Le jeudi 13 avril aura lieu la 12e journée de grève et mobilisation nationale contre la réforme anti-ouvrière des retraites du président Macron et des capitalistes. Le vendredi 14, le Conseil constitutionnel, une institution fonctionnelle du gouvernement, rendra son verdict. Mais les bases travailleuses et étudiantes restent prêts à se battre.
Pablo Vasco
Le 6 avril, au onzième journée convoquée par l’Intersyndicale qui réunit les huit centrales, plus de deux millions de personnes sont à nouveau descendues dans la rue partout en France pour exprimer leur profond rejet du gouvernement et de sa réforme. Le relèvement de l’âge de départ et des annuités de cotisation est une attaque en règle contre le droit à la retraite et contre le peu de temps libre pour profiter un peu après toute une vie de travail. Mais malgré la répression policière, la diabolisation par les grands médias et les retenues salariales pour les jours de grève, le mouvement reste ouvert. Et il y a aussi des grèves sectorielles, comme à la Poste de Chavant-Grenoble pour l’embauche des intérimaires, à la logistique Vertbaudet à Lille pour l’augmentation de salaires, et dans plusieurs autres entreprises.
Au milieu de ce bras de fer national, la rencontre, il y a quelques jours, entre la première ministre Borne et la direction de l’Intersyndicale s’est soldée par une impasse : Borne n’a pas cédé car c’est la ligne du gouvernement, l’Intersyndicale n’a pas cédé non plus par pression de la base. La colère des travailleurs, des jeunes et de la population est très forte.
Par exemple, lors du dernier congrès de la CGT, il y a quelques jours, pour la première fois dans l’histoire de la centrale, le bilan de la direction a été rejeté à une courte majorité. Après des débats tendus, une nouvelle secrétaire générale, Sophie Binet, a été élue, avec un ton plus ferme que son prédécesseur. A ce propos, le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA), dont font partie nos camarades de la LIS France, affirme :« les militants et surtout les responsables qui s’opposent à ce qu’ils appellent une ‘ligne réformiste’ dans la CGT ne sont pas tous aussi radicaux qu’ils voudraient le faire croire… Et les voix affirmant que les travailleurs doivent diriger eux-mêmes leurs luttes sont encore bien faibles et peu coordonnées. Cela dit, quelles que soient leurs raisons, il reste que les opposants à la ligne confédérale font de plus en plus recette, preuve qu’ils traduisent à leur manière un sentiment présent chez les militants les plus combatifs de la CGT »[1].
Le gouvernement, plus autoritaire
Alors que tous les gouvernements capitalistes tentent d’imposer des ajustements et échouent à vaincre les luttes et les rébellions ouvrières et populaires, il y a une tendance mondiale à la hausse des niveaux de répression et militarisme. Le gouvernement français en est un exemple clair, avec son plan visant à augmenter le budget militaire de 40 % dans la période 2024-2030 : il veut allouer 413 milliards d’euros à l’armement, alors qu’avec seulement 13 milliards, il pourrait combler le prétendu déficit des fonds de pension ! Dans le même temps, l’Assemblée vient d’adopter une loi « anti-squat » contre les sans-abri qui occupent des logements inhabités…
Quant aux mesures répressives contre les grèves et les marches, le ministre de l’Intérieur Darmanin ordonne de réquisitionner les travailleurs des secteurs en grève, accuse les critiques anti-gouvernementales de « terrorisme intellectuel d’extrême gauche » ou « d’ultra-gauche » et continue d’utiliser des bâtons, des gaz, des balles en caoutchouc, des détentions arbitraires, des réquisitions. Cette offensive de l’État comprend des menaces de dissolution à l’encontre du groupe écologiste Les Soulèvements de la Terre, du groupe anti-répressif Défense Collective (Rennes) et même de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH).
En outre, ces actions et ces discours du gouvernement français en faveur de la répression encouragent des actions violentes de l’extrême droite, comme cela s’est produit à Metz, où un camion a attaqué un piquet de grève. Face à ces attaques, une réponse de légitime autodéfense devient nécessaire.
Radicalisation étudiante
Le week-end dernier, les 8 et 9 avril, la cinquième Coordination nationale étudiante (CNE) s’est réunie à Nantes, avec la participation de 30 délégations. Entre autres courants politiques, le NPA Jeunes joue un rôle important dans cet espace unitaire. Dans sa résolution, la CNE déclare : « Depuis le passage en force du gouvernement et le 49.3 nos revendications dépassent largement le simple retrait de la réforme des retraites. Nous revendiquons la démission de Macron et son gouvernement qui ne représente que les intérêts d’une minorité de patrons. Service National Universel, loi Darmanin, mépris pour les enjeux climatiques, RSA, chômage, inflation et précarité galopante… au-delà de la réforme des retraites, c’est toute cette politique autoritaire et patronale que nous refusons ! »[2] Et elle appelle à :
- « Au mercredi 12 à participer à une opération ‘Pays mort’ le visant à bloquer routes, ronds-points et à tenir des piquets de grève devant les entreprises.
- « Au jeudi 13 à rejoindre l’appel à la grève de l’Intersyndicale.
- « Au vendredi 14, manifestons partout, pour leur montrer que la mobilisation ne s’arrêtera pas le jour du verdict du Conseil constitutionnel : on ne se tiendra pas sages !
- « Soutenir les initiatives de manifestation régionales notamment le samedi 15 ».
Comme autres expressions de la radicalisation du mouvement étudiant, des lycéens de plus en plus rejoignent les manifestations et une nouvelle fédération universitaire nationale a vu le jour : l’Union Étudiante (UE). Au sein de l’UE, qui se présente comme plus combative et démocratique, deux secteurs se sont unis : d’une part, 17 des 60 sections de la traditionnelle UNEF (Union nationale des étudiants de France)[3] et, d’autre part, L’Alternative, un espace qui regroupe une vingtaine d’autres syndicats et organisations étudiantes. Dans son premier communiqué, l’UE a déclaré : « S’inscrivant dans le cadre d’un mouvement social historique, la réunification du milieu étudiant nous permettra d’amplifier la mobilisation dans les jours et les semaines à venir… Nous appelons les étudiant.e.s à se mobiliser massivement dans leurs établissements et dans la rue à l’occasion de la journée de mobilisation du 6 avril appelée par l’Intersyndicale ».
Une semaine décisive
Même en tenant compte de la fatigue logique après trois mois de lutte intense, la moyenne générale de grève a baissé, bien qu’elle reste forte chez les travailleurs des raffineries, de l’électricité et des chemins de fer. De son côté, le gouvernement est plutôt isolé et a des frictions internes, les sondages confirment que son impopularité monte, et dans les cortèges on écoute le slogan « Macron, dégage ! » L’Intersyndicale, qui voudrait négocier avec le gouvernement, continue d’appeler à des journées de lutte séparées au lieu d’organiser un plan de combat avec continuité jusqu’au retrait de la réforme. Une bonne partie de l’avant-garde avance dans son expérience avec cette bureaucratie syndicale et aussi avec des politiciens comme le centre-gauche de Mélenchon ou l’extrême-droite de Le Pen, qui – au-delà de leurs différences – ne visent pas à mobiliser mais à encourager des solutions électorales comme un référendum incertain.
Comme le dit très justement le dernier éditorial du NPA : « Le 14, c’est au Conseil constitutionnel de donner son feu vert à cette loi. Il n’y a aucune illusion à avoir sur cette institution faite de vieux politiciens à la retraite. Pour mémoire, le dernier projet censuré par le Conseil était la proposition de taxer les très hauts revenus à 75% sous le gouvernement Hollande…. C’est sous la pression que le mouvement réussit à imposer sur le gouvernement et le patronat que les ‘sages’ du Conseil retoqueront peut-être deux ou trois éléments annexes, histoire de laisser entendre qu’on pourrait éviter le pire lors de l’application du projet de casse des retraites. Et Laurent Berger[4] lui emboîte le pas, en annonçant sur BFM qu’il ne ‘remettra pas en cause la légitimité du Conseil constitutionnel’… Mais nos vies valent plus que la Constitution de la République ! Le 13, il faudra être encore plus nombreux que jeudi dernier en grève et en manifestation… Et le 14 on continue ! Si Macron et Borne n’ont pas compris, et font valider par le Conseil leur réforme déjà passée à coups de 49.3, la colère pourra monter encore d’un cran… Elle ira jusqu’au retrait ! »[5]
[1] https://nouveaupartianticapitaliste.fr/la-direction-sortante-chahutee-et-desavouee-au-53e-congres-de-la-cgt/
[2] Le SNU est un service national universel civil et militaire pour les jeunes, volontaire pour l’instant. La loi Darmanin est un nouveau projet anti-immigration. Le RSA est un revenu de solidarité active pour les demandeurs d’emploi, ultra-minimal et de plus en plus conditionnel.
[3] L’UNEF était la principale fédération universitaire en France, étroitement liée au PS bourgeois.
[4] Leader de la CFDT, la centrale syndicale la plus partisane de la collaboration de classes.
[5] https://nouveaupartianticapitaliste.fr/determines-jusquau-retrait/