Dans ce petit pays pauvre et en souffrance des Caraïbes, et après de longues négociations, le journal officiel Le Moniteur a finalement publié le 16 avril le décret qui entame un processus incertain de transition politique pour une période de 22 mois, jusqu’au 7 février 2026.
Le mécanisme institutionnel est plus que complexe, en tant qu’expression de l’énorme crise politique qui affecte Haïti. L’actuel Premier ministre mis en cause, Ariel Henry, qui aurait dû démissionner le 7 février, doit désormais transférer le pouvoir à un Conseil présidentiel de transition composé de neuf membres : sept titulaires avec droit de vote et deux observateurs. Ce Conseil doit proposer un nouveau Premier ministre et celui-ci, à son tour, doit former un nouveau gouvernement « de consensus », établir des mesures d’urgence pour « stabiliser » le pays, puis convoquer un conseil électoral « impartial » et des élections vers février 2026.
De plus, étant donné que tous les membres du nouveau Conseil n’ont pas encore présenté leurs antécédents, comme par exemple l’absence de poursuites pénales pour corruption ou autres délits, le décret officiel charge l’organisme lui-même « de soumettre les pièces requises ultérieurement dans un délai raisonnable » et, « qu’a défaut de pouvoir le faire, ils seront obligés de se démettre »…
Ainsi, le Conseil de transition était composé de « représentants des principaux partis du pays, ainsi que du secteur privé et de la société civile ». Autrement dit, quelles que soient leurs différences et qu’elles soient pro-gouvernementales ou opposantes, elles sont toutes des forces politiques et sociales qui défendent le système capitaliste.
Les sept membres réguliers ayant droit de vote représentent :
- Fanmi Lavalas (sociaux-démocrates).
- Collectif du 30 janvier : PHTK (droite, au pouvoir depuis 2011), LAPEH (centre), UNIR (chrétien protestant), MOPOD (démocrate-chrétien) , OPL (social-démocrate) et GREH (droite).
- Accord de Montana (mouvements civils et politiques).
- Accord du 21 décembre (groupes politiques, sociaux et économiques).
- EDE (centre-droite), plateforme RED et Compromis historique (démocrates-chrétiens, nationalistes et autres).
- Pitit Dessalines (centre-gauche).
- Chambre de commerce américaine (AmCham) et autres chambres patronales.
Parallèlement, les deux membres observateurs sans droit de vote représentent :
- Coalition REN (interconfessionnelle).
- Coordination de la diaspora haïtienne et d’autres groupes civils.
Dans sa déclaration du 10 avril, le Conseil proposait déjà trois priorités : « le rétablissement de la sécurité publique, l’organisation de la conférence nationale et de la réforme constitutionnelle, et la tenue d’élections générales démocratiques, crédibles et participatives ».
Non à l’ingérence impérialiste
Cet accord politique précaire est présenté comme une « solution haïtienne », mais en réalité il a été promu par la CARICOM, la Communauté des Caraïbes, qui regroupe 15 petits États de cette région, avec une grande influence politique britannique et américaine. Il bénéficie également du soutien du Core Group, composé de représentants des États-Unis, du Canada, de la France, de l’Allemagne, de l’Espagne, du Brésil, de l’Union européenne et de l’OEA.
La première priorité du Conseil de Transition étant la sécurité, dans un pays dévasté par des gangs mafieux liés à la police et à l’armée, un Conseil National de Sécurité sera formé avec des experts haïtiens et étrangers. Celle-ci supervisera « l’assistance internationale en matière de sécurité », c’est-à-dire la mission policiale-militaire décidée en octobre dernier par l’ONU à la demande des États-Unis. On parle de troupes du Kenya, du Bénin et d’autres pays. Voilà donc la nouvelle intervention politico-militaire directe de l’impérialisme, qui doit être catégoriquement rejetée !
Depuis 1993, plus de dix « missions de paix » politiques et militaires organisées par l’impérialisme américain sont déjà intervenues en Haïti et ont plongé toujours plus le pays dans la dépendance, la faim, le chaos.
Comme l’ont prévenu le ROZO (Réseau des Organisations de la Zone Ouest) et d’autres groupes populaires et de gauche en Haïti, cette nouvelle intervention n’apportera aucune solution : « Depuis son indépendance révolutionnaire en 1804, Haïti a subi de nombreuses interventions étrangères, qui n’ont pas fait qu’aggraver la misère, la dépendance et la corruption, dont celle de la MINUSTAH de 2004 à 2017 »[1].
Depuis la LIS, nous réaffirmons le droit élémentaire du peuple haïtien à décider librement et démocratiquement de son destin. Sur cette voie, nous soutenons la construction d’une alternative politique socialiste car ce n’est que par une révolution ouvrière et populaire qu’Haïti pourra briser sa soumission à l’impérialisme et au capitalisme et initier les réformes structurelles qui garantissent le bien-être du peuple travailleur.
Pablo Vasco
[1] https://lis-isl.org/fr/2024/01/26/no-a-la-intervencion-imperialista-en-haiti-libre-autodeterminacion-del-pueblo-haitiano/