservoir de cadres pour pouvoir aller au mouvement ouvrier, pour pouvoir répondre à tout. Il faut aider nos partis à se structurer parmi les jeunes, car il nous est souvent difficile de nous y insérer.
Nous devons répondre aux nouveaux problèmes qui sont apparus. Les problèmes environnementaux sont nouveaux. Ils n’ont rien à voir avec les problèmes environnementaux d’il y a 20 ans, qui étaient essentiellement des secteurs plus petit-bourgeois. Aujourd’hui, ce sont des problèmes concrets du capitalisme. Nous devons répondre aux problèmes des femmes, sans tomber ni céder aux politiques identitaires, désastreuses pour la construction des partis. Ils profitent de demandes réelles et concrètes pour mener à des politiques complètement erronées. Il y a des combats politiques au sein du mouvement des femmes. Il ne s’agit pas simplement de « allons-y, allons-y » : nous devons mener ces combats politiques et nous devons les mener avec force.
Pour finir, je crois que le projet de la LIS, qui est un projet nouveau, innovant, qui suscite la sympathie, c’est pourquoi la croissance rapide que nous avons connue, même s’il s’agit encore d’un petit pôle, il continuera à se développer. Nous devons l’utiliser dans tous les pays pour nous construire car l’avant-garde suit en permanence les problèmes internationaux. Et pour nous construire, il est indispensable de s’inscrire dans un projet international. Mais nous devons l’utiliser, en faire la propagande. Dans les petits groupes de la LIS encore plus fort, car cela donne la force aux petits groupes d’aller vers l’avant-garde, car cela montre que nous faisons partie d’un tout.
La LIS tente un projet qui n’est pas facile, celui d’essayer de synthétiser les différentes traditions du trotskisme et du marxisme en une nouvelle tradition. Ce n’est pas facile à faire car il est toujours plus facile d’être avec des gens qui pensent exactement comme soi, comme le font de nombreux courants du trotskisme. Mais ce modèle a échoué. Ce modèle a joué un rôle important en hissant les drapeaux dans une période sombre, ce qui s’est produit après la Seconde Guerre mondiale, lorsque le stalinisme est devenu fort, et nous a permis d’en arriver là. Le modèle des petites internationales plus homogènes a joué, on ne peut le nier. Nous ne pouvons pas rejeter le passé et dire « cela ne sert à rien ». Mais aujourd’hui, il est épuisé comme modèle et c’est pourquoi tous les projets internationaux menés autour d’un parti unique hégémonique ont échoué et sont entrés en crise.
Les Anglais ont fait une très grande internationale, dont nous ne connaissions pas car nous faisions autre chose. Nous avons connu le mandélisme, mais nous n’avons pas connu les Anglais. Alors qu’ils se séparaient de la Quatrième, nous ne leur avons presque pas prêté attention et ils ont construit seuls d’immenses partis, plus grandes encore que ceux construits par le mandélisme et que ceux que nous avons construits. Mais ils sont en crise. Ce projet a explosé dans l’air. Partout il y a des partis et des groupes qui viennent de là-bas, qui ont des conclusions similaires aux nôtres et c’est pour cela que nous avons convergé avec les camarades du Pakistan, nous avons des relations fraternelles avec les camarades d’Australie, etc.
Et nous-mêmes, le courant moréniste, a explosé dans les airs. Sachons-le, camarades, il faut l’assumer. Et il a aussi explosé parce qu’il n’est pas adapté aux temps nouveaux dans lesquels nous vivons. Sans parler du mandélisme, qui traverse une crise phénoménale. Quiconque croit pouvoir répéter ce modèle va soit se heurter à un mur, soit devenir une petite secte. Nous ne voulons pas de cela. à l’étape actuelle, c’est un crime de former une secte et de refuser de construire quelque chose qui ose acquérir une influence des masses. Car dans la bataille actuelle entre socialisme et barbarie, nous avons besoin de construire des organisations internationales et nationales qui atteignent l’influence des masses, ce qui est la seule manière de répondre à l’étape actuelle. Et pour cela, nous devons enlever toutes les toiles d’araignées que nous avons et miser sur la convergence avec d’autres comme seule issue. Et si nous faisons cela, je crois que nous nous battrons dans de meilleures conditions pour contribuer à la résolution de la tâche qui nous incombe, à nous, révolutionnaires, qui est de surmonter la crise de direction révolutionnaire. C’est tout. J’espère que le débat sera fructueux et qu’ensemble, nous contribuerons à continuer à améliorer et à peaufiner notre politique et nos orientations. Merci à toutes et tous.
[1] Socialisme ou barbarie (BDI 17).
[2] Grands bourgeois de l’Argentine.
[3] Partido Justicialista (péroniste).
[4] Leader de l’aile « gauche » du péronisme.
Clôture
La densité du point montre que le parti, au-delà de toutes les faiblesses, qui seront discutées pour s’améliorer dans les points suivants, a atteint ces dernières années une entente très importante avec la question internationale. Le débat qui a eu lieu ici montre l’intérêt et l’importance qu’on lui accorde. Je crois qu’il est crucial, surtout à l’époque où nous vivons, d’être un parti de plus en plus internationaliste pour comprendre ce qui se passe et agir dans la réalité. Et je pense que c’est une très bonne chose que des progrès soient réalisés dans ce sens. Nous avons présenté un texte qui, bien entendu, complète les documents dont nous avons discuté lors du dernier congrès mondial. Rappelons-nous que nous avons eu un congrès mondial en mars de l’année dernière, c’est-à-dire il y a exactement un an. Je vous appelle à lire certains de ces documents car ils sont toujours valables, ils ont passé l’épreuve des événements et ils sont très utiles pour approfondir certains des débats que nous avons eus ici.
Maintenant, je veux aborder certains débats qui ne figurent pas dans le texte, que nous nous devons, en particulier ceux d’entre nous qui venons du courant argentin, du soi-disant morenisme. Il est difficile de définir qui est moreniste, qui ne l’est pas. Il existe déjà de nombreuses familles au sein du morenisme. Par conséquent, pour moi, cela définit et ne définit plus du tout ce sujet. Mais il y a des débats qui sont ancrés dans ce passé et je pense qu’il est important d’y faire face de manière non dogmatique et même critique si nécessaire, car pour interpréter la réalité, il faut avoir le courage d’être critique, même envers soi-même, entre autres choses aussi parce que les élaborations du morenisme sont d’une étape différente de l’actuelle. Moreno est décédé en 1987. Il y a encore des courants qui se disent morenistes, qui continuent de répéter comme des perroquets ce que Moreno a dit à une époque complètement différente, qui n’a rien à voir avec aujourd’hui. L’expression maximale serait peut-être de continuer à définir la situation comme révolutionnaire. Donc, une définition qui fonctionne pour toutes les étapes, époques, moments de régression, d’avancement, est inutile. Car à quoi sert une définition qui ne permet jamais de préciser le rapport de forces du moment et de voir la réalité telle qu’elle est ? Cependant, il y a des courants qui se disent morenistes et qui continuent sur cette cantilène.
Je pense que nous devons rediscuter de certaines choses. Cela ne veut pas dire que nous abandonnons tous nos bagages. Mais le marxisme est une science vivante et non dogmatique, constamment prête à changer. C’est, en un sens, une élaboration qui a aussi de l’empirisme au milieu, dans laquelle on fait des hypothèses et elles deviennent réelles ou pas. On ne tombe pas amoureux des hypothèses qu’on fait, on ne les maintient pas pendant des décennies.
Par exemple, un fait évident et que certains camarades ont évoqué, c’est notre propre élaboration, sur laquelle nous devons continuer à travailler et qui a à voir avec la normalisation du processus révolutionnaire. Il est évident que dans la période de 1945 à 1990, une série de phénomènes se sont produits qui ont provoqué de nombreux débats et de nombreux problèmes pour le trotskisme, car il y avait une combinaison d’éléments qui, en un sens, allaient à l’encontre de ce qui avait été l’expérience fondamentale, ce qui fut la Révolution russe. Par exemple, nous qui sommes trotskistes, nous sommes armés d’une caractérisation de Trotski selon laquelle il n’y avait aucune possibilité de révolution sans la classe ouvrière industrielle comme facteur fondamental et sans un parti révolutionnaire, un parti bolchevique. Si l’un ou l’autre manquait, la révolution était impossible. Mais que s’est-il passé ? Attention, Trotski a fait d’autres prédictions qui étaient même erronées, comme par exemple qu’après la Seconde Guerre mondiale, la révolution allait se renforcer et que le stalinisme allait entrer en crise. Et c’est le contraire qui s’est produit. Il est très important d’analyser ces faits, car si on répète comme un perroquet et on ne voit pas la réalité telle qu’elle est, on ne peut pas s’armer.
Or, ce qui s’est passé entre 1945 et 1990, c’est que sans parti révolutionnaire, des révolutions ont eu lieu qui ont fini par exproprier la bourgeoisie, et sans la classe ouvrière en tète, dans de nombreux cas, avec la paysannerie. Nous pouvons discuter de la Chine et d’une série de pays qui ont exproprié la bourgeoisie. Un tiers de l’humanité s’est retrouvé dans le « socialisme réel ». Avec de nombreux problèmes, car le succès fondamental du marxisme, du léninisme et du trotskisme, réside dans le fait que sans parti révolutionnaire et sans classe ouvrière, ces processus sont nés avec des défauts dès le début et en cela ils étaient justes. Mais la Quatrième Internationale est entrée dans une crise brutale parce qu’elle n’a pas compris cela, car, par exemple, à mesure que le Parti communiste a fini par diriger les processus, il y a eu un énorme processus d’adaptation aux partis communistes. C’est à partir de la Quatrième que commença le révisionnisme, qui se termina par une explosion et une désintégration en plusieurs courants, des entrismes permanents, etc.
Nous n’allons pas faire maintenant le bilan historique de tout cela, mais nous devons voir qu’il y a une nouvelle étape, différente, qu’il est important d’analyser. Parce qu’aujourd’hui, du moins depuis les années 90 jusqu’ici, il n’y a pas eu de processus par lequel une direction non révolutionnaire sans classe ouvrière avance pour exproprier la bourgeoisie. Cela a également donné le vertige à de nombreuses personnes habituées à l’étape précédente. Cela a également rendu beaucoup de gens sceptiques. « Que se passe-t-il, il n’y a pas de révolutions qui triomphent, la bourgeoisie n’est plus expropriée ? » C’est aussi la raison d’une campagne selon laquelle « le socialisme est une chose du passé » . Il n’y a pas de modèle. Avant il y avait un modèle, déformé, mais un modèle quand même. Ce sont de nouveaux problèmes, nous devons y élaborer. Je crois, par exemple, que le courant dont nous sommes issus, les morenistes, est le résultat du thème selon lequel il y avait des directions qui, sous la pression des masses et de l’existence de l’URSS, avançaient plus que ce que disait leur propre programme, nous sommes tombés dans des traits très objectivistes. Je crois qu’à la fin des années 90, par exemple, nous sommes tombés dans l’objectivisme et avons cru que la montée et la crise conduisaient à la possibilité de nouvelles révolutions, même triomphales, sans un parti révolutionnaire de masse à la tête. Nous devons en discuter, car je crois qu’aujourd’hui encore, certains courants issus de ce passé présentent des traits objectivistes.
Nous sommes maintenant dans une autre étape mondiale, qui dans un sens ressemble davantage à celle d’avant 1914. Parce qu’avant 1914, il n’y avait pas non plus de modèles. Il y a eu la Commune de Paris, mais c’était un modèle pour quelques-uns, qui n’a pas fonctionné. Les bolcheviks ont tiré des conclusions fondamentales sans lesquelles L’État et la révolution de Lénine ainsi qu’une série d’élaborations n’auraient pas été possibles. Mais il n’y avait pas non plus de modèle triomphant. L’une des complexités de cette étape est de ne pas avoir de modèle, et même que les modèles qui existaient ne sont pas bien considérés par le mouvement de masse, car ils se sont soldés par d’énormes catastrophes, comme l’URSS, qui a abouti à une restauration capitaliste. Nous pouvons dire que Trotski avait raison, mais cela n’est que pour nous, car cela ne veut pas dire que les gens deviennent trotskistes. De même pour la question que « le socialisme dans un seul pays » allait échouer.
Ce sont des questions dont il faut discuter, surtout pour voir comment même une analyse critique de nous-mêmes nous permet de mieux nous armer pour l’étape dans laquelle nous nous trouvons. Je crois que nous revenons à une étape où sans parti révolutionnaire et sans classe ouvrière en première ligne, la révolution n’est pas posée. C’est ce que nous entendons par normalisation. Cela soulève de nouvelles tâches et complexités dont nous devons discuter. Un débat important est de savoir si nous sommes dans une étape où ses forces ont déjà épuisé et donc, après les années 90, tant d’années se sont écoulées depuis que la révolution n’a pas eu lieu qu’on ne l’envisagera plus, ou si nous sommes dans une phase transitoire dans laquelle nous devons faire confiance à la classe ouvrière, que le processus conduira à l’apparition de plus en plus de conditions pour résoudre ces contradictions. Je crois ce dernier. Mais ce sont des débats qu’il nous faut faire. Nous devons éviter l’objectivisme et avoir des politiques pour résoudre les contradictions et les problèmes.
Je crois qu’il faut aussi rediscuter d’un concept qui a une explication, surtout au début des années 80, pour une série de phénomènes survenus dans le monde, mais qui aujourd’hui, extrapolé, prête à confusion. C’est le fameux concept de révolution démocratique. Je pense personnellement que cette définition est inutile. Pourquoi ce concept ne fonctionne-t-il pas pour moi aujourd’hui ? Parce que je crois qu’aujourd’hui, susciter trop d’attentes dans les mobilisations pour des aspects démocratiques, à un moment où le capitalisme est dans une crise brutale et ne peut réaliser aucune conquête démocratique, vous amène un peu à avoir l’illusion qu’il y aura un chemin étapiste qui va vous conduire au socialisme, et ce n’est pas comme ça, et cela vous amène à ne pas mettre en garde contre les faiblesses des processus.
Par exemple, je crois que l’échec de la révolution catalane est dû au fait qu’il n’y a pas de possibilité de changement démocratique sans un débat de fond menant au socialisme. Le débat sur la Palestine a à voir avec la même chose. Il n’est quasiment plus possible aujourd’hui de provoquer des réformes sans aller directement au conflit. Et nous devons nous construire dans cette réalité, et non pas croire qu’un triomphe démocratique, difficile à entrevoir, va t’emporter et t’ouvrir la porte au socialisme. En plus, cela ne s’est pas produit. La réalité est la réalité. La fameuse révolution politique à laquelle nous nous attendions n’a pas eu lieu. Ce que Trotski avait dit ne s’est pas produit, à savoir que la crise de la bureaucratie allait conduire à un processus dans lequel la mobilisation allait vaincre la bureaucratie et où l’URSS pourrait être rétablie sans révolution sociale. Cela ne s’est pas produit. Et nous devons comprendre que cela ne s’est pas produit. Certains attendent encore la deuxième étape. Les choses sont telles qu’elles sont dans la réalité et nous devons nous armer à partir de la réalité, précisément parce que c’est ça le marxisme : ce n’est pas un dogme. Et rien de tout cela n’est arrivé parce qu’il n’y avait pas de partis révolutionnaires forts et structurés au sein de la classe ouvrière.
En exagérant un peu, parce qu’on exagère dans la controverse, je dis toujours qu’en réalité les plus marxistes de la Révolution russe étaient les mencheviks. Parce que, d’une certaine manière, Marx avait prédit que la révolution était impossible dans un pays arriéré comme la Russie, et c’est ce qui a donné un certain échafaudage au menchevisme et à la majorité de la direction bolchevique. C’est pourquoi Lénine est venu et a dû leur botter le cul en avril 1917, leur dire non et adhérer, sans le dire, à ce que disait Trotski : que la révolution socialiste était posée en Russie et que ne pas lutter pour prendre le pouvoir était un crime. Car le marxisme n’est pas un dogme dans lequel on a un schéma et on essaie d’y insérer la réalité. Non : c’est une science vivante. Et les schémas que vous faites vous-même, parce que nous avons besoin de schémas, il faut avoir le courage de les jeter en enfer quand la réalité ne correspond pas à ces schémas et réfléchir, ouvrir la tête pour penser, pour élaborer.
Nous avons encore beaucoup à élaborer, beaucoup. Je crois que nous devons faire cette élaboration sur la base de nous regrouper avec d’autres, car il est très difficile d’élaborer pleinement la réalité à partir de chacun des petits secteurs qui provenons d’un courant ou d’un autre. Et cela a à voir avec le projet de la LIS, pour parvenir à une élaboration plus complète, même en sachant que nous pouvons à nouveau faire des erreurs ; il faut des contacts, des échanges avec d’autres courants, avec d’autres camarades qui viennent d’autres expériences, qui ont été construits dans d’autres réalités. Il est très difficile, depuis l’Amérique latine, au bout du monde, de bien faire les choses et de croire que l’on va bien comprendre ce qui se passe dans un monde très complexe et qu’en plus, d’ici, on va exporter « la » réponse pour ceux qui parlent ourdou, ceux qui parlent des langues qu’il nous est même difficile de prononcer. Je crois que le contact avec les autres courants du marxisme et du trotskisme qui se sont formés à partir d’autres points de vue est essentiel. C’est pourquoi le projet de la LIS ne consiste pas seulement à joindre pour le plaisir de joindre : c’est parce que nous pensons que c’est la seule façon d’essayer de résoudre le problème de direction, qui est le problème le plus aigu que nous ayons, mais que nous n’allons pas le résoudre ni d’ici ni de là, mais dans un processus de convergence, de débat, d’écoute mutuelle.
C’est pourquoi le projet de la LIS n’est pas d’autoproclamer la LIS, même si nous pensons qu’il est important de construire la LIS : il s’agit de construire la LIS et de travailler avec d’autres camarades qui ne sont pas de la LIS, mais avec qui nous avons la perspective d’un travail commun, comme les camarades de la France, comme les camarades d’Australie, être ouverts au travail avec d’autres. C’est pourquoi nous accordons de l’importance à assister à des événements comme celui de Milan, donc si tu vois les résolutions, tu dis « pourquoi suis-je venu ici ? » Mais ça te permet le contact avec d’autres, ça te permet de discuter, de débattre, de ne pas regarder ton propre nombril.
Nous allons par exemple aller à un événement au Brésil que le MES a organisé. Nous avons des accords et des divergences très importants avec le MES. Or ; nous ne devons pas fuir le débat et la discussion. Le MES au Brésil est une force très importante. Dans la perspective de dépasser le PSOL, qui est dans un processus de dégénérescence accélérée, nous devons également avoir une politique pour ces camarades. Parce que la vérité est que le désert hors du PSOL au Brésil est immense. C’est un désert long et sans eau pour se construire. Il est très important de travailler pour voir si nous pouvons converger avec d’autres et voir s’il y a une perspective.
De même pour les définitions. Par exemple, je pense qu’on pourrait définir la situation comme pré-révolutionnaire. Mais il y a des camarades qui tu leur dis ça et ils ne comprennent rien du tout. Ils pensent que tu as bu un litre de tequila. Quand on parle dans le monde et qu’on voit le poids qu’ils donnent à la montée de la droite. Cela peut donc être pour notre consommation, ceux qui venons d’un certain courant. Mais pour moi, polarisation définit mieux, est plus compréhensible et permet d’entrer dans un débat pour arriver au contenu de la situation, qui ne nie pas les éléments positifs qui existent, mais ne donne pas l’impression que tout va sur un lit de roses vers la révolution, quand tout ce qui se passe est plus complexe.
Je crois que polarisation est un concept qui définit mieux la situation. Parce que d’une part, cela identifie clairement l’extrême droite, ce qui est un problème que nous ne pouvons pas minimiser. Car même si nous ne considérons pas aujourd’hui le fascisme comme un projet consolidé, nous ne pouvons nier que, en perspective, si la classe ouvrière et les révolutionnaires ne pouvons pas grandir, il peut avancer. Car si ce n’est pas du socialisme, c’est de la barbarie. Parce que dans cette phrase, nous n’aimons que la partie socialisme, pas la partie barbarie. Eh bien, mais la barbarie est là, elle est à la porte, elle est au coin de la rue.
Or; je pense qu’il est important non seulement de voir ce pôle, mais aussi de voir l’autre. Parce que l’autre est ce qui ouvre la possibilité que l’alternative soit aussi le socialisme. Parce qu’il y a des luttes formidables et tant qu’il y aura des luttes, tant que de lourds bataillons du prolétariat comme celui des États-Unis, comme celui de l’Europe, comme celui de l’Angleterre, seront incorporés. En Angleterre, il y a eu une défaite retentissante lors de la grève des mineurs avec Margaret Thatcher, qui a marqué le début du néolibéralisme et des attaques brutales dans le monde entier. Et cette étape s’est terminée. Il y a une recomposition qui s’amorce dans la classe ouvrière et ce sont les poids lourds. La situation des États-Unis n’est pas une mince affaire, car cela vaut pour 50 Argentines, camarades, que les États-Unis commencent à bouger comme ils le font. Pour la définition de la situation mondiale, il est qualitatif qu’aux États-Unis, le socialisme cesse d’être un gros mot parmi les jeunes et des segments du mouvement de masse. C’est une chose qualitative, même si elle en est encore au stade réformiste. Ce sont des éléments de la situation. En France, des camarades ont parlé d’une situation presque pré-Mai 68, qui ne s’est pas soldée par une victoire, mais a ouvert une situation politique marquante.
Or; ce n’est pas facile de construire parti. C’est une réalité. Il y a des problèmes dans la conscience que nous devons analyser. Il faut également savoir que la montée de l’extrême droite est un choc qui amène des pans entiers du mouvement de masse à se polariser également vers l’autre côté, à avancer et à entrer en crise avec les directions réformistes, dont nous devons profiter. Nous ne pouvons pas non plus être des objectivistes à l’envers et espérer que les problèmes se résolvent d’eux-mêmes. La politique des révolutionnaires y intervient également. Je crois que dans de nombreux endroits, il n’y a pas de progrès à cause des erreurs commises par les révolutionnaires.
Par exemple, je crois que la politique du PTS -qui est celui qui dicte d’ici ce que RP doit faire-, de partir avant du NPA était criminelle, car le congrès du NPA aurait pu être gagné, une défaite très important du réformisme aurait pu être provoquée et il y aurait un parti énorme. Mais ce n’est pas leur politique, parce qu’ils sont sceptiques, ils ne croient pas à ce qui soit posé. Ils veulent juste voir s’ils gagnent quatre ou cinq. La politique qu’ils mènent ici en Argentine est criminelle, car pour tenter d’avoir la porte-parole à la mode, ils bloquent la possibilité de créer une force militante de 30 ou 40 000 personnes, et même la possibilité de transformer le Front de gauche Unité en un grand mouvement, où le partis agissions comme des tendances et laissons le débat politique être celui qui définit qui a raison, mais qui en même temps encourage la révolution en Argentine et transforme la gauche, qui s’est sclérosée.
Les camarades qui viennent de l’extérieur, qui voient le potentiel du Front, doivent savoir qu’il a un problème, parce que les secteurs qui vous ont soutenu hier, vous disent aujourd’hui « eh bien, je vous ai soutenu, mais je ne vois pas que vous le résolvez ». Dans certaines localités, certaines provinces, les élections ont été gagnées. La capitale a été conquise à Salta, il y avait une majorité au Conseil municipal. Et puis tu as reculé. Pourquoi ? Beaucoup de gens vous disent « eh bien, je les ai soutenus, mais qu’est-ce qui vous est arrivé ? » C’était pour le Parti ouvrier. Il n’a pas appelé toutes les forces de gauche pour voir ce que nous faisons avec cela, que nous sommes sur une poudrière. La même chose se passe à Jujuy. Là, la responsabilité incombe davantage au PTS. C’est un projet électoral, alors qu’il aurait dû impliquer tout le monde, les intellectuels, tous. Nous avons obtenu 25 % des voix du Front de gauche et ils ont essayé de nous laisser de côté, de nous ignorer. Alors qu’en réalité il fallait convoquer une grande plénière, une assemblée, convoquer des intellectuels de tous bords, car il faut aussi démontrer qu’on est une alternative. C’est à dire, la politique des révolutionnaires a du poids dans la réalité. Ce n’est pas que la situation objective nous ferme tout. Il y a des opportunités dont il faut savoir profiter. Bien entendu, dans certains endroits, l’accumulation est plus importante que dans d’autres.
Écoutez, j’ai été impressionné par le Portugal. Cet exemple que Gil a donné de la façon dont un petit groupe de trotskistes a réussi, sur la base d’un succès, qui est la formation d’un petit syndicat, à mobiliser, deux fois, environ 100 000 personnes au Portugal et à ébranler l’ensemble du système bureaucratique syndical parce que STOP est devenu un formidable pôle. Il faut suivre le phénomène STOP en Europe pour voir si on ne peut pas tirer des leçons de ce phénomène ailleurs. Et bien sûr, il a été difficile pour nos camarades de traduire ce succès en politique. Des sectes pourries ont également agi pour éviter cela, car l’UIT, au milieu de cet affaire, pour gagner une camarade, a mené une campagne contre les dirigeants du STOP. Il a mené une campagne, un courant qui se dit révolutionnaire, allant dans les assemblées pour dire que le STOP était dirigé par derrière par le MAS, pour s’emparer de la partie la plus arriérée du mouvement syndical et pour bloquer. Cela a démoralisé nos dirigeants là-bas, les a mis sur la défensive. Un courant qui, pour en convaincre, a tenté de détruire toute possibilité de devenir une alternative politique. Autrement dit, les politiques des directions pèsent. Je crois que le truc de Portugal n’est pas perdu et que nous devons tous travailler pour trouver un moyen d’inverser cette tendance, car STOP est toujours là, il y a encore une opportunité, et nous devons travailler pour trouver un moyen de la saisir et de la traduire en politique. Et nous devons tous aider. Même, s’il faut, dans un acte d’internationalisme, les camarades brésiliens en envoient de jeunes camarades pour aider à la construction. Nous devons discuter de la manière dont nous procédons, car c’est de cela qu’il s’agit. Quand il y a des opportunités, nous sommes tous le Portugal, car sinon il n’y a pas de véritable internationalisme.
Je pense donc que la situation est très contradictoire, mais nous, révolutionnaires, pouvons agir et accumuler des forces. Il est très complexe d’acquérir une influence de masse. Mais il n’est pas complexe d’accumuler des forces, de former des partis d’avant-garde, de se renforcer pour qu’un tournant dans la lutte des classes, qui va se produire, nous permette de faire un bond dans certains endroits et de les transformer en un pôle. Mais je pense que nous ne pouvons pas faire cela dans une perspective nationale. Je crois que nous ne pouvons le faire que dans une perspective internationale et en s’entraidant entre révolutionnaires pour profiter des opportunités là où elles se présentent, pour nous renforcer. Car le renforcement d’un endroit est celui de tous.
Voilà pourquoi nous sommes obsédés par ce projet qui tente de rompre avec un passé où la seule chose qui t’intéressait était d’en gagner un. Il faut gagner non pas un, mais deux, dix, cent, car nous voulons construire un parti révolutionnaire. Mais autour de répondre aux tâches de la lutte des classes et du moment où nous nous trouvons, qui est d’essayer de voir si nous pouvons commencer à former de petits pôles et nous ne pouvons le faire qu’au niveau international. Nous ne pouvons pas le faire localement, même pas en Argentine. Soyons clairs. La LIS nous a été une aide pour nous positionner politiquement. Sans la LIS, le MST ne serait pas politiquement centré. Même avec sa faiblesse, le débat international, les avis des camarades, sont essentiels pour former les cadres. C’est à dire, il n’est pas possible de former des cadres dans un cadre uniquement national, sans contact, sans échange avec d’autres. Il n’y a aucune chance.
Il y a des débats qu’il faut approfondir. Je vois par exemple nos camarades du Costa Rica accéléres sur la question des frictions inter-impérialistes. Car même si je crois que des frictions existent et qu’il y a processus, la Troisième Guerre mondiale n’est pas au coin de la rue. Et c’est important, car cela relève de la politique. Nous ne pouvons même pas, en tant que marxistes, dire « il va y avoir une troisième guerre mondiale ». Nous émettons une hypothèse. Il existe également d’autres contradictions. Car attention, la bombe nucléaire agit aussi, car, quand une bombe explose d’un côté, une bombe explose aussi de l’autre. Et c’est un fait de réalité qui, par exemple, a empêché qu’il y ait une troisième guerre mondiale et la guerre a été froide pendant longtemps jusqu’à la chute de l’URSS. Il existe aujourd’hui un conflit inter-impérialiste croissant et nous ne pouvons pas dire qu’il n’y en aura pas, mais nous devons en observer les rythmes. Un des secteurs de la gauche internationale pratique la politique comme s’il y avait déjà une troisième guerre mondiale. Il déclare ensuite que le point central est le défaitisme partout. Et oui, mais le défaitisme en Russie, c’est bien ; le défaitisme dans les pays impérialistes, c’est bien ; mais devons-nous aussi faire du défaitisme en Ukraine, c’est-à-dire permettre à Poutine d’atteindre Kiev et d’y monter une marionnette ? Non, ce n’est pas une politique correcte. Et s’il y aurait une troisième guerre mondiale, ce serait correcte. Mais attention, car Lénine, analysant la Première Guerre mondiale, a déclaré à propos de la Serbie qu’il était malheureux que le début de la Première Guerre ait masqué le problème national qui existait en Serbie. Ne croyons pas que ce soient tous des phénomènes nouveaux. De nombreux phénomènes similaires se sont produits dans le monde. Mais ce sont des débats complexes.
Le Maïdan ukrainien était contre un gouvernement satellite de la Russie. Un processus qui était dans un sens arriéré. Mais qui a des points de contact avec ce qui s’est produit, par exemple lors de la chute de l’Union Soviétique, où même les forces contre-révolutionnaires sont devenues fortes en raison de l’absence de direction révolutionnaire. En faisant une analyse unilatérale du Maïdan, on peut s’opposer à la mobilisation de masse et finir par soutenir un gouvernement qui était une marionnette de la Russie. Le problème est celui de la direction révolutionnaire. Je crois que ce sont des questions qui doivent être bien analysées et non superficiellement. Même les campagnes de Poutine s’effondrent sur cette question, car l’Ukraine serait un cas unique au monde où un pays tout entier est fasciste et de droite alors que ce n’est pas le cas, c’est plus contradictoire, plus complexe. Mais bon, ce sont des débats qu’il faut faire.
Nous devons continuer à écrire sur la Chine, car il y a un problème qui est celui de l’impérialisme. Mais il y a une autre question qui préoccupe en permanence les camarades pakistanais. Et la Chine est plus proche du Pakistan que de l’Argentine ou de l’Amérique latine, et les débats sont bien plus concrets. Ce sont des éléments que nous devons utiliser au service de notre proposition. Il est évident que la Chine s’est développée comme une puissance capitaliste et un impérialisme très rapidement, en partie parce qu’elle profite de la centralisation de l’économie. C’est un fait de réalité. Et nous défendons la centralisation économique, au service d’un projet socialiste, pas au service d’un projet impérialiste. Mais il est vraie que nous devons utiliser cela, comme à un moment donné -je ne veux pas entrer dans la polémique- nous avons utilisé « socialisme avec démocratie » pour essayer d’expliquer. Ici, nous avons eu des problèmes avec Cuba parce que nous l’avions là-bas, et nous avons essayé d’expliquer la défense de Cuba et de dire qu’il lui manquait quelque chose. On jongle constamment pour dialoguer.
Il y a ensuite la question tactique du nom, du socialisme et de la manière dont nous l’utilisons. Le problème central pour moi est que nous devons soulever le socialisme, le programme. Attention, en Ukraine nos camarades s’appellent Ligue socialiste ukrainienne et ils ont survécu pendant un certain temps. Cela dépendra de la lutte des classes, de son évolution. Je crois que si la guerre est perdue, un processus sera engagé contre Zelensky et contre tout le monde. Quand tous les combattants reviendront demander un travail qui n’existe pas, nous verrons ce qui se passera en Ukraine. Bien sûr, si on le gagnait, ce serait pour moi une onde de choc : cela irait en Russie, ailleurs. Mais bon, c’est un autre sujet.
Je pense qu’il y a de nombreuses faiblesses dans la LIS que nous devons combattre. Par exemple, nous devons mieux nous attaquer à la question des réseaux sociaux, la question des campagnes. Nous avons mené des campagnes, mais avec de difficultés. Nous n’avons pas de lettre de liaison et cela empêche qu’il y ait plus de socialisation de beaucoup de choses. Nous avons accordé beaucoup d’importance au site web, mais moins à celui-là. Il faut avancer. La LIS est un projet qui ne fait que commencer, que nous devons tous améliorer ensemble.
Mais je crois qu’au cours des quelques années d’existence de la LIS, nous avons démontré certaines choses. Personne n’a imposé à aucun direction national la politique élaborée ailleurs. Nous avons été patients dans certaines débats parce que nous croyons vraiment en ce projet. Nous ne pensons pas que quiconque, quelle que soit sa taille, doive imposer des politiques à autrui. Ce que nous voulons, c’est créer des instances de débat et de discussion pour qu’il y ait une conviction dans les politiques qui doivent être appliquées. Et c’est pour moi un point fondamental. Parce qu’il nous faut construire un projet qui soit même à l’écoute des autres.
Je crois que le parti pakistanais est un parti fondamental dans la construction de la LIS, car se construire au Pakistan est très complexe. C’est bien plus difficile que de se construire dans des pays dotés d’une certaine stabilité démocratique, même si elle est aujourd’hui en train de se perdre, avec des situations économiques très différentes, avec des sociétés plus arriérées en raison du fondamentalisme et du développement économique du pays. Et cela a à voir avec ce que j’ai dit à propos des Anglais. Je crois que les Anglais ont construit des partis même dans des endroits très complexes.
Or, au même moment, les projets internationaux des Anglais explosaient. Pourquoi ont-ils éclaté ? Pourquoi Peter Taffe est-il seul et triste aujourd’hui, après avoir été l’un des dirigeants qui ont bâti une grande internationale ? Pourquoi tous les partis sont-ils partis et l’ont-ils laissé tout seul ? C’était une rébellion contre le parti anglais et tout le monde s’est en allé. Ils ont formé quelque chose d’autre appelé l’Alternative socialiste internationale. Parce que Peter voulait continuer à imposer la politique depuis l’Angleterre dans chacune des sections. En particulier aux Irlandais, qui s’étaient développés avec une force significative et s’étaient engagés dans une cause très importante qui les a catapultés, à savoir la cause féministe. Et comme Peter Taffe était contre, il a essayé d’organiser une faction contre les Irlandais et cela s’est retourné contre lui. Une faction différente et majoritaire s’est constituée, mais contre lui. Autrement dit, la question du parti mère est politique. Je crois que, par exemple, le petit parti français, de 200 membres, qui reste des mandélistes, est toujours un parti mère. Parce que cela n’a pas seulement à voir avec le nombre : il a à voir avec la croyance, de ces directions, qu’elles continuent d’être la direction fondamentale pour construire le projet international et qu’à partir de là, elles élaboreront une politique ici ou là. Cette direction a imposé à la Grèce de se ranger du côté de Syriza alors que la direction grecque et le parti qu’ils avaient là-bas étaient contre et voulait aller dans un autre sens avec Antarsya. Et ainsi de suite avec chacun des groupes. Et c’est cela qui détruit les partis : l’imposition. Il est correct, par exemple, en Angleterre, de se défendre contre les attaques xénophobes contre les musulmans. Et il est juste de défendre, comme en France, d’avoir des candidats ayant cette caractéristique. Mais il est incorrect, comme le voulaient les Anglais, d’imposer la même politique aux pays musulmans, dans lesquels on lutte contre l’islamisme et on n’est pas obligé de faire du suivisme.
Notre base -et il doit y avoir un contrôle social de tous les partis-, c’est de savoir que nous avons une direction hyper faible, qui n’a rien dirigé, qui ne peut exporter qu’une faible expérience de ce que nous faisons et qui ne pourra transformer ses directions que le jour où nous dirigeons quelque chose. Et pour cela, nous devons travailler en équipe entre nous tous, avec les partis, avec les militant.e.s et avec chacun des groupes les plus grands ou les plus petits que nous avons.
31/03/24 – Approuvé à l’unanimité
(avec le document de la LIS)