Par Gérard Florenson
François Bayrou succède à Michel Barnier, premier ministre éphémère renversé par une motion de censure. Tous les deux sont de vieux routiers de la politique française, amis des patrons et réactionnaires, anciens ministres dans différents gouvernements de droite. Pour tenter de sauver son pouvoir, Macron n’a pas fait le choix du renouveau et de la jeunesse, nous sommes loin du profil affiché lors de sa première élection, il se trouve dans une situation désespérée et ne cherche plus qu’à différer la crise qui risque de le balayer. Il veut assumer jusqu’au bout sa « mission » de garantir les profits des capitalistes en faisant payer les classes populaires et en liquidant les acquis sociaux.
Il avait misé sur Barnier pour constituer un gouvernement qui, à défaut de séduire, ne soit rejeté ni par la gauche ni par la droite, tout en bénéficiant de la neutralité du Rassemblement National ; ce fut un échec. Avec Bayrou on prend les mêmes ou presque et on recommence, en espérant que le Nouveau Front Populaire comme la droite extrême hésiteront à aggraver la crise politique de crainte de se trouver eux-mêmes débordés et préféreront attendre les Présidentielles. Le pari est loin d’être gagné car aucun parti ne maîtrise la situation et la crise déborde le cadre des institutions. On peut bien sûr ironiser sur le retour des morts vivants et se moquer de la résurrection de Manuel Valls, discrédité en France comme en Catalogne, mais il faut aller plus loin dans nos analyses.
¿Assistons-nous à la crise terminale, si souvent annoncée, de la Vº République ?
Il est clair que ce régime est à bout de souffle car le fonctionnement des institutions instaurées par le général De Gaulle supposait que le Président dispose d’une majorité parlementaire docile et donc d’un parti à sa botte, ou tout au moins que des alliances garantissent une majorité. Il y eut des vicissitudes, des alternances électorales qui ont provoqué une cohabitation entre un président de gauche et un gouvernement de droite, et vice-versa, mais les uns comme les autres se sont entendus pour réduire la durée du mandat présidentiel et la faire coïncider avec celle des députés, pensant que les électeurs ne changeraient pas de position entre deux élections rapprochées. Par ailleurs, la Constitution garantit la primauté de l’Exécutif, qui maîtrise le calendrier parlementaire et peut s’appuyer sur divers articles, dont le 49-ter, pour faire passer en force ses propositions. Cela marche… mais pas forcément en cas de dissolution, ce que nous venons de constater. Plus de majorité parlementaire, retour au « régime des partis » et aux petites combines, le régime a du plomb dans l’aile.
Aucune issue favorable aux travailleurs ne peut être trouvée dans le cadre de ce régime pourri, pas même avec davantage de débats au sein du parlement élu selon le système antidémocratique fixé par la constitution. Sans doute Mélenchon est-il le seul à croire que la démission ou la destitution de Macron fera de lui un candidat adoubé par toute la gauche et le vainqueur de Marine Le Pen au second tour… Mais les autres dirigeants du NFP nourrissent une autre illusion, que Macron devient raisonnable et leur offre Matignon…
Crise sociale, crise de légitimité. Quelle issue ?
Crise politique, crise de régime, sans doute mais avant tout crise sociale et crise de légitimité. Suivant la caractérisation classique « ceux d’en haut ne peuvent plus gouverner comme avant » et « ceux d’en bas ne veulent plus être gouvernés comme avant ». Des Gilets Jaunes au mouvement contre la casse des retraites, des manifestations des agriculteurs à celles des populations des dernières colonies contre la vie chère, jusqu´au rejet de la domination et de la présence militaire de la France en Afrique, Macron est fortement contesté et incapable de faire face. Il se prétend « la voix de la France », mais cette voix ne porte plus, il est hors du jeu quand le Moyen Orient est en flammes, impuissant quand les accords UE-Mercosur sont signés malgré ses objections.
Comme dans la Chanson des canuts « on entend partout la révolte qui gronde ». Mais il y a du chemin à faire avant de « tisser le linceul du vieux monde » car cela exigerait que ceux d’en bas se retrouvent sur un programme commun et que de la contestation du gouvernement et du régime politique une majorité remette en cause le système capitaliste. Or nous avons vu récemment dans plusieurs pays que des mobilisations populaires peuvent chasser des gouvernements mais que cela ne garantit pas un changement de régime répondant aux aspirations de celles et ceux qui ont gagné ce premier résultat. Socialisme ou barbarie, soit le premier l’emporte, soit les classes dominantes précipiteront l’humanité dans une fin effroyable.
Dans la situation actuelle le positionnement de la petite bourgeoisie, la classe de celles et ceux qui sans être de gros possédants ne sont pas non plus des prolétaires, sera décisif. Nous mesurons la force des manifestations paysannes, nous avons vu dans le mouvement des Gilets Jaunes comment beaucoup de commerçants, artisans, paysans et même petits patrons se sont retrouvés aux côtés de salariés, de chômeurs, de retraités. Si la petite bourgeoisie voyait du côté du mouvement ouvrier une réelle détermination à la lutte pour changer le système et des propositions immédiates pour améliorer sa situation, une alliance de combat serait possible. Mais nous savons aussi que faute de cette perspective elle peut basculer vers les forces réactionnaires qui promettent de défendre l’ordre et la propriété.
Malheureusement ni les partis de la gauche réformiste ni les appareils syndicaux ne semblent déterminés à affronter le système, pas même à vouloir mettre sérieusement Macron en difficulté. Il y a urgence à organiser une force révolutionnaire présente dans les secteurs décisifs de la lutte et capable d’apporter des réponses programmatiques immédiates aux besoins des exploités et des opprimés, sans incantations ni sectarisme.