France : Lutter pour les revendications sociales et démocratiques en suspens

Par Gérard Florenson

Une semaine après le second tour des élections législatives, la situation semble bloquée par l’absence de majorité à l’Assemblée nationale. Mais attention, si l’avenir est incertain, il y a toujours un gouvernement : les politiques de régression sociale ne sont pas remises en cause, les syndicalistes et écologistes persécutés restent menacés, la défense de la cause palestinienne reste un délit et le colonialisme d’Etat maintient les militants kanaks en prison. C’est pourquoi aucun de nos combats actuels ne doit être suspendu dans l’attente d’une solution institutionnelle à la crise de la représentation politique.

Macron, vaincu et sans perspectives

Sa lettre aux Français est vide et pathétique. Il prétend que personne n’a gagné pour cacher le fait qu’il y a un grand perdant, son gouvernement à travers lui-même. C’est une défaite cuisante, d’une ampleur inégalée pour un gouvernement en place : les votes du premier tour ont montré le rejet populaire de Macron et de sa politique. Même si la « barrière républicaine » décidée sans contrepartie par l’ensemble de la gauche institutionnelle a permis de sauver quelques sièges de ministres, les perspectives du président sont assombries.

La dissolution de l’assemblée devait isoler à la fois le Rassemblement national et les “rouges” et étendre la majorité présidentielle sur sa droite et un peu, si possible, sur sa gauche. L’union de ces derniers au sein du Nouveau front populaire et surtout la défaite de leur propre camp ont rendu cette tâche impossible.

Les négociations se poursuivent, mais la droite classique et une partie du camp gouvernemental rejettent tout accord avec la gauche et les écologistes, à l’exception peut-être de quelques socialistes « sympathisants », mais ces derniers ne se manifestent guère. Le Parti socialiste mesure le risque d’être associé à ce gouvernement en faillite. Sans majorité suffisante, le gouvernement d’union républicaine ne verra probablement jamais le jour.

L’extrême droite attend son heure

Le calme des dirigeants du Rassemblement national contraste avec la cacophonie dans le camp présidentiel et la querelle pour le poste de premier ministre entre les dirigeants du Nouveau front populaire. La déception du second tour est évidente : forts de leurs résultats au premier tour, le RN et ses alliés pouvaient espérer, à chaque échec d’une improbable majorité absolue en sièges, disposer du groupe le plus important et du pouvoir de blocage.

L « alluvion républicain », qui a essentiellement profité à Macron, a déçu cet espoir, mais l’extrême droite reste forte des voix du premier tour qui en ont fait le premier parti du pays.

Le Rassemblement national se prépare donc aux prochaines élections présidentielles, que Marine Le Pen pourrait remporter cette fois-ci, soit à la date prévue, soit si le blocage institutionnel pousse Macron à démissionner.

Mais le calme pourrait ne pas durer. La crise ne se limite pas à la sphère politique. La défaite électorale de Macron est le produit d’un mécontentement accumulé, de luttes sociales qui n’ont pas réussi à vaincre le gouvernement. Malheureusement, dans les urnes, une partie de cette colère s’est reflétée dans le vote pour le RN, mais si cela se reproduit demain dans les entreprises et dans les rues, il est probable qu’une partie de l’électorat populaire d’extrême droite sera principalement motivée par ses intérêts de classe.

Mais il y a un autre aspect à prendre en compte. Pour les capitalistes, un gouvernement comme celui de Macron, libéral européen et de centre-droit, est la meilleure formule tant qu’il limite la classe ouvrière tout en respectant une façade démocratique. Mais elle n’est bonne que tant qu’elle fonctionne, et si la police officielle ne suffit plus à museler les opposants, il faut des interventions moins « républicaines ». Les « bandes armées du Capital » ne sont pas encore une réalité mais elles pourraient arriver rapidement et la périphérie de la NR, voire son noyau, joueront un rôle essentiel. Et ce n’est pas avec les urnes qu’on les arrêtera !

Du côté du Front populaire, rivalités internes et respect de la Constitution

Le premier tour n’a pas été une grande victoire pour le Front populaire. Il a bénéficié d’une mobilisation électorale, notamment chez les jeunes et dans les quartiers populaires, mais en termes de voix et de pourcentages, il a été distancé par le Rassemblement national et ses alliés. Le nombre de sièges obtenus au second tour est important, mais il ne doit pas faire oublier cette réalité.

Les raisons de son succès relatif, outre le fait d’avoir su se positionner en rempart contre l’extrême droite et son racisme désinhibé, sont de deux ordres. La première est l’unité des candidatures, la seule capable de permettre l’accès au second tour compte tenu du mode de scrutin, unité qui répondait aussi aux exigences d’une base qui rejetait les querelles de chefs. La seconde est la reprise dans un programme (que peu de gens ont pu lire dans son intégralité mais dont les éléments essentiels sont devenus populaires) des principales revendications sociales et environnementales qui ont été au cœur des luttes de ces dernières années, ce qui a permis le soutien des principaux syndicats et associations.

Mais, dès le lendemain du premier tour, tous les dirigeants du Nouveau front populaire, à commencer par Mélenchon, ont commis la trahison d’appeler à une « barrière républicaine » et de retirer des candidats pour sauver la situation, les ministres de Macron et des politiciens encore plus à droite ; donnant ainsi un brevet de démocratie à des groupes politiques et à un gouvernement détesté et sanctionné par les urnes. Le Nouveau front populaire a permis au Rassemblement national de se présenter comme le seul opposant à Macron.

Le spectacle actuel n’est pas meilleur, les composantes du Nouveau front populaire se disputent pour savoir qui sera le Premier ministre de Macron, un poste qui leur reviendrait de droit selon les traditions de la Vème République, ce régime de coup d’État permanent dénoncé depuis longtemps par la gauche.

Et dans le cas où Macron accepterait cette cohabitation, ils seront poussés à négocier quelles parties du programme devront être sacrifiées ou édulcorées pour permettre à un gouvernement de gauche soutenu par une minorité de députés et marginalisé au Sénat d’obtenir des majorités de circonstance pour faire passer certaines mesures. Sans doute plus encore si l’on considère les attaques contre le programme du NFP émanant de la droite, de l’extrême droite, des « centristes » du gouvernement et des journalistes à leur service.

La tâche du moment n’est pas de manifester pour imposer à Macron l’élection d’un premier ministre de gauche, mais de participer à la lutte pour imposer au futur gouvernement, quel qu’il soit, la satisfaction des revendications, pour gagner les mesures d’urgence sociales et démocratiques qui figurent principalement dans le programme du NFP et qui pourraient atteindre une mobilisation beaucoup plus large. Et l’issue fondamentale, stratégique, passe par un gouvernement des travailleurs et du peuple.

Malheureusement cette orientation n’est défendue par aucune composante du NFP, pas même, et c’est regrettable, par le NPA « anticapitaliste » qui, après avoir soutenu le vote pour les réactionnaires au nom du « moindre mal », se retrouve aujourd’hui dans le « moindre mal » avec la revendication « démocratique » de la coexistence d’un gouvernement de gauche avec Macron.

Si le gauchisme est la maladie infantile du communisme, l’opportunisme est sa maladie sénile : malheureusement, si les enfants grandissent, les vieux ne rajeunissent pas.