A juste titre, le débat ouvert au sein du Front de gauche Unité intéresse et préoccupe non seulement le militantisme des quatre partis qui le composent (MST, PO, PTS, IS), mais aussi la périphérie des sympathisants, une bonne partie de l’activisme social dans les sphères les plus diverses à travers le pays et même au niveau international. Nous analysons ici la position du PTS (FT), dont nous pensons que la position devrait changer au plus vite, car elle ouvre une voie dangereuse de division pour le FIT Unité, qui, bien qu’il ne soit qu’un front électoral, est la principale référence politique nationale et unitaire de la gauche.
Par Pablo Vasco
1. Hégémonisme divisionniste ou unité dans la diversité
Comme l’a annoncé il y a quelques jours le PTS dans un communiqué de presse, réitérant ses propres candidats à la présidence Bregman-Del Caño, son « accord avec IS se fait dans le cadre de la décision unilatérale du PO accompagné du MST de faire sa propre liste pour participer aux PASO »1.
Il est ironique qu’il prétende maintenant critiquer le PO et le MST pour une « décision unilatérale », étant donné qu’il y a un an, depuis juin 2022, c’est précisément le PTS qui a lancé et promu unilatéralement sa propre formule, composé uniquement de porte-paroles de son parti et sans jamais le proposer à la considération du Bureau national du FIT Unité.
La réalité est toute autre : si en août il y aura des PASO au sein du FIT Unité, c’est parce que le PTS a refusé de débattre d’une formule présidentielle et de candidats qui expriment toutes les forces du front, et s’est enfermé dans son autoproclamation. En outre, pour résoudre les divergences, il n’accepte pas une méthodologie démocratique de débat telle que la plénière ouverte que nous, le MST et le PO, proposons.
S’il est évident que chaque parti a le droit de proposer ses propres figures, la tentative de monopoliser la formule présidentielle et les candidatures les plus attendues ne relève pas d’une proposition intégratrice et unitaire visant à renforcer le FIT en tant que front, mais d’une volonté hégémonique étrangère à la réalité, qui vise en fait à évincer les autres forces. C’est-à-dire qu’au lieu de représenter le rapport de forces réel entre les partis qui composent le front et de montrer ainsi sa pluralité de voix, le PTS maintient un critère monopolistique, de pensée unique, qui non seulement affaiblit l’unité du FIT mais ouvre un risque de division qu’il faut combattre.
Tout syndicaliste qui agit dans une liste commune, tout activiste qui milite dans un cadre unitaire du mouvement étudiant, des piqueteros, des écologistes, des droits humains, des féministes, de la diversité sexuelle ou autre, sait parfaitement que la méthodologie la plus appropriée pour assurer l’unité de tout espace collectif est celle du consensus et du respect de la représentativité réelle de ses composantes. Si l’intégration construit l’unité, l’hégémonisme est rupturiste. Désormais, le PTS est à temps pour changer et participer à la plénière du 17 sur la Place du Congrès.
2. L’opportunisme face au kirchnerisme ou la gauche conséquente
Au sein du FIT Unité, bien que nous partagions un programme anticapitaliste et socialiste de base, il existe des divergences sur la manière de l’appliquer dans la vie politique quotidienne. Selon nous, depuis un certain temps, le PTS a adopté une modération opportuniste à l’égard du gouvernement national, en particulier à l’égard de Cristina Fernández de Kirchner, probablement à la recherche de votes parmi ceux qui sympathisent avec la vice-présidente. Plus précisément, face aux affaires de corruption que le système judiciaire poursuit contre CFK, les porte-paroles du PTS se concentrent unilatéralement sur la critique de la « persécution politique », qui est un aspect réel de la question, mais omettent de répudier l’autre aspect indéniable : la corruption dont il existe de nombreuses preuves de plusieurs millions de dollars dans les gouvernements successifs du PJ, du Frente de Todos et de Macri. En revanche, le PTS l’a disculpée : « Il n’a pas été possible de prouver un lien direct entre Cristina Kirchner et les faits »2…
Le dernier exemple notoire de cette tiédeur opportuniste du PTS est apparu il y a quelques jours, face au discours de Cristina le 25 mai. Avant, pendant et après le 25 mai, ce fut sans aucun doute le thème politique central de tous les médias, télévisions, journaux, radios et réseaux sociaux du pays, petits ou grands. Dans son intervention sur la Place de Mai, Cristina, qui parle sur un ton « progressiste » et comme si elle ne gouvernait pas mais est co-responsable de l’ajustement, a béni Massa et De Pedro, s’est vanté de payer 100 milliards de dollars de dette extérieure, a proposé de continuer avec le FMI, a défendu le capitalisme asiatique de précarisation et a proposé un « pacte démocratique » avec la droite. Une formule présidentielle de gauche n’est-elle pas censée agir pour démasquer un tel double langage de la part d’un des principaux dirigéant.e.s politiques patronaux du pays ?
Eh bien, un tel fait politique n’a pas mérité un seul tweet de critique de la part de la liste Bregman-Del Caño. Comme le dit le vieil adage : qui ne dit mot consent. Avec ce genre de concessions politiques à la direction de l’aile kirchneriste du péronisme, le PTS se distancie à tort du programme du FIT Unité : « nous soutenons l’indépendance politique des travailleurs contre toute variante des patrons, y compris les soi-disant progressistes »3.
3. Le mépris des chômeurs ou l’importance des mouvements sociaux
Pour nous, le sujet social de la révolution socialiste reste la classe ouvrière, la classe salariée, notamment dans les grandes entreprises. C’est là qu’il faut construire un parti révolutionnaire. Mais cela ne nie pas que les chômeurs.euses font partie de cette classe, et en même temps, dans un pays comme le nôtre, avec un taux de chômage élevé et une tradition de lutte, les mouvements sociaux ont joué un rôle de premier plan dans les luttes populaires des trois dernières décennies. C’est pourquoi ils constituent un autre front d’intervention et de construction indispensable à toute stratégie socialiste révolutionnaire qui se respecte.
Depuis 1996, après les licenciements massifs de Menem, les premiers groupes de piqueteros sont apparus à Cutral Có et Plaza Huincul. Lors de l’Argentinazo de 2001, ils ont participé activement à la rébellion populaire et ont gagné des milliers et des milliers de plans sociaux qui, pour l’essentiel, ont perduré jusqu’à aujourd’hui. Bien sûr, il existe des aides publiques pour les personnes au chômage ou dans la pauvreté dans le monde entier. Mais ici, la différence qualitative, précisément parce qu’elle a été gagnée et défendue par la lutte, est qu’une grande partie de ces aides est gérée par les propres organisations et mouvements sociaux des piqueteros, indépendamment de l’État capitaliste. C’est à cette grande conquête et à cette indépendance politique et organisationnelle que les différents gouvernements bourgeois s’attaquent sans pouvoir la vaincre depuis 20 ans. Or, le PTS a une attitude objective de mépris à l’égard des organisations de piqueteros, même à l’égard de celles qui sont liées à des partis du FIT-U : le Teresa Vive à notre MST et le Polo Obrero au PO. Bien sûr, il ne s’agit pas de dire que lorsqu’un piquet de grève est réprimé, le PTS n’est pas solidaire, c’est élémentaire. Ce que nous disons, c’est que, outre le fait qu’en 35 ans d’existence il n’a pas voulu, pas su ou pas pu se construire parmi les chômeurs, sa position est profondément méprisante, réactionnaire. Par exemple, il y a un tweet offensif de Raúl Godoy[1], leader du PTS, qui est embarrassant, disant que les assemblées du PTS sont CONCIEUSES ET VOLONTAIRES, en lettres capitales, c’est-à-dire en criant, faisant allusion au fait que les mouvements sociaux n’ont pas de conscience et participent de manière forcée et clientéliste.
[1] Ex dirigeant de la coopérative ouvrière Zanon.
Un autre dirigeant du PTS, Guillo Pistonesi, nous critique : « une construction unilatérale dans l’administration des plans et dans la création de mouvements sociaux comme le Polo Obrero et Teresa Vive, est une pratique politique que ni le PTS ni l’IS ne partagent, ce n’est ni bon ni mauvais, c’est différent ». Il affirme que la lutte des piquets de grève « perd de sa force » et qu’« un programme pour le vrai travail, pour la réduction de la journée de travail à six heures… La critique politique est qu’ils ont laissé de côté la proposition d’un programme de transition qui amènerait ces revendications de base vers une confrontation avec les patrons et l’Etat »4. Mais qu’est-ce qu’il en sait ? Avec quelle pédanterie petite-bourgeoise parle-t-il de ce qu’il ne connaît pas du tout ? Ni le gouvernement lui-même, ni la bourgeoisie n’oseraient dire que les piqueteurs « perdent la force » ou « ne portent pas leurs revendications à la confrontation ». Au contraire, ils les considèrent à juste titre comme une cible privilégiée de l’ajustement et de la répression.
Ce mépris est tellement erroné que lors de la récente assemblée plénière du PTS à La Matanza[1], ils ont tellement attaqué les mouvements piqueteros dirigés par la gauche qu’une militante de base, avec un mélange d’étonnement et de colère, leur a demandé : « Mais alors quoi, vous préférez que ce soit le PJ[2] qui les dirige ? »
Le PTS a-t-il oublié que Lénine, lorsqu’il a mis à jour le programme du Parti social-démocrate de Russie en mai-avril 1917, a notamment proposé d’exiger une « assurance sociale complète des travailleurs… également pour le chômage » (point 8. b) et de créer des « bourses du travail » de la classe elle-même « pour organiser commodément la recherche d’emploi des chômeurs » (point 13)5 ? Et oublient-ils également que Trotsky, tout en proposant la « réduction de la journée de travail », proposait une « protection plus large et plus efficace des chômeurs »6 ?
Par ailleurs, ce n’est pas parce que le PTS a une forte présence militante dans la classe ouvrière qu’il méprise les piqueteros. Bien au contraire. Il ne dirige pas un seul syndicat dans tout le pays et ses actions dans de nombreuses luttes ouvrières, à cause du sectarisme, de l’autoproclamation, de l’utilisation politique, ont été fonctionnelles à l’attaque des patrons et se sont donc soldées par des défaites et des licenciements de militants : Jabón Federal, Lear, Kraft, Pepsico… À Zanón, ils ont perdu la direction il y a trois ans. Malheureusement, ils s’attaquent aussi aux syndicats démocratiques et aux commissions internes[3] lutte de classe, comme ils le font dans la santé et dans d’autres secteurs.
4. Les PASO du régime bourgeois ou la méthode des assemblées ouvrières
A l’exception de l’IS, qui disait encore récemment que le PASO divisait le front et qui se range désormais sans hésiter derrière la candidature unique du PTS, personne au sein de la FIT-U n’a peur des élections internes pour décider des listes. Encore moins le MST qui, lors des dernières élections législatives, s’est présenté seul aux élections internes du FIT Unité. La controverse actuelle est que, puisque le front a un grand militantisme et aussi la participation de sympathisants, de militant.e.s de gauche indépendants, du mouvement syndical, des chômeurs, des étudiants, du genre, des droits humains, des mouvements environnementaux, d’autres organisations et personnalités de gauche amies, le FIT Unité n’a pas peur des élections internes, pourquoi le PTS préfère-t-il un mécanisme de démocratie bourgeoise, limité et à caractère clairement polyclassiste, au lieu d’une assemblée ouverte des travailleurs, de la jeunesse et du peuple, où chaque camarade et chaque groupe a un rôle de premier plan, une voix, un vote, de manière « consciente et volontaire » ?
Dans les PASO, une seule voix est mise dans une enveloppe pour décider des candidats et c’est tout. Rien à voir avec une assemblée massive et militante qui, en plus d’être un événement politique en soi, nous permet de débattre et d’échanger des idées sur les perspectives du pays, la façon dont la gauche nous nous préparons, les différents thèmes dans les commissions et, bien sûr, la campagne électorale, les axes politiques, le profil, la formule présidentielle et l’intégration des listes. Pourquoi le PTS ne veut-il pas participer à un tel événement, discuter face-à-face, est-ce peut-être parce qu’il se sent plus à l’aise sur le terrain des mécanismes du régime bourgeois que dans le climat combatif et populaire d’une grande assemblée, dans la meilleure tradition de la classe ouvrière pour débattre et résoudre ?
Bien sûr, en guise de réponse, il n’y a pas de place pour l’excuse du PTS selon laquelle « nous avons déjà eu de nombreuses assemblées »… que du PTS ! La puérilité n’est pas de mise. Le MST et le PO proposent le contraire : un événement commun à toute le FIT Unité et ouvert aux militant.e.s et aux autres secteurs de la gauche ; une journée unitaire et participative, où toutes les variantes peuvent être abordées et ensuite résolues en commun.
5. Adaptation électoraliste ou alternative révolutionnaire
Lorsque le PTS affirme que les siens sont les « meilleurs candidats » pour représenter le FIT Unité, il le fait sur la base de sondages… c’est-à-dire qu’il fait appel à la même méthode unilatérale et limitée avec laquelle Larreta[4] vient de nommer Jorge Macri comme candidat à la tête du gouvernement de Buenos Aires. Mais venons-en au débat de fond.
Si le PTS recherche la fausse hégémonie de son parti sur le front, tout en sachant qu’elle est source de division, si politiquement il cède au kirchnerisme de manière opportuniste, s’il agit de manière méprisante à l’égard des organisations de chômeurs et si, en outre, pour résoudre les divergences de candidatures, il préfère des élections internes à une plénière ouverte et démocratique de l’ensemble du FIT-U, le fil conducteur de sa ligne est un électoralisme qui s’adapte de plus en plus au régime démocratique bourgeois et qui, par conséquent, s’éloigne d’une perspective de gauche révolutionnaire, militante et antisystème.
Nous appelons la direction nationale du PTS et tous ses cadres et militants à réfléchir profondément à cela, à changer et à participer à un débat collectif, ce qui est la meilleure façon de renforcer le FIT Unité et de progresser en tant qu’alternative politique de lutte, transformatrice et révolutionnaire, y compris sur le plan électoral.
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La Gauche socialiste (IS), un adepte erroné du PTS
Avec les camarades d’IS, nous sommes issus du même courant politique : le trotskisme moreniste. En raison de cette trajectoire commune de plusieurs années, notre appel à revoir leur position, que nous considérons comme erronée, revêt une importance particulière.
Selon le communiqué de son dirigeant Juan Carlos Giordano : « Malgré la lutte que nous avons menée depuis IS pour que le FITU ne soit pas divisé dans les PASO en proposant la formule unitaire Bregman-Solano, le PO et le MST ont pris la décision de se diviser en lançant leur formule Solano-Ripoll, ignorant ainsi les accords antérieurs et fermant toute possibilité d’aller à l’unité. Ils convoquent une plénière le 17 juin en disant qu’il s’agit d’un ‘événement pour débattre de tout’ alors que la vérité est qu’il s’agit d’un appel unilatéral à ratifier leur formule »7.
Voilà beaucoup de faussetés en quelques lignes. Comme nous l’avons dit plus haut, « la décision de se diviser » a été prise par le PTS, qui s’est enfermé depuis un an dans une formule exclusive. Et le MST et le PO ne sont pas en train de « fermer toute possibilité de s’unir », puisque nous avons invité le PTS et l’IS à tout résoudre lors de la plénière ouverte du 17 au Congrès.
Jusqu’à très récemment, l’IS proposait une liste présidentielle partagée Bregman-Solano parce qu’il comprenait qu’elle devait être inclusive et, en même temps, il disait que les PASO signifiait une division du front. Mais il s’avère qu’aujourd’hui, ils optent pour les PASO et soutiennent une formule de parti unique du PTS.
La contradiction est la vôtre, camarades de l’IS. Vous auriez pu la résoudre de manière positive, mais vous avez choisi l’électoralisme du PTS. Nous invitons vos dirigeants et vos militants à revenir sur cette mauvaise décision.
1 https://www.laizquierdadiario.com/El-PTS-acuerda-con-IS-una-lista-comun-para-las-PASO-con-la formula-Bregman-Del-Cano?utm_source=lid&utm_medium=tw&utm_campaign=article-social-actions
2 https://www.laizquierdadiario.com/En-un-juicio-cuestionado-el-fiscal-pidio-12-anos-de-prision-e-inhabilitar-a-Cristina-Kirchner
3 https://mst.org.ar/2019/06/19/frente-de-izquierda-de-trabajadores-unidad-acta-programatica/
4 https://www.pagina12.com.ar/552159-el-frente-de-izquierda-va-camino-a-dirimir-sus-diferencias-i
5 https://www.marxists.org/espanol/lenin/obras/1917/mayo/0001.htm
6 La desocupación mundial y el plan quinquenal de la Unión Soviética, 1930.
7 https://www.izquierdasocialista.org.ar/2020/index.php/blog/comunicados-de-prensa/item/21882-pts-e-izquierda-socialista-acordaron-una-lista-comun-en-defensa-del-frente-de-izquierda
[1] Principal département populaire dans la banlieue de Buenos Aires.
[2] Parti péroniste, au gouvernement.
[3] Délégués syndicaux par établissement.
[4] Maire de Buenos Aires et candidat présidentiel, de droite.