I. Considérations générales sur le Front unique
- Le but du Parti Communiste consiste à diriger la révolution prolétarienne. Afin d’amener le prolétariat à la conquête directe du pouvoir et d’effectuer cette conquête, le Parti Communiste doit s’appuyer sur la majorité écrasante de la classe ouvrière.
Tant qu’il n’a pas cette majorité, il doit lutter pour s’en emparer.
Il ne peut l’atteindre que s’il constitue une organisation tout à fait indépendante pourvue d’un programme clair et d’une discipline intérieure très sévère. C’est pourquoi il a dû se séparer idéologiquement, ainsi que par son organisation, des réformistes et des centristes qui n’aspirent pas à la révolution prolétarienne, ne savent ni ne veulent y préparer les masses et s’opposent à ce travail par toute leur conduite. Ceux des membres du Parti Communiste qui déplorent la scission au nom de l’unité des forces et de l’unité du front ouvrier montrent par cela même qu’ils ne comprennent même pas l’a b c du communisme et qu’ils n’appartiennent au Parti Communiste que par suite de circonstances fortuites ;
- Le Parti Communiste s’étant assuré une indépendance complète par l’unité idéologique de ses membres lutte pour étendre son influence sur la majorité de la classe ouvrière. Cette lutte peut être plus ou moins lente ou rapide, suivant les circonstances et la conformité plus ou moins grande de la tactique au but.
Mais il est tout à fait évident que la lutte de classe du prolétariat ne cesse pas dans cette période de préparation à la révolution.
Les conflits entre la classe ouvrière et les patrons, la bourgeoisie ou l’État, surgissent et se développent sans cesse par l’initiative de l’une ou de l’autre des parties.
Dans ces conflits, pour autant qu’ils embrassent les intérêts vitaux de toute la classe ouvrière ou de sa majorité ou bien d’une partie quelconque de cette classe, les masses ouvrières sentent la nécessité de l’unité des actions, de l’unité dans la défensive contre l’attaque du capital ainsi que l’unité dans l’offensive contre celui-ci. Le Parti qui contrecarre mécaniquement ces aspirations de la classe ouvrière, à l’unité d’action sera irrévocablement condamné par la conscience ouvrière.
Ainsi donc, la question du front unique, tant par son origine, que par son essence n’est pas du tout une question de relations entre les fractions parlementaires communiste et socialiste, entre les comités centraux d’un parti et de l’autre, entre L‘Humanité et Le Populaire. Le problème du front unique surgit de la nécessité d’assurer à la classe ouvrière la possibilité d’un front unique dans la lutte contre le capital malgré la division fatale à l’époque actuelle, des organisations politiques qui ont l’appui de la classe ouvrière.
Pour ceux qui ne le comprennent pas le Parti n’est qu’une association de propagande et non pas une organisation d’action de masse :
- Dans les cas ou le Parti Communiste ne représente encore qu’une minorité numériquement insignifiante, la question de son attitude à l’égard du front de la lutte de classe n’a pas une importance décisive. Dans ces conditions, les actions de masse seront dirigées par les anciennes organisations, qui, en vertu de leurs traditions encore puissantes, continuent à jouer le rôle décisif. D’autre part, le problème du front unique ne se pose pas dans les pays tels, par exemple, que la Bulgarie où le Parti Communiste apparaît comme l’unique organisation dirigeant la lutte des masses laborieuses. Mais où le Parti Communiste constitue une grande force politique sans avoir encore une valeur décisive où il embrasse soit le quart, soit le tiers de l’avant-garde prolétarienne, la question du front unique se pose dans toute son acuité.
S’il embrasse le tiers ou la moitié de l’avant-garde du prolétariat – il s’ensuit que l’autre moitié ou les deux tiers font partie des organisations réformistes ou centristes. Mais il est tout à fait évident que les ouvriers qui soutiennent encore les réformistes et les centristes sont tout aussi intéressés que les communistes à la défense de meilleures conditions d’existence matérielle et de plus grandes possibilités de lutte. Il est donc nécessaire d’appliquer notre tactique de telle manière que le Parti Communiste qui est l’incarnation de l’avenir de la classe ouvrière entière n’apparaisse pas aujourd’hui – et surtout ne le soit pas en fait – un obstacle à la lutte quotidienne du prolétariat.
Le Parti Communiste doit faire plus que cela : il doit prendre l’initiative d’assurer l’unité de cette lutte quotidienne. C’est uniquement ainsi qu’il se rapprochera des deux autres tiers, lesquels ne marchent pas encore avec lui et n’ont pas encore confiance en lui parce qu’ils ne le comprennent pas. Ce n’est que par ce moyen qu’il en fera la conquête ;
- Si le Parti Communiste n’avait pas réalisé la rupture radicale et décisive avec les social-démocrates, il ne serait jamais devenu le parti de la révolution prolétarienne. Il n’aurait pu faire le premier pas sérieux dans la voie de la révolution. Il serait resté pour toujours une soupape de sûreté parlementaire de l’Etat bourgeois.
Ne pas le comprendre c’est ignorer la première lettre de l’alphabet du communisme.
Si le Parti Communiste ne cherchait pas à trouver les voies d’organisation susceptibles de rendre possible à chaque moment donné des actions communes concertées entre les masses ouvrières communistes et non-communistes (social-démocrates compris), il prouverait par cela même son incapacité de conquérir la majorité de la classe ouvrière par des actions de masse. Il dégénérerait en une société de propagande communiste et ne se développerait jamais en parti de conquête du pouvoir.
Ce n’est pas assez d’avoir un glaive, il faut l’aiguiser, ce n’est pas assez de l’aiguiser, il faut savoir s’en servir.
Ce n’est pas assez de séparer les communistes des réformistes et de les lier par la discipline de l’organisation, il est nécessaire que l’organisation apprenne à diriger toutes les actions collectives du prolétariat dans toutes les circonstances de sa lutte vitale.
Telle est la seconde lettre de l’alphabet communiste.
- L’unité du front s’étend-elle seulement aux masses ouvrières ou comprend-elle aussi les chefs opportunistes ?
Cette question n’est que le fruit d’un malentendu.
Si nous avions pu unir les masses ouvrières autour de notre drapeau, ou sur nos mots d’ordre courants, en négligeant les organisations réformistes, partiel ou syndicats, ce serait certes, la meilleure des choses. Mais alors la question du front unique ne se poserait même pas dans sa forme actuelle.
La question du front unique se pose par cela même, que des fractions très importantes de la classe ouvrière appartiennent aux organisations réformistes ou les soutiennent. Leur expérience actuelle n’est pas encore suffisante pour les en faire sortir et les amener à nous.
Il est possible qu’au lendemain des actions de masse qui sont à l’ordre du jour, un grand changement survienne sur ce point. C’est justement ce que voulons. Mais nous n’en sommes pas encore là. Les travailleurs organisés sont encore divisés en trois groupes. L’un de ces groupes, le groupe communiste, tend à la révolution sociale et précisément pour cette raison, soutient tout mouvement même partiel des travailleurs contre les exploiteurs et contre l’État bourgeois.
Un autre groupe, le groupe réformiste, tend à la paix avec la bourgeoisie. Mais pour ne pas perdre son influence sur les ouvriers, il est forcé, contre la volonté profonde de ses chefs de soutenir les mouvements partiels des exploités contre les exploiteurs.
Enfin, le troisième groupe, centriste, oscille entre les deux autres, n’ayant pas de valeur propre. Ainsi les circonstances rendent tout à fait possibles, dans toute une série de questions vitales, les actions communes des ouvriers unis dans ces trois sortes d’organisations, ainsi que des masses non organisées qui les soutiennent.
Non seulement les communistes ne doivent pas s’opposer à ces actions communes mais au contraire, ils doivent en prendre l’initiative justement parce que plus grandes sont les masses attirées dans le mouvement, plus haute deviens-la conscience de leur puissance, plus sûre elle devient d’elle-même, et plus les masses deviennent capables d’aller de l’avant, si modeste qu’aient été les mots d’ordres initiaux de la lutte. Cela veut aussi dire que l’extension du mouvement aux masses accroît son caractère révolutionnaire et crée des conditions plus favorables aux mots d’ordre, aux méthodes de lutte et en général à la direction du Parti Communiste.
Les réformistes ont peur de l’élan potentiel révolutionnaire du mouvement des masses ; la tribune parlementaire, les bureaux des syndicats, les cours arbitraires, les antichambres des ministères, sont leurs arènes favorites.
Nous sommes, au contraire intéressés en dehors de toutes autres considérations, à faire sortir les réformistes de leurs abris et à les situer à nos côtés sur le front des masses en lutte. Avec une bonne tactique ce ne peut être qu’à notre avantage.
Le communiste qui en doute ou qui en a peur ressemble à un nageur, qui aurait approuvé des thèses sur le meilleur moyen de nager, mais ne se risquerait pas à se jeter à l’eau ;
- L’unité de front suppose donc de notre part la décision de faire concerter pratiquement nos actions, dans de certaines limites et dans des questions données, avec les organisations réformistes pour autant qu’elles représentent encore aujourd’hui la volonté de fractions importantes du prolétariat en lutte.
Mais nous nous sommes séparés des organisations réformistes ? Oui, parce que nous sommes en désaccord avec elles sur les questions fondamentales du mouvement ouvrier.
Et pourtant, nous recherchons un accord avec elles ?
Oui, chaque fois que la masse qui les suit est prête à agir de concert avec la masse qui nous suit, et chaque fois que les réformistes sont plus ou moins forcés à se faire l’instrument de cette action.
Mais ils diront qu’après nous être séparés d’eux, nous avons besoin d’eux ?
Oui, leurs phraseurs le pourront dire. Et quelques-uns parmi nous peuvent s’en effrayer. Quand aux grandes masses ouvrières, même celles qui ne nous suivent pas et qui ne comprennent pas nos buts, mais qui voient exister parallèlement deux ou trois organisations ouvrières – ces masses tireront de notre conduite cette déduction, que, malgré nos divisions, nous tendons de toutes nos forces à faciliter aux masses l’unité d’action ;
- La politique du front unique, pourtant, ne comprend pas en soi de garanties pour une unité de fait, dans toutes les actions. Au contraire, dans nombre de cas, dans la plupart peut-être, l’accord des différentes organisations ne s’accomplira qu’à moitié ou ne s’accomplira pas du tout. Mais il est nécessaire que les masses en lutte puissent toujours se convaincre que l’unité d’actions a échoué, non pas à cause de notre intransigeance formelle, mais à cause de l’absence d’une véritable volonté de lutte chez les réformistes.
En concluant des accords avec d’autres organisations nous nous imposons sans doute une certaine discipline d’action. Mais cette discipline ne peut avoir un caractère absolu. Si les réformistes sabotent la lutte, contrecarrent les dispositions des masses, nous nous réservons le droit de soutenir l’action jusqu’à la fin, sans nos demi-alliés temporaires, à titre d’organisation indépendante.
Un renouvellement acharné des luttes entre nous et les réformistes, pourra en résulter. Mais ce ne sera plus une simple répétition des mêmes idées dans un cercle fermé, cela signifiera – si notre tactique est bonne – un élargissement de notre influence dans de nouveaux milieux prolétariens ;
- Voir dans cette politique un rapprochement avec les réformistes, ce ne peut être que le point de vue d’un journaliste qui croit s’éloigner du réformiste, quand il le critique sans sortir de sa salle de rédaction et qui a peur de l’affronter devant les masses ouvrières, peur de donner à celles-ci la possibilité de comparer le communiste et le réformiste dans les conditions égales de l’action des masses. De fait, sous cette crainte, que l’on prétend révolutionnaire, du « rapprochement » se dissimule au fond une passivité politique, qui tend à conserver un état de choses, dans lequel les communistes comme les réformistes ont chacun leur cercle d’influence, leurs auditoires, leur presse, et dans lequel cela suffit à donner aux uns et aux autres l’illusion d’une lutte politique sérieuses ;
- Nous avons rompu avec les réformistes et les centristes pour avoir la liberté de critiquer les trahisons, l’indécision de l’opportunisme dans le mouvement ouvrier. Tout d’abord qui limiterait notre liberté de critique et d’agitation serait donc inacceptable pour nous. Nous participons au front unique, mais nous ne pouvons en aucun cas nous y dissoudre. Nous y opérons comme une division indépendante.
C’est justement dans l’action que les grandes masses doivent se convaincre, que nous luttons mieux que d’autres, que nous voyons plus clair, que nous sommes plus courageux et plus décidés. Nous rapprochons ainsi l’heure du front unique révolutionnaire, sous la direction indiscutée des communistes.
II. Les groupements dans le mouvement ouvrier français
- Si nous voulons examiner la question du front unique relativement à la France sans nous départir des thèses formulées plus haut, thèses qui ressortent de toute la politique de l’Internationale Communiste, nous devons nous demander si nous avons en France une situation telle que les communistes représentent au point de vue des actions pratiques « une qualité négligeable » ou bien, au contraire, s’ils groupent la majorité des ouvriers organisés pour eux, ou encore s’ils ont une position moyenne, c’est-à-dire s’ils sont assez forts pour que leur participation au mouvement de masse ait une grande valeur, mais pas assez forts pour en concentrer dans leurs mains la direction indiscutée. Et il est tout à fait certain que nous sommes en France en présence du troisième cas.
- Dans le domaine de l’organisation politique, la prépondérance des communistes sur les réformistes est indiscutable. L’organisation et la presse communistes sont incomparablement plus fortes, plus riches, plus vivantes, que l’organisation et la presse des prétendus « socialistes ».
Mais cette prépondérance indiscutable est loin de suffire à assurer au Parti Communiste français la direction complète, indiscutable du prolétariat français, du fait de la puissance des tendances anti-politiques et des préjugés, influençant principalement les syndicats ouvriers.
- La particularité la plus grande du mouvement ouvrier français, c’est que les syndicats ouvriers ont longtemps été l’enveloppe sous laquelle se cachait un parti anti-parlementaire, d’une forme spéciale, connu sous le nom de syndicalisme.
Les syndicalistes révolutionnaires peuvent en effet se séparer tant qu’ils le voudront de la politique et du Parti ; ils ne pourront jamais nier qu’ils constituent eux-mêmes un parti politique, aspirant à s’appuyer sur les organisations économiques de la classe ouvrière. Ce parti a de bonnes tendances révolutionnaires prolétariennes. Mais il a aussi des caractères négatifs, il manque d’un programme précis et d’une organisation définie.
La question se complique par le fait que les syndicalistes, comme tous les autres groupements de la classe ouvrière, se sont divisés après la guerre en réformistes soutenant la société bourgeoise et, par cela même, passés, dans la personne de leurs meilleurs éléments, du côté du communisme.
Et la tendance au maintien de l’unité de front a justement inspiré non seulement aux communistes, mais aussi aux syndicalistes révolutionnaires, la meilleure tactique dans la lutte pour l’unité de l’organisation syndicale du prolétariat français. Au contraire, Jouhaux, Merrheim et tutti quanti sont entrés dans la voie de la scission, mus par l’instinct de banqueroutiers, qui sentent qu’ils ne pourront soutenir devant la masse ouvrière la concurrence des révolutionnaires dans l’action. La lutte, d’une importante colossale, qui se déroule aujourd’hui dans tout le mouvement syndical français, entre les réformistes et les révolutionnaires, se présente à nous en même temps comme une lutte pour l’unité de l’organisation syndicale et pour l’unité du front syndical.
III. Mouvement syndical et Front unique
- Le communisme français se trouve, en ce qui concerne l’idée du front unique, dans une situation exceptionnellement favorable. Le communisme français a réussi à conquérir, dans les cadres de l’organisation politique, la majorité du vieux Parti socialiste ; après quoi les opportunistes ont ajouté à toutes leurs autres qualités politiques celle de briseurs d’organisation. Notre Parti français a souligné ce fait en qualifiant l’organisation socialiste-réformiste, de dissidents ; ce seul mot met en évidence le fait que ce sont les réformistes qui ont détruit l’unité d’action et d’organisation politique.
- Dans le domaine syndical, les éléments révolutionnaires, et les communistes avant tout, ne doivent pas dissimuler à leurs propres yeux, comme à ceux de leurs ennemis, toute la profondeur des différences de vue entre Moscou et Amsterdam, différences qui ne sont nullement le fait de simples courants d’opinions dans les rangs du mouvement ouvrier, mais qui sont le reflet de l’antagonisme entre la bourgeoisie et le prolétariat. Mais les éléments révolutionnaires, c’est-à-dire, avant tout, les éléments communistes conscients, n’ont jamais préconisé la sortie des syndicats ou bien la scission de l’organisation syndicale. Ce mot d’ordre caractérise les groupements sectaires des localistes du KAPD, certains groupes « libertaires » en France, qui n’ont jamais eu d’influence dans les masses populaires, qui n’ont ni l’espoir, ni le désir de conquérir cette influence, mais qui se confinent dans de petites paroisses bien définies. Les éléments vraiment révolutionnaires du syndicalisme français ont senti instinctivement qu’on ne peut conquérir la classe ouvrière dans le mouvement syndical qu’en opposant le point de vue révolutionnaire et les méthodes révolutionnaires au point de vue et aux méthodes des réformistes dans le domaine de l’action de masse, tout en défendant en même temps avec la plus grande énergie l’unité de cette action ;
- Le système des noyaux dans l’organisation syndicale, qui a été adopté par les révolutionnaires, ne représentait que la forme de lutte la plus naturelle pour l’influence idéologique et pour l’unité de front applicable sans détruire l’unité de l’organisation.
- Semblables aux réformistes du Parti socialistes, les réformistes du mouvement syndical ont pris sur eux l’initiative de la rupture. Mais, justement, l’expérience du Parti socialiste leur a suggéré que le temps travaille en faveur du communisme et qu’on peut contrecarrer l’influence de l’expérience et du temps en hâtant la rupture. Nous voyons, de la part des dirigeants de la CGT, tout un système de mesures tendant à désorganiser la gauche, de la priver des droits que lui confèrent les statuts des syndicats et, enfin, à l’exclure – contrairement aux statuts et aux usages – de toute organisation syndicale.
D’autre part, nous voyons la gauche révolutionnaire défendant son droit dans le domaine des formes démocratiques de l’organisation ouvrière et s’opposant à la scission dictée par les dirigeants confédéraux au moyen de l’appel aux masses en faveur de l’unité syndicale ;
- Tout ouvrier conscient doit savoir que lorsque les communistes ne formaient que la sixième ou la troisième partie du Parti socialiste, ils ne pensaient nullement à la scission, fermement convaincus que la majorité du Parti ne tarderait pas à les suivre. Lorsque les réformistes furent réduits à un tiers, ils firent la scission, n’ayant aucune espérance de conquérir la majorité dans l’avant-garde prolétarienne.
Tout ouvrier conscient doit savoir que lorsque les éléments révolutionnaires se sont trouvés devant le problème syndical, ils l’ont résolu à l’époque où ils ne formaient qu’une infime minorité, dans le sens du travail dans des organisations communes, certains que l’expérience de l’époque révolutionnaire pousserait rapidement la majorité des syndiqués à l’adoption du programme révolutionnaire. Lorsque les réformistes ont vu croître l’opposition révolutionnaire dans les syndicats, ils ont immédiatement eu recours aux mesures d’exclusions et à la scission, parce qu’ils n’avaient aucun espoir de reconquérir le terrain perdu.
De là, plusieurs déductions de la plus grande importance :
1) Les différends existant entre nous et les réformistes reflètent dans leur essence l’antagonisme entre la bourgeoisie et le prolétariat ;
2) La démocratie mensongère des ennemis de la dictature prolétarienne se démasque complètement, car ils ne sont pas disposés à admettre les méthodes de la démocratie ouvrière, non seulement dans les cadres de l’État, mais aussi dans le cadre de l’organisation ouvrière : lorsque cette démocratie se retourne contre eux, ils s’en séparent, comme les dissidents du Parti, ou excluent leurs adversaires – comme MM. Jouhaux, Dumoulin et Cie. Il serait, en effet, absurde de croire que la bourgeoisie consente jamais à achever la lutte avec le prolétariat dans le cadre de la démocratie si les agents de la bourgeoisie, dans l’organisation syndicale et politique, ne consentent pas à solutionner les questions du mouvement ouvrier sur le terrain de la démocratie ouvrière, dont ils acceptent ostensiblement les règles.
- La lutte pour l’unité de l’organisation et de l’action syndicale reste dorénavant un des problèmes les plus importants de ceux qui se posent au Parti Communiste. Il s’agit non seulement de réunir un nombre de plus en plus grand d’ouvriers sur le programme et la tactique communistes. Il s’agit encore, pour le Parti Communiste, de chercher à cette fin, par son action et par celle des communistes syndiqués, à réduire au minimum, dans chaque situation appropriée, les obstacles que la scission dresse devant le mouvement ouvrier. – Si la scission de la CGT, s’aggravait prochainement, malgré tous nos efforts en vue de refaire l’unité, cela ne signifierait aucunement que la CGT Unitaire, comprenant la moitié ou plus de la moitié du total des syndiqués, devrait continuer son travail en ignorant l’existence de la CGT réformiste. Une semblable attitude empêcherait considérablement – si elle ne l’excluait totalement – la possibilité d’une action commune du prolétariat et faciliterait considérablement à la CGT réformiste, le rôle d’une Union Civique bourgeoise, qu’elle voudrait jouer au cours des grèves, des manifestations, etc, ; elle lui permettrait de pousser la CGT Unitaire à des actions inopportunes dont cette dernière subirait entièrement les conséquences. Il est tout à fait évident que toutes les fois que le permettront les circonstances, la CGT Unitaire, jugeant nécessaire de mener une campagne quelconque, adressera ouvertement à la CGT réformiste des propositions concrètes et lui proposera un plan d’actions communes. Et la CGTU ne manquera pas d’exercer sur l’organisation réformiste la pression de l’opinion ouvrière et de démasquer devant cette opinion publique ses dérobades et ses hésitations.
Ainsi même, au cas où la scission syndicale s’aggraverait, les méthodes de lutte pour le front unique conserveraient toute leur valeur ;
- On peut donc constater que, dans le domaine le plus important du mouvement ouvrier – dans le domaine syndical – le programme d’unité d’actions ne nécessite qu’une application plus suivie, plus persévérante et plus ferme des mots d’ordre, sous lesquels a été menée jusqu’ici notre lutte contre Jouhaux et Cie.
IV. La lutte politique et l’unité de front
- Dans le domaine politique, une différence importante nous frappe dès d’abord, du fait que la suprématie du Parti Communiste sur le parti socialiste, tant en organisations qu’en matière de presse, se trouve considérable. On peut supposer que la Parti Communiste est comme tel capable d’assurer l’unité du front politique et qu’il n’a donc pas de raisons d’adresser à l’organisation dissidente des propositions quelconques d’actions concrètes. La question ainsi posée en se basant sur l’appréciation du rapport des forces, n’a rien de commun avec le verbalisme révolutionnaire et mérite d’être examinée ;
- Si on considère que le Parti Communiste compte environ 130.000 membres, tandis que le parti socialiste n’en a que 30.000 le succès énorme de l’idée communiste en France devient évident. Mais si on compare ces chiffres à l’effectif global de la classe ouvrière, si on tient compte de l’existence des syndicats ouvriers réformistes, ainsi des tendances anti-communistes existantes dans les syndicats révolutionnaires, la question de l’hégémonie du Parti Communiste dans le mouvement ouvrier se présente à nous comme un problème extrêmement ardu qui est loin d’être résolu par notre prépondérance numérique sur les dissidents. Ces derniers peuvent, dans certaines circonstances, être un facteur contre-révolutionnaire à l’intérieur même de la classe ouvrière, beaucoup plus important qu’il ne paraît, si nous ne les jugeons que par la faiblesse de leur organisation, du tirage et du contenu idéologique du Populaire.
- Pour apprécier la situation il convient de se rendre compte, bien clairement, de la manière dont elle s’est produite. La transformation de la majorité de l’ancien parti, socialiste en Parti Communiste a été le résultat du mécontentement et de la révolte que la guerre a fait naître dans tous les pays de l’Europe.
L’exemple de la révolution russe et les mots d’ordre de la 3e. Internationale paraissaient indiquer la voie à suivre. Cependant, la bourgeoisie s’est maintenue pendant les années 1919-1920 et a, par différents moyens, rétabli sur les bases d’après-guerre un quasi-équilibre, miné cependant par des contradictions terribles et qui évolue vers une grandiose catastrophe, bien que conservant aujourd’hui et pour la période la plus prochaine une certaine stabilité. La révolution russe n’a pu remplir ses tâches socialistes que lentement, par un effort maximum de toutes ses forces, en surmontant les difficultés les plus grandes et les obstacles suscités par l’impérialisme mondial. La conséquence en a été que le premier flux des tendances révolutionnaires sans formes précises et sans esprit critique a été suivi d’un reflux inévitable. Sous le drapeau du communisme il n’est que la partie la plus courageuse, la plus décidée et la plus jeune de la classe ouvrière.
Cela ne signifie certes pas que les grandes masses de la classe ouvrière, désappointées dans leurs espoirs de révolution immédiate et de changements radicaux, soient complètement revenues aux anciennes positions d’avant-guerre. Non. Leur mécontentement est plus profond que jamais, leur haine des exploiteurs est plus âpre encore. Mais elles sont désorientées politiquement, elles cherchent sans la trouver leur voie, elles temporisent passivement avec des oscillations brusques d’un côté ou de l’autre, selon les circonstances. Le grand réservoir d’éléments passifs, désorientés, pourrait être largement utilisé, contre nous les dissidents, dans certaines conjectures.
- Pour soutenir le Parti Communiste il faut de l’activité et du dévouement. Pour soutenir les dissidents, il est nécessaire et il suffit d’être désorienté et passif. Il est tout naturel que la partie active révolutionnaire de la classe ouvrière donne, toutes proportions gardées, un plus grand nombre de membres au Parti Communiste que la partie passive, désorientée donne au parti des dissidents.
Il en est de même pour la presse. Les éléments indifférents lisent peu. Par le chiffre infime de son tirage et le néant de son contenu le Populaire reflète également la disposition d’esprit d’une certaine partie de la classe ouvrière. Sa suprématie complète dans le parti des dissidents, des intellectuels professionnels sur les ouvriers n’est aucunement en contradiction avec notre diagnostic et notre pronostic : car la fraction peu active de la classe ouvrière, en partie désappointée et en partie désorientée, est celle justement, surtout en France, qui constitue le réservoir où s’alimentent les coteries politiques, formées d’avocats et de journalistes, de rebouteux réformistes et de charlatans parlementaires.
- Si on considérait l’organisation du Parti comme une armée active et la masse ouvrière non organisée comme ses réserves et si l’on admet que notre armée active est trois ou quatre fois plus forte que l’armée active des dissidents, il se pourrait encore que dans certaines circonstances les réserves se répartissent entre nous et les social-réformistes dans une proportion bien moins avantageuse pour nous.
- L’idée d’un bloc des gauches plane dans l’atmosphère politique française. Après la nouvelle période de poincarisme, qui est l’essai fait par la bourgeoisie de présenter au peuple le plat réchauffer des illusions de la victoire, une réaction pacifiste dans les cercles les plus larges de la société bourgeoise, c’est-à-dire dans la petite bourgeoisie, devient bien probable. L’espoir d’un apaisement général, d’un accord avec la Russie soviétiste, la possibilité de recevoir de celle-ci des matières premières dans des conditions avantageuses, la possibilité du paiement des dettes, l’allégement des charges militaires, etc., en un mot le programme illusoire du pacifisme démocratique peut, pour un certain temps, devenir le programme du bloc des gauches, qui prendrait la place du bloc national. Au point de vue du développement de la révolution en France, un tel changement de régime sera un pas en avant, à la condition expresse que le prolétariat ne tombe que le moins possible dans les illusions du pacifisme petit bourgeois.
- Les réformistes dissidents seront les agents du bloc des gauches dans la classe ouvrière. Plus grand sera leur succès, et moins la classe ouvrière sera touchée par l’idée et la pratique du front ouvrier unique contre la bourgeoisie. Les couches ouvrières désorientées par la guerre et par la lenteur de la révolution peuvent mettre leur espoir dans le bloc des gauches comme dans le moindre mal, ne voyant pas d’autres voies et pensant ne rien risquer ;
- Un des moyens les plus sûrs de contrecarrer les tendances et les idées du bloc des gauches dans la classe ouvrière, c’est-à-dire du bloc des ouvriers avec une partie de la bourgeoisie contre une autre, c’est de défendre avec résolution et persévérance l’idée du bloc de toutes les parties de la classe ouvrière contre toute la bourgeoisie.
- En ce qui concerne les dissidents, cela veut dire, que nous ne devons pas leur permettre de garder sans risques une position d’expectative chancelante dans les questions ayant trait à la lutte du mouvement ouvrier et de jouir de la protection des oppresseurs de la classe ouvrière tout en exprimant leur sympathie platonique à cette classe. En d’autres termes nous pouvons et nous devons en toutes occasions appropriées, proposer aux dissidents de venir en aide sous une forme déterminée aux grévistes, aux lockoutés, aux chômeurs, aux mutilés de la guerre, etc., en enregistrant devant la masse leurs réponses formelles à nos demandes précises et en les démasquant ainsi devant les fractions diverses des masses politiquement indifférentes ou mi-indifférentes, masses sur lesquelles ils espèrent s’appuyer en certaines circonstances ;
- Cette tactique est d’autant plus importante que les dissidents se trouvent incontestablement en liaison étroite avec la CGT réformiste, représentant avec elle les deux branches de l’entreprise bourgeoise dans le mouvement ouvrier. Nous attaquons ainsi en même temps dans le camp syndical et dans le camp politique cette entreprise à deux faces, en appliquant ici et là les mêmes méthodes tactiques ;
- La logique irréfutable de notre action s’exprime comme suit : « Réformistes du syndicalisme et du socialisme – leur disons-nous devant les masses – vous avez fait la scission des syndicats et du parti au nom d’idées et de méthodes, que nous trouvons erronées et criminelles. Nous vous demandons, au moins lorsque se posent les problèmes partiels, immédiats et concrets de l’action de la classe ouvrière, de ne pas mettre des bâtons dans les roues, et de rendre possible l’unité d’action. Dans tel cas concret nous vous proposons tel programme de lutte. »
- De même dans le domaine de l’action parlementaire ou municipale, nous pourrons appliquer non sans succès, la méthode indiquée. Nous disons aux masses : « les dissidents ont fait la scission du parti ouvrier, parce qu’ils ne veulent pas la révolution. Ce serait folie de compter sur leur collaboration pour l’œuvre de la révolution prolétarienne. Mais nous sommes prêts à conclure avec eux certains accords au parlement comme en dehors du parlement, chaque fois que, devant choisir entre les intérêts particuliers de la bourgeoisie et les intérêts du prolétariat, ils nous donneront des garanties positives d’opter pour ces derniers ». Les dissidents ne le peuvent que s’ils renoncent à l’alliance avec les partis bourgeois, s’ils renoncent au bloc de gauches et s’ils entrent dans le bloc du prolétariat. Si les dissidents étaient capables d’accepter ces conditions, les éléments ouvriers qui les suivent seraient vite absorbés par le Parti Communiste. Mais précisément pour cette raison ils n’accepteront pas ces conditions. En d’autres termes, aux questions posées nettement et clairement, à la mise en demeure de se prononcer pour le bloc avec la bourgeoisie ou pour le bloc avec la classe ouvrière – dans des conditions concrètes et très nettes de la lutte des masses – ils seraient forcés de répondre qu’ils préfèrent le bloc avec la bourgeoisie.
Une telle réponse ne serait pas sans avoir pour eux de fâcheuses conséquences parmi les masses sur l’appui desquelles ils comptent.
V. Les questions intérieures du Parti Communiste
- La politique que nous venons d’esquisser suppose sans doute une indépendance d’organisation complète, une parfaite clarté idéologique et une grande fermeté révolutionnaire du Parti Communiste.
Ainsi, par exemple, on ne peut faire avec un succès complet une politique qui tend à discréditer l’idée du bloc des gauches, dans la classe ouvrière, si dans les rangs de notre parti même, ils se trouvent des hommes qui osent défendent ouvertement le programme actuel de la bourgeoisie. L’exclusion inconditionnelle et inflexible de tous ceux qui préconisent le bloc des gauches devient un des devoirs élémentaires du Parti Communiste. Cela nettoiera notre politique des éléments douteux, attirera l’attention des ouvriers avancés sur l’acuité de la question du bloc des gauches et montrera que le Parti Communiste prend au sérieux toutes les questions qui menacent l’unité révolutionnaire des actions du prolétariat contre la bourgeoisie ;
- Ceux qui essaient de se servir de l’idée du front unique pour refaire l’unité avec les réformistes et les dissidents, doivent être inflexiblement exclus de notre parti, car ils sont parmi nous les agents des dissidents et trompent les ouvriers sur les véritables fauteurs de la scission et sur ses causes. Ceux-là, au lieu de poser avec justesse la question de la possibilité de telles ou telles actions pratiques à entreprendre d’accord avec les dissidents, malgré leur caractère petit-bourgeois, demandent à notre parti de renoncer à son programme pratique et aux méthodes révolutionnaires. L’exclusion inflexible de ces éléments montrera mieux que tout, que la tactique du front unique n’a rien qui ressemble à une capitulation ou à la paix avec les réformistes. La tactique du front unique impose au Parti une liberté complète de manœuvre, de la souplesse et de la décision. Et cela n’est possible que si le Parti proclame toujours clairement et nettement, tout ce qu’il veut, le but auquel il tend, et s’il commence ouvertement devant la masse ses propres actions ouvertement devant la masse ses propres actions et propositions ;
- Il est donc tout à fait inadmissible que certains membres du Parti publient à leur propre compte des organes politiques, dans lesquels ils opposent leur mots d’ordre et leurs méthodes aux thèses, aux méthodes d’action et aux propositions du Parti.
Ces membres répandent chaque jour sous l’égide du Parti Communiste, dans le milieu où ce Parti fait autorité, c’est-à-dire dans notre propre milieu, des idées qui nous sont hostiles ; ou bien encore ils sèment la confusion si le scepticisme, plus malfaisant que l’idéologie nettement hostile. Les organes qui font cette besogne, ainsi que leurs éditeurs, doivent être mis une fois pour toutes hors du Parti, et dénoncés à toute la France ouvrière afin que celle-ci condamne sévèrement les contrebandiers petits-bourgeois opérant sous le drapeau communiste ;
- Il est également inadmissible que paraissent dans les organes dirigeants du Parti à côté d’articles défendant les thèses fondamentales du communisme, des articles qui discutent ces mêmes thèses ou les nient. Il est tout à fait inadmissible et même monstrueux que se prolongent dans le parti un régime de presse qui donne à la masse des lecteurs ouvriers, en guise d’articles de fond, dans les organes soumis à une direction communiste, des articles par lesquels on essaie de nous faire revenir aux positions du pacifisme le plus lamentable et qui prêchent aux ouvriers en présence de la violence triomphante de la bourgeoisie la haine émolliente toute de violence. Sous le prétexte d’antimilitarisme, on lutte contre les idées de révolution et d’insurrection. Si après l’expérience de la guerre et des événements qui l’ont suivie surtout en Russie et en Allemagne, subsistent encore, dans le Parti Communiste, les préjugés du pacifisme humanitaire et si le Comité Directeur croit utile, en vue de la liquidation définitive de ces préjugés, d’ouvrir une discussion à ce sujet, il n’est pourtant pas possible que les pacifistes puissent dans cette discussion apparaître avec leurs préjugés comme une tendance admise ; ils doivent être au contraire sévèrement blâmés par la voix autorisée du Parti dans la personne du Comité Directeur.
Lorsque le Comité Directeur jugera la discussion épuisée, les tentatives de propagation des idées émollientes du tolstoïsme ou de toutes autres formes de pacifisme devront entraîner l’exclusion du Parti.
- On peut dire, il est vrai, que tant que l’épuration du parti des préjugés du passé et sa consolidation intérieure ne seront pas achevées il sera dangereux de placer le parti dans des situations où il devrait entrer en combat avec les réformistes et les social-patriotes. Une semblable affirmation serait erronée. On ne peut nier en vérité le fait que le passage d’un travail de simple propagande à la participation directe au mouvement des masses ne cache en soi de nouvelles difficultés et, partant, de nouveaux dangers pour la Parti Communiste. Mais il serait tout à fait erroné de croire que le parti pût se préparer à toutes les épreuves sans cette participation directe à la lutte et sans entrer en contact avec les ennemis. Au contraire, ce n’est que par cette voie qu’un vrai nettoyage intérieur et une véritable consolidation du parti pourront être atteints. Il se peut très bien que certains éléments de la bureaucratie du parti ou des syndicats se sentent plus près des réformistes, dont ils se sont séparés accidentellement, que de nous. La perte de tels compagnons de route ne sera pas une mal mais sera, au contraire, compensée au centuple par l’affluence dans le parti des ouvriers et des ouvrières, qui suivent encore les réformistes. Le résultat n’en sera qu’une homogénéité plus grande du parti qui deviendra plus énergique et plus prolétarien.
VI. Les tâches du Parti dans le mouvement syndical
- Beaucoup plus importante que toutes les autres tâches du parti Communiste, nous apparaît celle de faire la plus grande lumière dans la question syndicale. Sans doute, il nous appartient de détruire absolument et de démasquer la légende répandue par les réformistes sur les prétendues desseins d’assujettir les syndicats du parti. Les syndicats accueillent les ouvriers de toutes nuances politiques, sans parti, libre-penseurs, croyants, etc., tandis que le parti réunit ceux qui ont un même credo politique basé sur un programme déterminé. Le parti n’a et ne peut avoir, aucun moyen de soumettre du dehors les syndicats.
Le parti ne peut organiser son influence sur la vie des syndicats que dans la mesure où ses membres travaillent dans ces syndicats et y font admettre le point de vue du parti. Leur influence sur les syndicats dépend naturellement de leur nombre ainsi que de leur façon d’appliquer dans une juste mesure, d’une manière conséquente et appropriée, les principes du parti aux besoins particuliers du mouvement syndical. Le parti a le droit et le devoir de se proposer pour but d’atteindre dans cette voie une influence décisive dans les organisations syndicales. Il y arrivera lorsque le travail des communistes dans les syndicats sera complètement et en tout conforme aux principes du parti et se fera sous son contrôle permanent.
- Il est partout nécessaire que la conscience de tous les communistes soit définitivement débarrassée des préjugés réformistes, qui ne voient dans le parti qu’une organisation politique parlementaire du prolétariat. Le Parti Communiste est l’organisation de l’avant-garde prolétarienne pour la direction du mouvement ouvrier dans tous ses domaines et de première ligne, dans le domaine syndical. Si les syndicats ne sont pas sous la dépendance du parti, mais sont des organisations complètement autonomes, les syndiqués communiste de leur côté ne peuvent prétendre à aucune autonomie dans leur activité syndicale et ne doivent faire que défendre le programme et la tactique de leur parti. On doit condamner sévèrement la conduite de certains communistes qui non seulement ne luttent pas dans les syndicats pour l’influence du parti, mais qui s’opposent à une action dans ce sens au nom d’une fausse interprétation de l’autonomie syndicale. Par cette attitude ils ne font que faciliter à des individus, des groupes et des coteries sans programme déterminé et sans organisation du parti et qui utilisent la confusion des groupements idéologiques et des relations, l’acquisition d’une influence décisive dans les syndicats dont ces éléments conquièrent l’organisation afin de soustraire leur coterie au contrôle efficace de l’avant-garde ouvrière.
Si le parti, dans son activité au sein des syndicats doit témoigner d’une grande attention et d’une grande patience envers les masses sans parti et envers leurs représentants sincères et consciencieux : si le parti doit se rapprocher par le travail commun, des meilleurs éléments du syndicalisme et notamment des anarchistes-révolutionnaires qui luttent et apprennent, il ne peut au contraire souffrir plus longtemps dans son milieu les prétendus communistes, qui ne se servent de la qualité de membres du parti que pour développer avec autant plus de sûreté dans les syndicats une influence contraire au parti.
- Le parti doit soumettre à une critique continue et systématique par les moyens de sa presse et de ses militants syndiqués, l’insuffisance du syndicalisme révolutionnaire pour la solution des problèmes fondamentaux du prolétariat. Le parti doit critiquer infatigablement et opiniâtrement les faiblesses de la théorie et de la pratique du syndicalisme tout en démontrant à ses meilleurs éléments que la seule voie juste pour l’orientation révolutionnaire des syndicats et de l’ensemble du mouvement ouvrier, c’est l’adhésion des syndicalistes révolutionnaires au Parti Communiste, leur participation aux discussions et aux décisions de toutes les questions fondamentales du mouvement, leur participation à l’étude de nouveaux problèmes ainsi qu’à l’épuration du Parti Communiste et au renforcement de sa liaison avec les masses ouvrières.
- Il est enfin tout à fait nécessaire de faire dans le Parti Communiste français un recensement des membres en précisant leur condition sociale : ouvrier, employé, paysan, intellectuel, etc., leur relation avec le mouvement syndical (s’ils sont membres d’un syndicat, s’ils assistent aux réunions des communistes, des syndicalistes révolutionnaires, s’ils y font admettre les décisions du parti relatives aux syndicats, etc.) et leur relation avec la presse du parti (quelles publications du parti lisent-ils ? etc.) Ce recensement devrait être fait de telle façon qu’il soit possible d’en avoir les résultats pour le 4e Congrès de l’Internationale Communiste.
Léon Trotsky, 30 mars et 6 avril 1922
Le Bulletin Communiste