Par Gérard Florenson

Démission et rappel immédiat du premier ministre Lecornu, crise du gouvernement, mobilisations et luttes ; quelle est la situation en France? Quelles sont les issues politiques possibles ?

Le roi Macron est nu. En France comme dans les autres pays la presse, sidérée par la rapidité et les conditions de la démission de Lecornu, se demande si il lui reste une petite chance de survivre politiquement à ce nouvel échec. Selon la vieille expression “ceux d´en haut en peuvent plus gouverner comme avant” mais si nous analysons plus finement la situation il y a une crise évidente au sommet de l´État mais à ce stade, malgré la force de la contestation sociale, le patronat peut toujours “gouverner comme avant”, avancer ses pions et imposer la plupart de ses exigences, même si au plan local les luttes peuvent le contraindre à des reculs partiels, à des concessions en terme de salaire ou d´emploi. Les grèves, les blocages et les manifestations ont montré la détermination de nombre de travailleurs et de jeunes, mais en faudra davantage, la mobilisation de secteurs plus nombreux de la classe ouvrière, pour casser la dynamique des reculs sociaux. Cela questionne évidement les méthodes de “lutte” des directions syndicales qui sont en train de nous refaire le coup de leur trahison du mouvement contre la réforme des retraites et avancent la seule exigence de “véritables négociations”. Avec de tels adversaires les capitalistes n´ont pas à se faire du souci…

Comment va évoluer la situation dans un proche avenir ? Nous ne sommes pas devins et laissons les spéculations aux politologues éclairés, mais comme nous venons de le souligner le patronat fera tout pour conserver un gouvernement à son service. Pour le reste, sauf un déferlement de la lutte des classes qui les balayerait tous – et que tant les politiciens de “gauche” que les bureaucraties syndicales feront tout pour éviter, les issues à court terme sont au nombre de trois.

La première est la démission de Macron et de nouvelles élections présidentielles. La formule séduit certains candidats potentiels, à commencer par Jean-Luc Melenchon qui se voit déjà à l´Elysée, mais cette issue est hautement improbable. Macron est accroché à son poste. Il ne se soucie guère de sa côte de popularité. Il est prêt á toutes les combinaisons, à toutes les cohabitations pour rester Président. Et puis, en dehors de LFI et de deux anciens premiers ministres nourissant des ambitions personnelles, personne ne demande sérieusement son départ. LFI réitère sa demande illusoire de destition de Macron dans le cadre des institutions, ce qui est une simple posture prétendument radicale. Marine Le Pen étant provisoirement inéligible elle n´a pas intérêt à des présidentielles anticipées. Le parti socialiste a fait des offres de service et ce qui reste du Nouveau Front Populaire demande simplement à Macron de nommer un premier ministre de gauche au nom de la démocratie et des… traditions de la 5º république !

Mais ce sont surtout les directions syndicales qui protègent Macron en voulant cantonner les mobilisations sur le seul terrain revendicatif sans remettre en cause le pouvoir présidentiel, au moment où la majorité de la population le rejette.

La deuxième possibilité était que Macron, ayant pris son parti de l´impossible constitution d´une majorité stable, dissolve l´assemblée nationale; solution logique mais risquée, pouvant aboutir à un résultat presque identique à la composition actuelle du parlement avec peut-être un petit recul du NFP du fait de ses divisions et très probablement un effondrement des “partis du Président” au profit des Républicains et une stabilité de l´extrême droite, si on en croit les sondages. Mais de nouvelles élections sur fond de contestation sociale pourraient mettre à un le discrédit des partis du système, y compris le Rassemblement National, et se traduire par une abstention massive qui retirerait toute légitimité à la nouvelle assemblée. La dissolution a ses partisans à droite comme à gauche, mais “ceux d´en bas en veulent plus être gouvernés comme avant” et sont lassés des joutes parlementaires et autres jeux de rôle.

Macron a choisi de différer la dissolution en cherchant un premier ministre assez marqué à droite pour acheter la neutralité du Rassemblement National mais pas trop fascisant pour être accepté par les députés dits centristes, voire en appeler au sens des responsablités du PS et donc éviter la censure. Cette solution aurait répondu aux attentes du MEDEF qui se satisferait d´un gouvernement à poigne et rêve d´une Meloni pour la France et qui en souhaite pas des élections à répétition. Mais elle est impossible dans le cadre de l´assemblée actuelle car aucune combinaison ne peut compter sur une majorité suffisante. En gardant Lecornu, Macron peut tout juste espérer gagner un peu de temps, quelques jours peut-être avant une motion de censure qui pour être majoritaire suppose que toute la gauche la vote, en termes identiques à celle de l´extrême droite. Cela nous ramène à une dissolution ouvrant la voie à une alliance de la droite dite républicaine avec le Rassemblement National, une formule expérimentée dans différents pays.

Comme écrit plus haut nous en sommes pas devins. En revanche il est clair qu´aucune de ces solutions institutionnelles ne répond aux besoins des travailleurs et de la jeunesse et que c´est sur notre terrain, celui de la lutte des classes, que nous devons agir pour en finir non seulement avec Macron et ses équipes mais avec tous les partis patronaux, avec les grands groupes capitalistes qui tirent les ficelles, avec l´exploitation et toutes les oppressions. Le développement des luttes depuis le 10 septembre montrent que c´est possible si nous parvenons à contraindre les directions syndicales à mettre leurs forces au service du combat de classe, à abandonner les pseudo-concertations et autres tables rondes, à affronter patronat et gouvernement.

Nous devons taper fort et tous ensemble sur les mêmes clous, mobiliser sur un plan d´urgence reprenant les revendications essentielles. Emploi, salaires, protection sociale, services publics, lutte contre la précarité et les discriminations, toutes ces exigences doivent être précisées, chiffrées par les travailleurs et la population dans les entreprises, les lieux d´étude et les localités, et il nous faudra les imposer par nos luttes (toute avancée sociale sérieuse a été gagnée par les luttes). Il nous faudra contraindre les directions syndicales à reprendre et défendre ce plan et pour ce faire nous devons constituer partout nos comités de lutte, à partir de la base et en les coordonnant.

C´est dans l´experience de la lutte commune pour défendre nos conditions d´existence et briser la résistance du patronat que se forgera la conviction que la seule issue aux catastrophes qui nous menacent est dans un gouvernement ouvrier et populaire, issu des luttes et responsable devant le peuple travailleur.