La France connaît une rentrée sociale et une crise politique sans précédent :
il ne s’agit pas seulement de la chute des gouvernements de François Bayrou et Sébastien Lecornu au cours du dernier mois (ce dernier ayant repris ses fonctions cinq jours après avoir démissionné), ce qui porte à cinq le nombre de Premiers ministres en trois ans, mais surtout de l’entrée en scène politique de centaines de milliers de travailleurs et de jeunes qui se sont mis en grève et ont manifesté le 10 septembre, le 18 septembre et également le 2 octobre. Ils ont clairement exprimé leur colère contre le budget d’austérité préparé à l’époque par Bayrou, avertissant le gouvernement de ne pas continuer dans la même direction. Deux ans après le mouvement contre la réforme des retraites, la classe ouvrière et la jeunesse ont repris confiance et souhaitent jouer un rôle politique de premier plan.
Les journées de mobilisation du 10 septembre d’une part, et celles du 18 septembre et du 2 octobre d’autre part, ont un caractère très différent. Lancée par un appel anonyme sur les réseaux sociaux, celle du 10 a suscité chez beaucoup l’espoir d’une renaissance des Gilets jaunes. On peut attribuer son succès au fait qu’elle a attiré un grand nombre de jeunes et de travailleurs, souvent derrière les banderoles de leurs organisations syndicales de base, qu’elle a clairement identifié le projet de budget de Bayrou comme une injustice sociale flagrante et qu’elle a cherché à s’attaquer à l’État et au système capitaliste par des méthodes de lutte radicales.
Cependant, il faut reconnaître que si l’objectif était « Bloquons tout ! », cet appel a eu ses limites. Les quelque 800 actions de blocage ont été rapidement contrées par un important dispositif policier, 80 000 policiers et gendarmes. Mais qui pouvait en douter ? Le manque de coordination et de direction, logique dans des actions organisées par la base, a donné lieu à des situations confuses, pour ne pas dire chaotiques. Par exemple, à Paris, se sont déroulés simultanément, mais à trois endroits différents, un rassemblement de travailleurs syndiqués, une assemblée générale massive de cheminots, une assemblée générale/happening en plein air et, sans doute, d’autres mobilisations mineures.
Le seul effet de tout cela a été de diviser les forces et d’affaiblir la portée politique de la mobilisation. Cette absence de programme et de direction a facilité la tâche, d’une part, des populistes de LFI et de leurs alliés et, d’autre part, des anarchistes et des autonomistes. Les premiers ne souhaitent pas un mouvement de grande envergure qui perdure et parvienne à satisfaire leurs revendications.
Ils souhaitent plutôt un coup médiatique à l’échelle nationale qui prépare l’arrivée de LFI et de ses « solutions » : de nouvelles élections pour la prise de pouvoir de Jean-Luc Mélenchon à la tête de l’État bourgeois. Pour cela, il s’agit de canaliser la colère populaire vers une solution fondée sur la démocratie bourgeoise.
Les anarchistes, comme d’habitude, souhaitent se faire remarquer politiquement en rompant quelques vitrines ou abribus. Le 18 septembre était la date choisie par les grands syndicats pour la manifestation habituelle de retour au travail. Initialement choisie pour s’opposer au 10 septembre, et plutôt pour diviser le mouvement, la proximité des deux dates a été une heureuse coïncidence qui a renforcé l’impact des deux mobilisations. 250 000 travailleurs ont manifesté dans tout le pays le 10 et environ 1 million le 18, dans des cortèges dynamiques et revendicatifs, avec une grève suivie dans les transports, les services publics, en particulier dans l’éducation. Malgré cela, l’intersyndicale a rapidement décidé de mettre le mouvement « en pause », lançant un « ultimatum » au gouvernement pour qu’il les reçoive et discute du nouveau budget. Cependant, face à l’obstination de M. Lecornu — que pouvait-on attendre d’autre de ce macroniste ultra fidèle à son chef ? —, ils ont appelé à une journée de grève et de mobilisation le 2 octobre dernier, où, pour différentes raisons, le mouvement, bien qu’important, a été moins suivi (environ 500 000 personnes dans tout le pays), la principale cause étant la difficulté de faire grève un seul jour sans suite avec un plan de lutte pour gagner, sans compter la perte du salaire du jour non travaillé.
La bourgeoisie française est confrontée à une grave crise politique, qui est en train de se transformer en une crise de la Ve République et de ses institutions. Avec une Assemblée nationale divisée en trois blocs, le Rassemblement national, le centre-droit de Macron et Les Républicains, et la gauche institutionnelle, il sera sans doute difficile de former à nouveau un gouvernement après la démission intempestive de Lecornu.
L’irruption des travailleurs et des jeunes sur la scène politique peut bousculer les plans de la bourgeoisie et un mouvement de masse peut remporter d’importantes victoires dans les revendications sociales. Cependant, ni la seule spontanéité des masses ni le réformisme des centrales syndicales ne peuvent conduire à ces victoires. À de nombreuses reprises dans le passé, les grandes centrales syndicales ont monopolisé la direction du mouvement et l’ont canalisé vers une série de journées de mobilisation sans avenir. Le seul résultat a été d’épuiser la combativité ouvrière, de semer le désespoir et, finalement, paradoxalement, de renforcer le Rassemblement National.
La tâche des révolutionnaires est de promouvoir l’auto-organisation de la classe ouvrière, de construire un programme d’action basé sur des revendications de transition et d’organiser un mouvement de masse prêt à aller jusqu’à la grève générale illimitée.
La tâche est difficile, mais la situation actuelle et ses contradictions constituent des points d’appui.
Le mécontentement est massif, et la démission de Lecornu, suivie de son retour à ses fonctions moins d’une semaine après sa démission, est un nouveau coup porté au gouvernement discrédité de Macron. Les mobilisations de ces dernières semaines ont été un premier pas qui permet de construire de nouvelles mobilisations. Le grand nombre d’assemblées générales, dont certaines ont rassemblé des centaines, voire des milliers de personnes, qui se sont tenues pour préparer le 10 septembre, mais aussi le 18 et les jours suivants, ont offert autant de tribunes pour généraliser ce programme de lutte et faire avancer l’auto-organisation du mouvement.
La critique sans ambiguïté des centrales syndicales doit être combinée à une tactique de revendications envers les dirigeants syndicaux. Il faut mener ce combat sans relâche dans les assemblées générales, mais aussi dans les syndicats de base, qui réunissent souvent des militants sincères et combatifs. Il faut pour cela construire une direction démocratiquement élue pour la lutte et lutter afin que le syndicat soit aux syndiqués. Il est nécessaire d’exiger des dirigeants syndicaux qu’ils appellent à de nouvelles journées de mobilisation débouchant sur une grève générale pour gagner la lutte, seule arme capable de faire plier le patronat et le gouvernement. Pour couronner cette perspective, les révolutionnaires doivent proposer le mot d’ordre d’un gouvernement des travailleurs, basé sur la démocratie ouvrière et ses organisations de lutte.




