La réplique du séisme abstentionniste du premier tour des élections régionales du 20 juin 2021 a été toute aussi puissante, ce dimanche 27 juin, lors du deuxième tour de scrutin. Avec 65,7 % d’abstention, contre 66,7 % au soir du 20 juin 2021, « la grève générale du vote » marque l’ouverture d’une nouvelle phase de la crise politique et du régime pourri de la Ve République.
Malgré la campagne de culpabilisation menée par le gouvernement, la classe politique et les médias, pendant l’entre-deux-tours pour « sauver la démocratie », malgré les invectives des candidats, rien n’y a fait. C’est à peine 1 % de participation en plus (environ 480 000 votants) qui a été enregistré. La détermination des masses à refuser de cautionner une mascarade électorale antidémocratique est totale. C’est un fait politique, l’abstention est forgée dans le rejet massif de Macron, de sa politique et de tous les partis inféodés à la Ve République.
Ainsi, selon une enquête de l’institut Ipsos/Sopra Steria réalisée au soir du 27 juin 2021, 27 % des abstentionnistes sondés ont voulu manifester leur « mécontentement à l’égard des hommes politiques en général ». Pour 23 % des sondés, parce qu’ « aucune liste ou aucun candidat » ne les représentait. Dans un sondage du 20 juin 2021 (soir du premier tour), Ipsos estimait même que 18 % des abstentionnistes avaient exprimé leur « mécontentement à l’égard du gouvernement et d’Emmanuel Macron ». Un tel niveau de défiance est inconnu.
L’abstention reste ultra-majoritaire dans toutes les régions, excepté en Corse : Grand Est : 69,75 % (70,8 % le 20 juin 2021) ; Pays de la Loire : 68,33 % (69,8 % le 20 juin 2021) ; Île-de-France : 66,74 % (67,5 % le 20 juin 2021) ; Centre-Val de Loire : 66,87 % (67 % le 20 juin 2021) ; Normandie: 67,09 % (67 % le 20 juin 2021) ; Hauts-de-France : 66,82 % (67 % le 20 juin 2021) ; Provence-Alpes-Côte-d’Azur : 63,16 % (66,3 % le 20 juin 2021) ; Bourgogne-Franche-Comté : 63,46 % (65,8 % le 20 juin 2021) ; Auvergne Rhône-Alpes : 66,63 % (65,1 % le 20 juin 2021) ; Bretagne : 63,38 % (64 % le 20 juin 2021) ; Nouvelle-Aquitaine : 63,43 % (62,9 % le 20 juin 2021) ; Occitanie : 62,17 % (61,4 % le 20 juin 2021) ; Corse : 41,09 % (44,1 % le 20 juin 2021).
L’abstention est ultra-majoritaire dans toutes les classes d’âge hormis les plus de 70 ans : 79 % des 18-24 ans ; 79 % des 25-34 ans ; 75 % des 35-49 ans, 62 % des 50-59 ans ; 61 % chez les 60-69 ans ; 42 % chez les 70 ans et plus. La tranche d’âge 18-59 ans s’est abstenue à 73,75 % ! L’abstention reste ultra-majoritaire chez les employés (75%), les ouvriers (73%), dans les professions intermédiaires (70%), chez les cadres (63%). Les retraités se sont abstenus à 49 %. L’abstention est plus forte chez les femmes (67%) que chez les hommes (64%).
Dans les villes ouvrières, la deuxième vague abstentionniste est aussi violente que la première : Vaulx-en-Velin (69), 87,44 % (contre 88,34% le 20 juin 2021) ; Clichy-sous-bois (93), 86,7 % (contre 87,98%) ; Vénissieux (69), 82,9 % (contre 83,20 %) ; Roubaix (59), 82,4 % (contre 83 %) ; Longwy (57), 79,81 % (contre 81 %) ; Stains (93), 81,42 % (contre 81 %) ; Villeneuve-Saint-Georges (94), 77,03 % (contre 81 %) ; Vitry-sur-Seine (94), 76,26 % (contre 77,57 %) ; Trappes (78), 71,52 % (contre 77 %); Orly (94), 73 % (contre 76 %); Le Havre (76), 74,07 % (contre 74,78 %); Mantes-la-Jolie (78), 73,48 % (contre 74 %); Saint-Nazaire (44), 70,50 (contre 71,45 %)…
Peut-être êtes-vous intéressé : France : De la grève du vote à la révolte abstentionniste !
Le naufrage de Macron et de LREM. Jamais dans l’histoire de la Ve République un parti au pouvoir n’avait subi une défaite électorale aussi cuisante. Le parti présidentiel, LREM, ne recueille que 7 % des suffrages exprimés, se plaçant systématiquement derrière LR, le PS, et leurs alliés. Aucune région conquise, un seul conseil départemental sauvegardé : la Guadeloupe. Haï par les masses, le parti et les candidats de Macron sont rejetés. Conséquence, LREM et ses alliés (notamment Agir, UDI, MoDEM) ne doivent se satisfaire que de quelques miettes au sein des conseils régionaux. Ils « remportent » : 7 sièges sur 100 en Bourgogne-Franche-Comté ; 15 sièges sur 209 en Île-de-France ; 7 sièges sur 102 en Normandie ; 18 sièges sur 183 en Nouvelle Aquitaine ; 5 sièges sur 93 dans les Pays-de-la-Loire ; 9 sièges sur 77 dans le Centre-Val-de-Loire ; 15 sièges sur 169 dans le Grand Est. Aucun siège en Auvergne Rhône-Alpes ; en Occitanie ; dans les Hauts-de-France. Quant à la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, rappelons que c’est derrière la bannière LR et sa tête de liste, Renaud Muzelier, que LREM se présentait au premier tour. Après la claque des municipales, LREM a goûté à la torgnole des régionales.
La débâcle du RN-FN de Marine Le Pen. Pour mesurer l’ampleur de l’effondrement électoral du RN-FN, un seul chiffre pourrait suffire : au second tour des élections régionales de 2015, le FN-RN recueillait au niveau national 6 820 447 voix (27,10 % des suffrages), représentant 15 % des inscrits. Le 27 juin 2021, le RN-FN recueillait 2 908 253 voix (19,05 % des suffrages), représentant 6,3 % des inscrits, soit une hémorragie de 3,9 millions de voix !
Les conséquences sont lourdes, à l’exemple des 3 principales régions d’implantation du RN-FN :
- dans les Hauts-de-France, en 2015, le RN-FN recueillait 1,01 million de voix, soit 42,23 % des suffrages exprimés, représentant 23,9 % des inscrits. Le 27 juin 2021, le RN-FN recueillait 346 918 voix, soit une perte de 668 744 voix, et représentait 8,2 % des inscrits.
- dans le Grand Est, en 2015, le RN-FN recueillait 790 141 voix, soit 36,08 % des suffrages exprimés, représentant 20,3 % des inscrits. Le 27 juin 2021, le RN-FN recueillait 290 552 voix, soit une perte de 499 589 voix, et représentait 7,5 % des inscrits.
- en Provence-Alpes-Côte d’Azur, en 2015, le RN-FN recueillait 886 147 voix, soit 45,22 % des suffrages exprimés, représentant 25,1 % des inscrits. Le 27 juin 2021, le RN-FN recueillait 524 881 voix, soit une perte de 361 266 voix, et représentait 14,6 % des inscrits.
La baisse du nombre d’élus est sévère : Hauts-de-France : 32 élus en 2021 contre 54 en 2015 ; Occitanie : 28 élus en 2021 contre 40 en 2015 ; Auvergne-Rhône-Alpes : 17 élus en 2021 contre 34 en 2015 ; Grand Est : 33 élus en 2021 contre 46 en 2015 ; Île-de-France : 16 élus en 2021 contre 22 en 2015 ; Normandie : 15 élus en 2021 contre 21 en 2015 ; Pays-de-la-Loire : 7 élus en 2021 contre 13 en 2015 ; Bourgogne-Franche-Comté : 18 élus en 2021 contre 24 en 2015 ; Bretagne : 8 élus en 2021 contre 12 en 2015 ; Centre-Val-de-Loire : 13 élus en 2021 contre 17 en 2021…
D’après Jean-Marie Le Pen, jamais avare de persiflages, les résultats du RN sont la conséquence de la « dé-lepenisation » du parti, sa « dédiabolisation » et de sa compatibilité nouvelle avec la Ve République et ses institutions. Le RN aurait perdu l’âme et le cœur de ce qui formait historiquement l’extrême droite française. Si c’est Le Pen qui le dit…
Le retour de LR et du PS ? Dans le fracas, l’électorat des écuries des exécutifs régionaux sortant a été, comparativement, moins abstentionniste. La fameuse « prime au sortant » n’est évidemment que toute relative, une fausse victoire électorale peut masquer une vraie défaite politique.
Ainsi, le grand vainqueur du 27 juin 2021 serait la droite républicaine, et principalement LR, qui remporte 7 régions et 64 départements. Vraiment ? Voyons à quoi correspond cette « victoire ».
En 2015, au soir du deuxième tour des élections régionales, au niveau national, la « droite républicaine » recueillait 10 127 617 voix, soit 40,24 % des suffrages exprimés, représentant 22,35 % des inscrits. Le 27 juin 2021, la « droite républicaine » recueillait 5 789 046 voix, soit une perte de 4,3 millions de voix, et représentait 12,6 % des inscrits. Drôle de « victoire » quand le vainqueur perd près de 43 % de son électorat d’une élection sur l’autre ! Drôle de « victoire » lorsque l’on sait qu’un des principaux recours sur lequel parie la bourgeoisie, Xavier Bertrand, n’est pas encarté à LR ou que Renaud Muzelier, en faisant liste commune avec LREM dès le premier tour, a passé outre les consignes de LR, son exclusion ayant même été demandée.
Pendant ce temps, la « gauche institutionnelle », et principalement le PS, se dit satisfaite des résultats. La « prime au sortant » a fonctionné, le PS conserve les 5 régions qu’il dirigeait avec ses alliés : Nouvelle Aquitaine ; Occitanie ; Bretagne ; Centre-Val-de-Loire ; Bourgogne-Franche-Comté. Mais satisfaite de quoi ? En 2015, au soir du deuxième tour des élections régionales, au niveau national, la « gauche institutionnelle » recueillait 8 083 168 voix, soit 32,12 % des suffrages exprimés, représentant 17,85 % des inscrits. Au soir du 27 juin 2021, la « gauche institutionnelle » recueillaient 5 305 173 voix, soit une perte de 2,7 millions de voix, et représentait 11,50 % des inscrits. La « gauche institutionnelle » est donc satisfaite d’avoir perdu plus de 35 % de son électorat entre 2015 et 2021 ! La « gauche » est-elle satisfaite de l’appel de Manuel Valls et de Jean-Paul Huchon à voter Valérie Pécresse en Île-de-France, refusant de donner leur voix à une liste ayant fait alliance avec Mélenchon et la FI ? C’est aussi en Île-de-France que la liste d’ « union de la gauche » menée par Julien Bayou (EELV), avec Audrey Pulvar (PS avec le PCF) et Clémentine Autain (FI), a réussi l’exploit d’obtenir au second tour, « unie », un score inférieur à l’addition de leurs résultats respectifs du premier tour. C’est enfin la perte par le PCF de son dernier bastion historique, le département du Val-de-Marne. Après la perte du département de la Seine-Saint-Denis, après les défaites subies aux élections municipales de 2020, la perte du Val-de-Marne vient signer l’inexorable disparition du parti stalinien.
De gauche, de droite, du centre, des élus frappés d’illégitimité ! L’abstention a retiré toute légitimité des urnes (indispensable sous la Ve République) aux élus du 27 juin 2021. Preuve en est, dans les Hauts-de-France, Xavier Bertrand est élu avec 52 % des suffrages, représentant seulement 16,7 % des inscrits. En Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez est élu avec 57 % des suffrages, représentant 17,8 % des inscrits. En Île-de-France, Valérie Pécresse est élue avec 47 % des suffrages, représentant moins de 15 % des inscrits. En Provence-Alpes-Côte d’Azur, Renaud Muzelier recueille 57,3 % des suffrages, représentant 19 % des inscrits. En Bourgogne Franche-Comté, la présidente de région la mieux élue de France, Carole Delga (PS), recueille 57 % des suffrages, représentant 20,09 %. En Centre-Val-de-Loire, François Bonneau est élu avec 39,15 % des suffrages, représentant 12,4 % des inscrits. En Nouvelle Aquitaine, Alain Rousset est élu avec 39,51 % des suffrages, représentant 13,7 % des inscrits…
En conclusion, l’effondrement est général. Encadrées par la lutte des classes, de la loi El Khomri à la loi travail, des ordonnances, du 49-3 au mouvement en Gilets Jaunes, de la grève contre la loi retraites jusqu’à la crise sanitaire, les élections régionales ont montré avec fracas la colère qui gronde dans la population. Colère à l’égard de Macron, le président des riches, sa politique, son gouvernement, sa majorité en priorité. Mais colère aussi à l’égard de tous ceux que les masses jugent responsables de la dégradation continue de leur condition d’existence et de vie. C’est la « classe » politique tout entière, c’est-à-dire tous les partis domestiqués par la bourgeoisie et la Ve République, qui est défaite. Chômage, précarité, pauvreté, bas salaires, vie chère, en bas, on ne peut plus !
La bourgeoisie, Macron et sa clique le savent parfaitement et n’ignorent pas les « risques sociaux » inhérents à la situation. Mais que peuvent-ils faire d’autre que de continuer leur sale besogne et « réformer », c’est-à-dire faire payer aux travailleuses et travailleurs, aux jeunes, aux retraité.e.s, aux chômeuses et chômeurs, le prix de la crise du capitalisme. Comme les requins, il faut nager pour ne pas se noyer. Macron n’aura pas d’autre choix que celui de continuer à appliquer sa politique anti-sociale, anti-ouvrière, anti-jeunes et anti-immigré.e.s. Muet comme une carpe sur les résultats des élections, Macron a tout de même déclaré que les défaites de 15 de ses ministres le 27 juin 2021 n’entraîneraient aucun infléchissement de sa ligne politique. Un remaniement « technique » n’est pourtant pas totalement exclu. La ligne ne changera pas. La preuve, dès le 28 juin au soir, Macron recevait sous les ors du Château de Versailles, et dans le cadre du sommet « Choose France », une centaine de patrons de multinationales étrangères (Intel, Netflix, Siemens, JP Morgan, Thyssen-Krups, Adecco, Moderna…) pour leur vanter les mérites et atouts de la France (surtout de sa politique) à l’égard des investisseurs. Le tapis rouge est déplié pour les exploiteurs, les affameurs, les faiseurs de guerre, tous les honneurs sont accordés aux hérauts du capitalisme impérialiste. Au même moment, Macron invite les « partenaires sociaux », patronat et syndicats, à un sommet social entre les 5 et 9 juillet 2021. Ce sera au cours du dernier conseil des ministres avant la « pause estivale » que Macron annoncera officiellement les réformes qu’il tient à engager avant la fin de son mandat : retraites, grand âge et jeunesse. Déjà, Laurent Berger, le secrétaire général réformateur de la CFDT prévient : « la CFDT est opposée à un relèvement simple et brutal de l’âge de départ à la retraite ». Il prévient : « le faire cet automne c’est politiquement totalement dingue et socialement ce sera explosif ». Berger et la CFDT restent malgré tout favorables à l’établissement d’un régime universel de retraite par points. Pour Martinez, secrétaire général de la CGT, la centrale « prépare la mobilisation nécessaire pour s’opposer à de nouveaux mauvais coups et porter l’exigence d’un système de retraite solidaire par répartition avec de nouveaux droits ». En clair, la CGT sera « force de proposition » et ne pratiquera pas la politique de la chaise vide. Plus les masses vont à gauche, plus les appareils vont à droite. Macron peut donc compter sur ses contre-maîtres syndicaux pour museler la classe ouvrière. Les directions bureaucratiques syndicales n’ont reçu qu’un seul et unique mandat des millions de grévistes de décembre 2019 : retrait de la loi Macron sur les retraites ! Rien d’autre ! Les dirigeants syndicaux ne doivent pas s’asseoir à la table des discussions !
Entre le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, partisan de l’annonce et de la mise en œuvre rapide de l’augmentation de 62 à 64 ans de l’âge légal de départ à la retraite et un Jean-Pierre Raffarin, plus prudent (l’expérience des explosions sociales ?) qui estime qu’ « il faut que les Français soient relativement apaisés pour bien réfléchir », le chemin de la « réforme » est étroit pour Macron. Si Macron sait pouvoir compter sur les bourgeois de gauche et les appareils bureaucratiques syndicaux pour tenir le coup, il sait également que la campagne électorale pour les présidentielles est ouverte. Si les masses ne s’y intéressent pas, le bras de fer est largement lancé à droite comme à gauche. Il y a même pléthore de candidats déjà déclarés ou pressentis : Xavier Bertrand, Valérie Pécresse et Laurent Wauquiez sont dans les starting-blocks (LR), Marine Le Pen (RN), Jean-Luc Mélenchon (LFI), Fabien Roussel (PCF), Yannick Jadot, Eric Piolle et Sandrine Rousseau (EELV), Philippe Poutou (NPA), Anne Hidalgo, la maire PS de Paris, qui est largement sponsorisée dans le PS. Cela va bientôt faire plus de candidats que d’électeurs. Mais cela fera toujours moins de candidats que de grévistes et de manifestants !
En politique, les masses procèdent par élimination. L’abstention ultra-massive du 27 juin 2021 signifie qu’il ne reste plus grand-chose avant la rupture. Pour chasser Macron, pour la défense de ses intérêts matériels et moraux, la classe ouvrière ne peut compter que sur ses propres forces. Plus que jamais, l’existence d’un parti des travailleurs digne de ce nom s’impose. Avec la Ligue Socialiste Internationale, c’est ce pour quoi La Commune milite.
Paris, le 2 juillet 2021