2ème Congrès LIS : La situation en Amérique latine. Analyse, politique, tâches de la LIS

Comme nous en avons discuté depuis le dernier congrès de la LIS à travers des rapports, des articles et des documents, que nous avons mis à jour systématiquement, le monde connaît une polarisation politique et sociale extrême. La situation mondiale se caractérise par un fort climat de tensions politiques et de luttes sociales croissantes, y compris des rébellions, des révolutions et des opportunités pour la gauche à un pôle de la situation, et par l’émergence de fortes expressions de la droite et de l’extrême droite à l’autre pôle. Cela se développe dans le cadre d’une crise capitaliste marquée, qui se combine maintenant, depuis le début de 2022, avec la guerre en Ukraine et les tensions permanentes entre les États-Unis, l’Otan et la Russie, dans le contexte d’un bond dans les différends inter-impérialistes incluant la Chine, comme en témoigne également ces mois-ci la crise vis-à-vis de Taïwan et de l’Asie en général. Ces tensions anticipent les luttes à venir pour l’hégémonie mondiale. Les conflits inter-impérialistes et la forte polarisation sociale et politique ont lieu dans un monde englouti par les crises économiques et sociales, les ajustements, la famine et la destruction de l’environnement. Et avec la perspective d’une plus grande lutte des classes, des tournants vers la gauche et la recherche politique de couches de masse en dehors des partis traditionnels.

Ce bref cadre d’une situation mondiale, qui sera traité spécifiquement dans ce pré-congrès de la LIS dans le texte sur la situation internationale, sert à nous introduire dans la situation de notre continent, où beaucoup de ces caractéristiques existent et se sont approfondies dans divers pays. Notre région est l’un des points les plus dynamiques en ce qui concerne la montée et la lutte des classes. En Amérique latine, nous venons d’assister et d’intervenir dans l’importante vague de luttes et de rébellions qui a commencé en avril 2018 au Nicaragua contre la dictature d’Ortega-Murillo et qui a fait un saut qualitatif en 2019 avec le Chili en première ligne et d’autres processus qui ont eu lieu en Équateur, à Porto Rico, en Bolivie, en Colombie, en Haïti, etc. En 2021, la Colombie a explosé et d’importantes mobilisations ont eu lieu à Cuba.

Et maintenant, nous assistons à un nouveau moment, à une nouvelle vague sur le continent, où, conformément à la situation mondiale, des processus deviennent à nouveau visibles dans différents pays. En 2022, d’importantes actions de masse ont eu lieu en Équateur et au Panama. Des éléments d’une montée importante dans différents pays comme l’Argentine contre l’ajustement ou le Brésil contre le bolsonarisme. Et depuis la fin de l’année dernière jusqu’à aujourd’hui, nous assistons à un important processus de mobilisation en Haïti et à une rébellion généralisée au Pérou contre l’avancée golpiste de la droite. Dans un autre chapitre de ce texte, nous approfondirons les caractéristiques de la situation. Nous les mentionnons ici à titre de référence et en sachant qu’ils font partie d’une situation qui a sa genèse dans la crise économique et sociale internationale, qui nous place devant la nécessité de renforcer notre intervention et notre construction politique, vers les nouvelles opportunités et les nouveaux défis qui viennent.

Dans ce contexte, nous avons rédigé le document suivant, qui analyse cette situation et développe les forts débats politiques existants, analyse le saut dans l’ingérence impérialiste des différentes puissances, les défaites électorales de diverses forces de droite, les nouveaux gouvernements du type progressiste qui traînent l’échec de leurs administrations précédentes, développant un débat stratégique contre toutes les variantes réformistes et possibilistes. Et aussi au sein de la gauche il y a des expériences politiques en développement, dans plusieurs des plus importantes desquelles les camarades du LIS sont impliqués et sur lesquelles nous adressons notre opinion. Enfin, nous faisons également référence à la politique et au programme à développer au milieu de cette situation, au service du renforcement de la construction des organisations révolutionnaires et de la LIS dans toute l’Amérique latine.

2. La crise économique et sociale

Ces dernières années, notre continent a subi les conséquences de la crise capitaliste mondiale et les actions irrationnelles des grandes entreprises extractives en alliance avec les gouvernements capitalistes de la région et les puissances impérialistes qui interviennent ici. Cette politique, ainsi que la forte dépendance à l’égard d’organisations telles que le FMI, et les plans d’austérité appliqués par des gouvernements de divers horizons politiques, marquent l’ensemble de la situation. À cela s’ajoutent les nouvelles tentatives des États-Unis de reprendre et d’approfondir leur contrôle politique et économique sur le continent, face à l’avancée constante de la Chine en tant que concurrent majeur dans toute la région.

Pour comprendre ce différend, il faut savoir que les États-Unis détiennent 22% de tous les investissements sur le continent et agissent non seulement dans la sphère économique, mais aussi dans les sphères politique et militaire. Mais sur le plan économique, ces dernières années, la Chine a pris la tête du commerce avec l’Amérique latine : alors qu’en 1994 il ne représentait que 1,7%, il est aujourd’hui de 14,4%, avec 450 milliards de dollars, le plus élevé de tous. En outre, la Chine tente de prendre la tête des entreprises qui exploitent le lithium en Argentine, en Bolivie et au Chili. Les avancées de la Chine visant à tirer profit de notre continent en tant qu’exportateur de matières premières sont principalement dues à l’avancée de la route de la soie depuis le Pacifique, qui a déjà intégré 20 pays du continent dans des accords économiques. Sur le plan géopolitique, la Russie est l’autre acteur qui tente de progresser, mais sous un autre angle : par le biais d’accords militaires et de ventes d’armes à huit pays d’Amérique latine.

Dans ce contexte, la situation économique et sociale, comme dans le reste du monde, s’est nettement dégradée pendant la période de forte pandémie, en montrant en même temps la déchéance sociale dans laquelle vivent des millions de latino-américains. Évidemment, face à cette situation, la seule réponse de l’impérialisme et des gouvernements de la région a été d’essayer de décharger cette crise sur le dos des majorités populaires, ouvrières et de la jeunesse.

Après le pic de la pandémie en 2021, de nouvelles expressions de la crise économique ont commencé à apparaître, qui se sont poursuivies tout au long de 2022, et les prévisions pour 2023 prévoient une poursuite de la crise. Par exemple, les données des études de la CEPAL préviennent que dans le cadre de ce qu’ils appellent une décennie perdue, le continent conservera un fort contexte de décélération économique. En comparaison, le taux de croissance, qui était un peu plus élevé les années précédentes, clôturera l’année 2022 à 3,7% et en 2023 il tombera à 1,3%, avec un taux de croissance moyen global par pays d’à peine 0,9%. La même CEPAL prévient que si l’on prend comme référence la période de six ans 2014-2019, en raison du ralentissement de l’économie mondiale, notre continent a connu une croissance rachitique de 0,3% au cours de ces années, comparable aux années de la Grande Dépression ou de la Première Guerre mondiale.

Les économies de la région souffrent actuellement de cette situation critique, à laquelle il faut ajouter le drame des dettes extérieures et de la dépendance, qui asphyxient les économies et lient politiquement plusieurs pays aux desseins des organisations internationales de crédit. C’est un problème majeur : la dette brute de tous les pays de la région équivaut à 78% du PIB et ses intérêts à 59%.

Face à cette situation subie par la grande majorité, on assiste à un bond des politiques extractives et destructrices, qui ne résolvent pas les drames sociaux et aggravent la situation de vie tout en pillant nos richesses. Notre continent est très convoité pour ses vastes richesses naturelles. L’Amérique latine dispose d’énormes ressources énergétiques, des pays comme le Venezuela et la Bolivie figurant parmi les leaders en matière de pétrole pour le premier et de gaz pour le second. L’Argentine possède également du pétrole et des minéraux, tout comme le Chili, et ces deux pays forment avec la Bolivie ce qu’on appelle le triangle du lithium. Le Brésil et le Mexique disposent de vastes ressources pétrolières et minérales, le Pérou de richesses minérales, l’Équateur de pétrole, entre autres. En outre, le continent dispose de 22% de l’eau douce, très prisée par les puissances dans un monde de sécheresse et de pollution. Nous possédons également 23% du patrimoine forestier de la planète et plus de 50% de la biodiversité mondiale (dont l’Amazonie 10% de la planète) et 178 régions écologiques. Tout cela est fortement dégradé par l’avancée des politiques extractives, la surexploitation des ressources, la déforestation généralisée, l’agriculture intensive et la culture du soja, entre autres maux du capitalisme.

Cette situation est aggravée par un phénomène régressif causé par le capitalisme impérialiste : le changement climatique. Entre autres effets, il génère une forte fonte des glaciers, dans un continent qui, le long de la cordillère des Andes, possède d’énormes formations qui disparaissent à un rythme accéléré. Les pays les plus touchés sont le Pérou, la Bolivie, l’Équateur et la Colombie, qui ont perdu environ 40% de leurs glaciers. Selon un rapport de la Banque mondiale, « les ouragans, les inondations et les sécheresses sont de plus en plus fréquents, et l’on estime que 17 millions de personnes pourraient être contraintes de quitter leur foyer et que près de 6 millions de personnes pourraient tomber dans l’extrême pauvreté d’ici 2030, principalement en raison du manque d’eau potable, ainsi que de l’exposition accrue à la chaleur excessive et aux inondations ». Un autre rapport ajoute qu’en Amérique centrale et aux Caraïbes, les rendements des champs de haricots et de maïs vont diminuer de 20%.

En bref, la combinaison de plans d’austérité, d’attaques de conquêtes sociales, de politiques extractivistes et destructrices, aggrave les conditions de vie de la population sur tout le continent. La conséquence en est un bond -ou dans certains pays une continuation- de l’inégalité sociale et des niveaux très marqués de pauvreté et d’indigence. Les inégalités se creusent au rythme des plans d’ajustement mis en œuvre par les gouvernements tant de droite comme « progressistes ». Selon l’économiste Thomas Piketty, les 1% le plus riche du continent détient 25% de la richesse totale (aux États-Unis, ce 1% détient 18% de la richesse du pays).

Cette hausse des inégalités est parallèle à l’augmentation de la pauvreté et de la misère et à l’absence d’avenir pour des populations entières. Entre autres effets, on constate une augmentation des flux qui tentent, au péril de leur vie, de se diriger vers le nord, vers les États-Unis, démontrant le désespoir des secteurs populaires (surtout de l’Amérique centrale) malgré la répression qui s’ensuit. En 2021, quelque 1 700 000 personnes ont été réprimées et interceptées alors qu’elles se rendaient aux États-Unis ou près de leur frontière.

Actuellement, les niveaux de pauvreté restent élevés dans certains pays et s’aggravent dans d’autres. Pour ce phénomène, un autre facteur qui intervient négativement est l’inflation qui, en moyenne continentale, a dépassé le 8% en 2022. La pauvreté en Amérique latine était de 29,8% en 2018 et atteindra 33,7% en 2022. L’extrême pauvreté, dans la même période, est passée de 10,4% à 14,4%. Compte tenu de cette tendance et du résultat des plans d’ajustement, on s’attend à ce que, d’ici 2023 et 2024, quelque 8 millions de personnes soient menacées d’insécurité alimentaire, s’ajoutant aux plus de 85 millions qui en souffrent déjà.

Il en va de même pour les niveaux d’emploi et de chômage, un drame qui traverse toute la région et qui est à l’origine de fortes luttes. Les salaires ont perdu du pouvoir d’achat pendant la pandémie, se sont légèrement redressés au second semestre 2021 et ont à nouveau chuté après les effets de la guerre en Ukraine sur l’économie mondiale. De même, le chômage reste très élevé et oscille autour de 8% ces dernières années. Dans le même temps, l’OIT estime qu’entre 50 et 80% des emplois créés après la pandémie sont informels, c’est-à-dire très précaires et dans de mauvaises conditions.

Pour intervenir dans cette situation, il faut être à l’avant-garde dans tous les processus de la lutte de classe que nous pouvons, et de renforcer la construction d’organisations révolutionnaires et alternatives de gauche, en bataille avec les gouvernements de droite et « progressistes », tous deux responsables de la situation avec tous les impérialismes qui interviennent ici.

3. Un nouveau cycle de forte montée et de polarisation

L’Amérique latine vit un nouveau moment d’irruption du mouvement de masse, une période qui ne s’est pas manifestée à une telle échelle depuis le début du millénaire avec les insurrections, les rébellions et les processus révolutionnaires en Équateur, en Argentine, en Bolivie et au Venezuela, qui ont donné lieu, comme expression politique, à des gouvernements autoproclamés progressistes, réformistes et de centre-gauche, avec son point le plus radical dans le bolivarianisme avec Chávez. Près de deux décennies plus tard, nous connaissons un nouvel essor de la lutte des classes. En 2018, la polarisation politique et sociale s’est exprimée par la montée du mouvement de masse contre les plans d’ajustement et de pillage. La réponse des gouvernements a été la répression, ce qui renforce les phénomènes qui marquent la période : polarisation, crise politique, sociale et économique. C’est une situation de crise récurrente qui caractérise l’Amérique latine. L’analyse et l’intervention militante doivent nous préparer à faire des bonds dans les organisations dans un cadre où prévaudront le mécontentement de larges pans des masses et la politisation de l’avant-garde qui émerge dans les luttes, les rébellions, les révolutions.

Avec les rébellions au Chili en 2019 et en Colombie en 2021, le changement a été qualitatif, l’impasse de la pandémie a conduit à un approfondissement de la crise, avec des crises politiques revenant en force au Brésil et en Argentine, et de grandes mobilisations en Amérique centrale, à nouveau en Équateur, en Haïti et au Pérou, scellant la fin 2022 et le début 2023. Cela génère la peur de la classe dirigeante et de l’impérialisme dans une phase marquée par l’instabilité et la polarisation, qui donne lieu à des phénomènes à droite et à gauche. L’examen du cycle qui a marqué l’année 2000 contribuera à la compréhension du cycle actuel, avec ses différences, ses contradictions, ses débats, ses enjeux.

Un regard sur le cycle du début du siècle

Au début du millénaire, l’Amérique latine a connu une vague de montée de la lutte des classes, d’insurrections et de rébellions contre la mise en œuvre des plans néolibéraux qui se sont intensifiés dans les années 1990 suite à l’ouverture des marchés et à la tentative d’accroître l’influence de l’impérialisme américain. Ce déclencheur mondial a intensifié le glissement vers la gauche en Amérique latine, qui, avec ses particularités, a donné lieu à des gouvernements autoproclamés progressistes, réformistes et de centre-gauche, un processus connu sous le nom de marée rose, dont la plus grande expression a été la révolution bolivarienne qui a porté Chávez au pouvoir au Venezuela, proposant le « socialisme du XXIe siècle ».

Ce cycle de gouvernements « progressistes » s’inscrit dans un processus régional de soulèvements sociaux : rébellions en Équateur (1998-2000), Argentinazo (2001), défaite du coup d’État militaire au Venezuela (2002, un processus qui durait depuis le Caracazo de 1989), guerre de l’eau en Bolivie (2003) et insurrection paysanne et populaire qui a conduit à la chute de Losada (2005), entre autres manifestations.

En conséquence, des gouvernements ont été formés qui étaient marqués par cette situation continentale. Sous la pression du mouvement de masse, ils ont plus ou moins avancé dans certaines concessions sociales dans un contexte de bonification économique due à l’explosion du prix mondial des matières premières, qui a contribué à leurs projets. La révolution bolivarienne avec Chávez est le processus qui a le plus progressé du fait de l’effervescence sociale et de la rupture avec la bourgeoisie traditionnelle vénézuélienne. Ainsi, les frictions avec l’impérialisme s’intensifient, entraînant quelques nationalisations et avancées démocratiques. Evo Morales en Bolivie et Rafael Correa en Équateur sont arrivés au pouvoir par la chute de gouvernements traditionnels fomentés par des insurrections populaires et en proposant de nouvelles constitutions. Lula, arrivé au pouvoir au Brésil avec le PT, a rapidement orienté son gouvernement vers la réaffirmation du rôle sous-impérialiste de son pays en proposant un « progressisme » lié à un projet social-libéral repris par Kirchner en Argentine, Mujica en Uruguay et à un autre niveau par Bachelet au Chili.

Malgré leurs différences, ils sont tous restés dans les paramètres de la démocratie bourgeoise et de l’administration des États capitalistes. L’envolée des prix internationaux des matières premières et des biens de consommation leur a offert un contexte favorable. Dans le même temps, en ne rompant pas avec la logique de l’accumulation capitaliste, ils ont consolidé le caractère extractiviste et rentier des pays d’Amérique latine, avec une croissance du PIB et de nouvelles bourgeoisies parasitant l’État via les nouveaux représentants des régimes. Cette situation a ouvert de nouveaux conflits sociaux, économiques et écologiques, montrant les limites des projets « progressistes ».

Ces projets ont progressivement succombé à la récession économique déclenchée par la crise mondiale de 2008, qui a affecté les exportations. Ils ont ensuite entériné leur parcours dans les cadres du capital, en mettant en œuvre des mesures d’ajustement et en revenant sur les concessions. En conséquence, la perte de leur base sociale a entraîné des défaites électorales contre la droite dans plusieurs pays. Et dans des cas comme le Venezuela et le Nicaragua, des revirements contre-révolutionnaires ont été imposés, donnant naissance aux régimes autoritaires actuels, après la répression violente, il y a des années, des luttes d’opposition, surtout par des sections de la jeunesse.

Clôture du cycle progressif

Ce premier cycle du 21e siècle, de la montée du mouvement de masse, a montré la contradiction d’une direction qui, malgré son langage de gauche, est restée dans les marges de la démocratie bourgeoise et de l’institutionnalisme de l’État capitaliste. Ils ont ainsi démontré leurs limites et leurs trahisons. C’est pourquoi, après la montée en puissance des gouvernements progressistes et de centre-gauche, différentes combinaisons sociales et politiques ont permis à la droite de revenir au gouvernement dans plusieurs pays du continent. Dans le même temps, enhardie par la polarisation, la droite a mené des tentatives antidémocratiques au Honduras et au Paraguay. Au Brésil, en 2016, de grandes mobilisations populaires ont eu lieu contre la réforme des retraites de Dilma Rousseff et du PT, qui a perdu sa base sociale avec cette mesure régressive. Le régime et ses secteurs les plus réactionnaires ont avancé avec la destitution, puis avec l’arrestation de Lula, et la bourgeoisie classique est revenue au contrôle de l’État, bien qu’affaiblie, et a ainsi laissé la place à Bolsonaro, l’expression du pôle de droite.

Au Venezuela, après la mort de Chávez et la défaite de Maduro aux élections de 2010 à l’Assemblée nationale, le gouvernement a pris un virage autoritaire face aux tentatives de la droite d’imposer un autre gouvernement sur fond d’impérialisme américain. La toile de fond était les mobilisations massives et radicales contre le régime du PSUV et ses mesures autoritaires et régressives. La contre-révolution a été consommée au Venezuela à partir de l’appareil d’État avec le PSUV et a généré des reculs très marqués dans les acquis de la révolution bolivarienne.

L’un des traits caractéristiques de la débâcle du « progressisme » a été les cas où la politique capitaliste a été combinée avec des logiques staliniennes pour mettre en œuvre des plans d’ajustement avec une répression constante, comme au Venezuela ou au Nicaragua. Ces dernières années, le PC cubain a opéré un virage important vers l’endiguement répressif face à son ouverture au capital, se heurtant à plusieurs reprises à des franges populaires mécontentes.

Ces exemples montrent comment les gouvernements pseudo-progressistes permettent aux secteurs de droite et réactionnaires de se recomposer en concluant des pactes, en mettant en œuvre des programmes anti-populaires et en trahissant leurs promesses. Pour justifier leur débâcle, après avoir ouvert l’espace électoral à la droite, leurs porte-parole ont prétendu qu’en Amérique latine « une nuit noire » était à venir, un « virage continental vers la droite ». Rien n’aurait pu être plus faux. Au contraire : ils ont démontré qu’ils n’avaient aucune solution à la crise du capitalisme dans la région autre que de se soumettre aux plans de l’impérialisme. De cette façon, ils ont ouvert un espace pour la droite, même si le mouvement de masse n’a pas été vaincu. Même un élément clé de la conjoncture ultérieure est la crise des droites qui sont revenues au pouvoir à la suite du vide ouvert par les variantes possibilistes. Cette caractéristique est mise à l’épreuve dans le cycle actuel, dont nous reviendrons plus loin sur le débat idéologique.

Une nouvelle vague de luttes et d’expériences politiques

L’Amérique latine connaît un nouveau cycle d’une grande importance sociale et politique. A des rythmes différents, la tendance continentale est teintée d’instabilité et de polarisation. Les caractéristiques communes varient en fonction de l’impact des crises économiques, politiques, sanitaires, écologiques et institutionnelles dans chaque pays. De nouvelles mobilisations massives et radicales, des semi-insurrections et des rébellions constituent une situation prérévolutionnaire dont l’élément central est la polarisation sociale et politique, dans laquelle les médias, les corporations oligarchiques et judiciaires, qui sont liés à l’ancienne et à la nouvelle droite, ont également une forte influence.

La droite au pouvoir après le cycle progressiste n’a fait qu’aggraver la situation de crise. La réponse ne s’est pas fait attendre. En 2018, la rébellion au Nicaragua a éclaté face à l’accord Ortega-Murillo du FMI, et Haïti a marqué le premier chapitre d’une flambée révolutionnaire qui se poursuit. En Équateur, une rébellion a eu lieu en 2019 avec les indigènes et les paysans en première ligne qui ont acculé le gouvernement Lenin Moreno et son ajustement néolibéral convenu avec le FMI ; sa chute a été proposée mais la direction de la CONAIE (coordination indigène) n’a pas avancé bien qu’elle ait réussi à annuler l’accord. Le Chili a alors connu une véritable révolution contre l’héritage de Pinochet. Elle a commencé avec la hausse du prix du métro et s’est élargi a toute le peuple qui a développé des instances d’auto-organisation et d’auto-défense avec des slogans contre le gouvernement Piñera et pour une nouvelle constitution, mais l’absence de direction révolutionnaire a permis un pacte de tout le régime. En Colombie, en novembre 2019, il y a eu une grève générale et, après la pandémie, en 2021, une rébellion généralisée contre la réforme fiscale et la répression de Duque. En Bolivie, en 2019, Evo a succombé après des semaines de véritables protestations ; la droite a profité du vide pour un coup d’État fantoche pro-impérialiste et a imposé Añez, vaincue ensuite par la mobilisation des mineurs.

Au Brésil, Bolsonaro n’a pas pu mettre en œuvre son programme réactionnaire et a dû faire face à des luttes féministes et antiracistes qui ont eu un impact sur l’ensemble du pays, ajoutant une polarisation politique supplémentaire avec le retour de Lula. En Argentine, la crise politique et économique a été exacerbée par la pandémie, et le gouvernement Fernández a décidé de conclure un nouveau pacte avec le FMI. Les tensions sociales avec les luttes des chômeurs et des syndicats, notamment dans le secteur de la santé, préfigurent ce qui est à venir. Au Pérou, le régime de Fujimori est en plein déclin, la crise institutionnelle se poursuit et il y a déjà eu six présidents en quatre ans. En 2022, elle a fait un saut qualitatif avec la vacance de Pedro Castillo et la réponse populaire pour se débarrasser du gouvernement putschiste et de tout le régime corrompu. Au Mexique, bien que le mouvement de masse vienne de plus loin, les principales références politiques bourgeoises sont affaiblies et de nouvelles expressions émergent en dehors du PRI. Au milieu de l’année 2022, l’Équateur organise à nouveau une grève nationale et obtient une victoire partielle de ses revendications. En juillet dernier, le Panama, mené par les enseignants et d’autres secteurs populaires, a connu une forte poussée et une énorme mobilisation qui a marqué toute la situation. Les rues d’Haïti sont à nouveau en ébullition. Et à Cuba, des manifestations ont lieu depuis quelque temps déjà, plus encore que lors de la crise de 1994, pour protester contre le manque de nourriture, d’énergie et de médicaments, exacerbé par la crise et le blocus. Des mouvements contre la bureaucratie émergent, avec des secteurs populaires qui veulent réellement se faire entendre. Il est important de suivre le cas cubain et de voir comment nous pouvons nous lier aux secteurs critiques de la gauche qui participent aux mobilisations. En même temps, ce processus, dans lequel il est juste d’essayer d’intervenir avec notre politique, a des contradictions dont il faut tenir compte parce qu’elles sont exploitées par des acteurs politiques de droite qui promeuvent une voie de restauration capitaliste directe et des politiques pro-américaines. En d’autres termes, nous devons répondre politiquement à cette crise à partir d’une position indépendante, anticapitaliste et socialiste, critique du régime cubain et complètement séparée des forces réactionnaires de la droite continentale.

Ce nouveau moment contient des éléments qui expliquent les phénomènes de la première vague (2018-2019) et de la vague post-pandémique comme une continuité du cycle de la montée des luttes de classe. Leur dénominateur commun est la lutte contre les plans d’ajustement et la forte répression des gouvernements déclenche une plus grande réaction sociale. Si pendant la pandémie, en raison des mesures sanitaires et de la préoccupation populaire, les mobilisations se sont ralenties, après la phase de plus grand encerclement, la crise économique s’est aggravée puis le monde a été choqué par l’invasion impérialiste russe de l’Ukraine, accélérant les alarmes de la crise mondiale et ajoutant une crise inflationniste de niveaux historiques.

Une autre caractéristique de la poussée actuelle est que dans les luttes, aucun organe d’autodétermination des masses et de la classe ouvrière n’émerge. Cela rend plus difficile la tâche de renverser les régimes et d’ouvrir les conditions pour lutter pour des gouvernements ouvriers soutenus par nos organisations de classe. Le soulèvement en général est plutôt populaire et bien qu’il soit profond et répandu, il n’a pas encore fait de saut qualitatif en termes d’auto-organisation des travailleurs et de centralisation démocratique des secteurs en lutte. On peut le constater dans la lutte actuelle du peuple péruvien et dans les processus précédents.

Une autre caractéristique centrale des soulèvements est leur dynamique. Des rébellions et des révolutions sont générées dont les objectifs démocratiques sont d’une grande importance mais qui se combinent dès le départ avec les revendications sociales les plus profondément ressenties du mouvement de masse. La mobilisation affronte le régime et ses institutions antidémocratiques et avance des revendications économiques si profondes qu’elles ne peuvent être résolues dans le cadre de la décadence capitaliste actuelle. Toute avancée ou réforme progressiste est de plus en plus éphémère si elle ne confronte pas structurellement le système. Par conséquent, les rébellions auxquelles nous assistons sont objectivement anticapitalistes, bien qu’inconscientes en l’absence d’une direction révolutionnaire ayant un poids de masse pour aider à faire progresser la conscience de la classe ouvrière afin de les transformer en révolutions socialistes. Cette contradiction génère la polarisation, empêche les victoires éclatantes et, comme les problèmes fondamentaux ne sont pas résolus, des situations de crise récurrentes sont provoquées, qui nous offrent de nouvelles opportunités d’intervenir, de nous structurer et de construire des partis révolutionnaires. L’absence d’alternatives de gauche fortes est utilisée par les régimes contestés pour rester au pouvoir ou pour se recycler.

Polarisation et instabilité accrues

Le cycle haussier actuel de la région se distingue de celui de 2000 par : a) le contexte de crise économique qui rend impossible de contenir les leaderships réformistes, avec une plus grande instabilité sociale ; b) une plus grande polarisation sociale et politique qui dynamise les centres ; des secteurs des masses commencent à chercher des réponses en dehors des partis traditionnels et des institutions du régime, avec lesquels les options d’extrême droite se développent et en même temps un plus grand espace s’ouvre pour la gauche révolutionnaire ; c) une expérience a été faite avec le « progressisme » au gouvernement, qui affaiblit ces leaderships et génère un plus grand manque de contrôle face aux processus des masses.

L’absence de leaderships socialistes et révolutionnaires forts, ainsi que la non-émergence d’organisations démocratiques dans les rébellions, sont des faiblesses qualitatives et expliquent la distorsion électorale qui ramène les forces « progressistes » et de centre-gauche au gouvernement. Cependant, à la différence de 2000, après les soulèvements sociaux actuels, la plupart des nouveaux gouvernements arrivent affaiblis et sans le soutien des masses comme lors du cycle précédent. Les victoires électorales actuelles étaient en partie défensives. Au Chili, Boric, avec le Front large et le PC, a perdu au premier tour contre le proto-fasciste Kast, de sorte qu’une plus grande partie de la population a voté pour Boric au second tour afin de vaincre le danger de l’extrême droite. Au Brésil, la victoire de Lula a été étroite face à la possibilité concrète de la continuité de Bolsonaro. Au Mexique, AMLO a gagné grâce à la détérioration du PRI historique, mais sans constituer sa propre base pour mettre en œuvre ses plans. En Argentine, Fernández a triomphé face au désastre de Macri. Aucun d’entre eux ne génère des partis ou des mouvements comme le PT brésilien, le PSUV vénézuélien ou le MAS bolivien. Cet aspect ajoute moins de contrôle aux processus de la base.

Les nouveaux gouvernements émergent plus faibles et dans un contexte de montée du mouvement de masse face à la crise économique. Dans un contexte de polarisation, la droite pousse ses politiques avec le soutien de larges pans du mécontentement, y compris les classes moyennes et très pauvres, les marginaux et les pauvres. Et ils sont associés aux églises, aux grands médias, au secteur judiciaire, à l’appareil oligarchique et répressif, qui, en pleine crise, ne tolèrent pas les variantes réformistes tièdes au pouvoir. Un exemple est le Brésil après la défaite de Bolsonaro, dont les partisans, soutenus par des secteurs de l’appareil répressif, ont utilisé des méthodes d’action directe, similaires au cas de Trump, en cherchant le soutien de l’armée pour organiser un coup d’État. Au Chili, des groupes de fachos s’organisent, encouragés par la crise migratoire et la remise en ordre après le rejet de la nouvelle constitution. En Argentine, la tentative d’assassinat de Cristina Fernández et la montée des facho-libertaires. Au Salvador, le président Nayib Bukele applique des mesures répressives, des violations des droits de l’homme et des attaques contre les droits des femmes et des LGBTI, avec un cabinet et des forces de sécurité accusés de corruption et d’autres crimes dont l’enquête est arrêtée ou détournée par un système judiciaire compréhensif. Ces phénomènes ne sont pas généralisés, mais ils prennent de l’ampleur. Et parce qu’il y a polarisation, ils trouvent des réponses fortes dans les actions ouvrières et populaires, le mouvement féministe et dissident contre le conservatisme, le mouvement environnemental contre le négationnisme, et la jeunesse anti-répressive contre l’autoritarisme.

Le phénomène mondial de l’extrême droite s’exprime également en Amérique latine. Face à l’échec des gouvernements des forces bourgeoises traditionnelles, la nouvelle droite s’appuie sur le mécontentement des secteurs politiquement arriérés. En même temps, la droite classique utilise la démocratie bourgeoise pour gagner de l’espace, le coup d’état parlementaire aujourd’hui au Pérou, avant les actions en Bolivie, la persécution judiciaire au Brésil et les accusations médiatico-judiciaires contre Cristina. Nous dénonçons ces actions, sans défendre Evo, Castillo, Lula ou CFK, que nous critiquons depuis la gauche.

Bien que dans les conditions actuelles, l’impérialisme et la bourgeoisie ne prévoient pas d’essayer de vaincre le mouvement de masse par des dictatures comme dans les années 1970, nous devons nous préparer à un durcissement de la répression et de l’autoritarisme des gouvernements, même ceux de centre-gauche, et à des confrontations avec des groupes néo-fascistes. Au Nicaragua, au Venezuela ou à Cuba, en raison des caractéristiques de leurs gouvernements et régimes, ils maintiendront un contrôle social de type dictatorial.

En raison de la faiblesse et de l’instabilité des régimes et des institutions bourgeoises, les classes dirigeantes parient sur la « normalisation » de la situation en utilisant la carotte de la démocratie et le bâton lorsqu’elles n’ont pas d’autre option. Et dans un scénario de crise intégrale, l’instabilité récurrente caractérisera l’étape pré-révolutionnaire du continent, où le conflit révolution/contre-révolution sera de plus en plus direct et ouvert. Même avec d’amples possibilités dans la lutte de classe et au niveau politique, dans ce dernier aspect, il y a toujours un retard et aucune expression forte de gauche n’a émergé pour correspondre à la réponse dans les rues. C’est l’enjeu de la période à venir.

4. Les nouveaux progressismes : des limites, des débats, des perspectives

Après les échecs du progressisme du premier tour, la droite cherche à reprendre l’initiative aux côtés de l’impérialisme yankee à travers le Groupe de Lima. Les gouvernements Piñera au Chili et Duque en Colombie voulaient faire un pas de plus dans la région avec le Forum pour le progrès de l’Amérique du Sud (Prosur) en 2019, mais cela a échoué à cause des rébellions qui ont frappé les deux pays, bastions de la stabilité néolibérale et paillassons des États-Unis. Le balancier électoral est ainsi revenu au centre-gauche, au milieu d’un conflit inter-impérialiste qui tend l’Amérique latine entre l’avancée de la Chine et la ré impulsion yankee.

Un nouveau cycle progressiste ?

En 2022, des élections importantes ont eu lieu. Petro a gagné en tant que premier président de gauche de la Colombie. Lors d’un second tour serré, Lula est revenu au pouvoir avec le PT au Brésil. Un an plus tôt, lors d’une élection polarisée, Castillo a battu la fille du dictateur Fujimori. Xiomara Castro a gagné au Honduras comme une expression déformée de l’explosion sociale. Boric a gagné au Chili lors d’un second tour contre le candidat d’extrême-droite. Avant cela, Luis Arce est arrivé au pouvoir en Bolivie en 2020, Alberto Fernández en 2019 en Argentine et AMLO en 2018 au Mexique. L’élément central a été les explosions sociales et la polarisation politique, avec plusieurs élections dans lesquelles le progressisme et la droite se sont affrontés.

En général, de larges pans ont cherché à voter pour la gauche, qui s’est exprimée de manière déformée dans des variantes progressistes en raison de l’absence d’options de gauche fortes. Les variantes défaites de la droite ont encore obtenu le soutien de larges secteurs. Face à cela, les porte-parole du progressisme/possibilisme affirment que « l’équilibre des forces ne permet pas » des changements progressifs en raison du poids de la droite et du fascisme. Avec cette excuse, et dans le cadre global de la crise économique et du conflit inter-impérialiste, ils font passer à droite les programmes de leurs nouveaux gouvernements. À cela s’ajoute le fait qu’en raison de la polarisation et de l’absence d’une alternative révolutionnaire, nombre d’entre eux sont arrivés au gouvernement à la suite d’un vote défensif contre les variantes de l’ultra-droite. En d’autres termes, ces gouvernements sont plus fragiles et instables que ceux de la première vague « progressiste ».

García Linera, ancien vice-président d’Evo, a déclaré à un média chilien que « ce n’est pas une coïncidence si le retour du progressisme au gouvernement dans des pays comme la Bolivie et l’Argentine a eu à sa tête des candidats modérés et que c’est ce qui lui a permis de gagner les élections (…) le signe des temps n’est pas celui des grandes réformes, mais plutôt l’administration et la réorientation de celles qui ont commencé lors de la première vague (…) le signe des temps n’est pas celui des grandes réformes, mais plutôt de l’administration et de la réorientation de celles initiées dans la première vague »1, une définition qu’il avait déjà proposée à propos de la direction précédente lorsqu’il avait dit que « la première vague du progressisme latino-américain a commencé à perdre de sa force au milieu de la deuxième décennie du XXIe siècle, en grande partie en raison du respect des réformes de première génération mises en œuvre »2 ; en d’autres termes, en raison de la réalisation des objectifs supposés et maintenant les nouveaux gouvernements doivent les gérer, bien qu’il prédise également que la nouvelle vague progressiste a « des adversaires politiques qui penchent de plus en plus vers l’extrême droite. La droite politique a surmonté la défaite morale et politique de la première vague progressiste et, apprenant de ses erreurs, elle occupe les rues, les réseaux et brandit les bannières du changement. Ils ont acquis une force sociale grâce à des implosions discursives régulées qui les ont amenés à se lover dans des discours anti-indigènes, anti-féministes, anti-égalitaires et anti-étatiques »3.

C’est-à-dire que le constat fait par l’un des principaux théoriciens de ce secteur est qu’après les premiers triomphes progressistes, les majorités sociales leur ont tourné le dos à cause… des réformes progressistes qu’ils ont appliquées (!). Ainsi, d’un seul coup, il efface la responsabilité politique de la détérioration sociale causée par ces mêmes gouvernements, ce qui a donné de l’espace à la droite. Et il se propose d’être plus modéré qu’avant, car la modération est un symbole positif pour l’administration de l’État bourgeois (!).

Dans le même ordre d’idées, Atilio Borón, dirigeant stalinien argentin, avant le second tour de l’élection présidentielle au Chili, a déclaré : « Le candidat nazi-fasciste José A. Kast, car c’est ce qu’il est, s’il triomphait, serait à la tête d’un gouvernement bien plus néfaste que celui d’Augusto Pinochet. Il conserverait les formalités et les apparences ; il mettrait en place un simulacre sophistiqué de pseudo-démocratie qui serait exalté par la presse dévoyée, les pouvoirs en place et l’empire, mais il appliquerait une politique sauvage de répression, de persécution et d’emprisonnement contre toute expression de mécontentement ou d’opposition »4. Une nouvelle exagération pour étouffer le débat sur le « moindre mal » et l’adaptation du progressisme au capital.

Tous ces prétextes sont en corrélation directe avec les programmes des nouveaux gouvernements progressistes qui, à leur tour, ne sont pas un phénomène politique unique, mais présentent divers styles discursifs qui vont du développement de l’État-providence à la mise en avant des droits sociaux dans le cadre du marché libre. Bien qu’ils parlent de moins en moins de post-néolibéralisme et qu’ils aient abandonné toute référence au « socialisme du XXIe siècle », assumant les prémisses de la modération et que face « aux pouvoirs en place et à l’empire, qui appliqueraient une politique sauvage de répression », il faut des fronts avec les secteurs néolibéraux classiques, des fronts larges avec la droite comme celui de Lula et de son vice-président Alckmin.

Du progressisme à l’administration du capitalisme néolibéral. Quelques débats

Avant de remporter les élections, Petro a proposé de créer une « grande coalition » pour favoriser une transition « de l’extractivisme à la production, de l’autoritarisme à la démocratie, de la violence à la paix ». En gagnant, il l’a proposé au « progressisme latino-américain ». Lula a été catégorique : « Petro a le droit de faire toutes les propositions qu’il estime devoir faire. Mais dans le cas du Brésil, c’est irréel. Dans le cas du monde, c’est irréaliste. Nous avons encore besoin de pétrole pendant un certain temps »5. Il a ainsi exclu toute perspective qui ne permettrait pas à l’État bourgeois d’appliquer un plan extractiviste dans la continuité de ce qu’il a fait.

Comme bien l’ont écrit les camarades de la LIS depuis la Colombie, « le gouvernement ‘progressiste’ du Pacte historique, un gouvernement de collaboration de classe d’un large secteur de la gauche réformiste avec les plus pourris de l’establishment bourgeois ». Pendant ce temps, Lula se prépare à gouverner sur un mode conciliant et vers un nouveau plan d’ajustement. Les principaux éditoriaux bourgeois s’étaient interrogés à son sujet : « Quel Lula va gouverner : le social-démocrate de la première moitié de son premier mandat, celui qui a défendu un ajustement fiscal à long terme capable de réduire la dette publique, d’augmenter l’excédent primaire, de promouvoir des réformes pour améliorer l’environnement des affaires, d’améliorer les instruments de crédit et de réduire les restrictions à la concurrence dans le secteur privé ? Ou le national-développementiste qui est arrivé plus tard ? » (O Globo). Pendant ce temps, sur l’agenda démocratique, Lula, avant les élections, avait déjà déclaré que le droit à l’avortement ne ferait pas partie de son mandat. Ainsi, après une victoire étriquée, il entame un nouveau mandat au cours duquel il risque de se heurter à sa propre base électorale, même si, dans le même temps, le pays connaît une forte polarisation avec un bolsonarisme qui continue d’agir même avec des affrontements dans la rue, comme nous l’avons vu lors de la prise du Congrès, du Tribunal et du Palais du gouvernement. Parallèlement à cette polarisation, ce qui s’annonce comme un projet de gouvernement est également illustré par le nouveau cabinet de Lula, avec des représentants de différents partis, y compris de la droite reconnue. Il a lui-même déclaré que « beaucoup de gens ne vont pas aimer ce cabinet » et a tenté de dissimuler ce contenu bourgeois en y incluant des représentants sociaux.

En plus de ces deux exemples, il y a le cas de l’Argentine, où le Front de Tous (une coalition dirigée par le péronisme) gouverne lié aux pactes avec le FMI avec l’application d’ajustement et de restrictions sociales. Ainsi, les principaux pays d’Amérique du Sud s’alignent selon la matrice imposée par les organisations du capitalisme mondial. En Argentine, en raison de l’échec du gouvernement péroniste, il est fort probable qu’en 2023, un front d’opposition de droite gagne à nouveau et gouverne.

Dans ce contexte, les débats politiques sur la sortie de crise sont réactivés dans la région. L’un d’eux est la nature des assemblées constituantes dans les pays dotés de chartes héritées de dictatures, que les rébellions mettent en question. Les cas chilien et péruvien illustrent ce débat.

Lors de la crise révolutionnaire de 2019 au Chili, le régime a fait un pacte pour sauver Piñera de la chute à cause du soulèvement et pour réguler le changement constitutionnel. C’est ainsi qu’a été négocié l’« Accord pour la paix et la nouvelle constitution ». Une fois la coalition Front large et Boric arrivés au gouvernement, ils se sont rapidement tournés vers l’administration de l’institutionnalité héritée de la dictature, ont maintenu l’emprisonnement politique de la rébellion, ont corroboré l’impunité des répresseurs et ont supprimé les aides sociales mises en place par la crise. Cela a été un élément déclencheur du rejet de la nouvelle constitution proposée, en guise de punition pour le gouvernement. Au niveau mondial, cela a suscité des débats et le centrisme du Secrétariat unifié et de la revue Jacobin Amérique latine, qui avaient auparavant agité la Constituante comme celle qui ouvre « une étape dans laquelle la lutte politique aura pour sol une Constitution en partie créée, défendue et approuvée par les peuples »6, en abandonnant la perspective révolutionnaire, ils ont parié sur le développement de « ce qui est possible » dans le cadre de l’institutionnalité actuelle et se sont tournés consciemment vers le soutien au dialogue parlementaire et la désarticulation de la protestation sociale. Mais même cette perspective réformiste tiède se heurte aux besoins du capital de rétablir la légitimité institutionnelle. L’abandon de la mobilisation, de l’auto-organisation et de la construction de partis révolutionnaires par ces secteurs complète la feuille de route fonctionnelle au régime et à un nouveau cadre légal de ré-impulsion capitaliste. Cette politique erronée entraîne non seulement des revers, mais laisse également la place à une recomposition du régime.

Au Pérou, la mobilisation qui a mis en échec le nouveau gouvernement Boluarte, imposé par le Congrès issu du coup d’État, bat son plein. Le régime a mis en place une répression sévère, mais il n’a pas été en mesure d’étouffer l’insurrection et a proposé d’avancer les élections générales. Avec cette proposition, il tente de retarder la chute du modèle institutionnel réactionnaire de Fujimori et de détourner le mécontentement vers les voies électorales. Ils tentent ainsi de légaliser le coup d’État parlementaire et d’empêcher toute avancée vers une Assemblée constituante, promesse non tenue par Castillo, qui démantèlerait le régime fujimoriste. Une Assemblée Constituante qui s’est avérée possible seulement si la mobilisation défait dans la rue l’ancien régime qui s’exprime dans le Congrès, les forces répressives et toutes les institutions héritées du fujimorisme, ce qui pourrait ouvrir en même temps la perspective d’un gouvernement des secteurs en lutte.

Ces débats sont majeurs, car face aux crises politiques, une partie de la bourgeoisie mise sur des solutions démocratiques encadrées. Mais sa capacité à contenir et à accorder des mesures démocratiques est de plus en plus instable en raison de la crise du système capitaliste. Dans ce sens, la gauche réformiste et centriste encourage des fronts démocratiques ou larges pour affronter les forces de droite qui émergent précisément en raison de l’échec des gouvernements « progressistes ». Dans ces cas, nous promouvons la proposition d’une Assemblée Constituante libre et souveraine pour réorganiser le pays sur de nouvelles bases, mais en sachant qu’elle ne peut être imposée qu’avec une grande mobilisation ouvrière et populaire pour démanteler l’ancien régime. Cette proposition s’inscrit dans notre stratégie d’un gouvernement des travailleurs et du peuple.

Dans ces débats, il ne faut pas confondre les processus de rébellion et de révolution avec leurs directions afin de ne pas s’adresser a des secteurs de masse. Il faut par contre intervenir avec indépendance politique et un programme anticapitaliste et socialiste. Les courants sectaires ont montré leur plafond, comme le PTS argentin qui, pour expliquer le nouveau cycle de luttes, a dû publier un article intitulé Le retour de la lutte des classes7. Ainsi ils ont essayé de se justifier et se réarmer après leur caractérisation initiale d’un virage à droite, point sur lequel ils coïncidaient avec le possibilisme. Cette analyse et cette caractérisation erronées à l’époque les ont désarmés et aujourd’hui ils continuent à ne pas intervenir dans des phénomènes politiques ouverts comme le PSOL au Brésil (en plein débat sur la capitulation de sa direction majoritaire face aux pressions du régime et du gouvernement Lula, alors qu’à la base il y a encore un combat à mener). Ou dans le cas de l’Argentine, cela les conduit à ne pas accepter que le Front de Gauche Unité soit quelque chose de bien supérieur à un front électoral, comme le proposent les camarades du MST et de la LIS dans ce pays.

5. L’orientation politique pour nous construire, notre programme

Au milieu de cette situation dynamique, il est clef de déterminer comment nous positionner politiquement et programmatiquement afin d’intervenir à fond dans les processus les plus dynamiques de la région. La politique et le programme à développer et l’orientation pour nous incorporer dans les processus dynamiques de la lutte des classes et les nouveaux phénomènes politiques sont décisifs pour aller de l’avant.

La politique et le programme

Toute notre politique et notre programme doivent s’articuler autour de l’apparition en tant que des organisations et qu’une internationale anticapitalistes et socialistes qui visent à faire avancer la lutte de classe contre le système dans son ensemble et à construire des partis révolutionnaires et internationalistes dont l’objectif stratégique est le pouvoir des travailleurs et la révolution socialiste.

Au service de cette stratégie, nous encourageons les luttes et leur coordination pour étendre et développer la mobilisation. Dans chacune des rébellions auxquelles nous assistons, nous encourageons le développement d’organes démocratiques et centralisés de notre classe et des secteurs qui se mobilisent pour dépasser les directions bureaucratiques, pour donner un programme de classe au mouvement et pour donner une continuité à la lutte jusqu’à ce que les plans d’ajustement, les gouvernements et les régimes capitalistes soient vaincus. Notre méthode de lutte préférée est la grève générale. En même temps, face à la répression, nous promouvons l’autodéfense. Et nous exprimons notre politique de gouvernement des travailleurs et du peuple en considérant les secteurs en lutte et leurs organisations, en cherchant à la rendre aussi concrète que possible. Tout cela est essentiel face aux bonds de la lutte des classes, comme actuellement au Pérou. Nous y proposons qu’il est « décisif de se coordonner jusqu’à former un Grand Coordination Nationale des organisations en lutte pour vaincre le gouvernement de droite, fermer le Congrès et imposer une Assemblée Constituante Libre et Souveraine qui nous permettra de nous débarrasser du régime désastreux du ’93 hérité du gouvernement dictatorial d’Alberto Fujimori et d’avancer ainsi vers un gouvernement des travailleurs et du peuple qui commence à emprunter le chemin des vraies solutions pour notre peuple, un gouvernement anticapitaliste et socialiste ».

Nous avons cette position de base, parce qu’il n’est pas possible d’intervenir dans une situation aussi critique et dans des processus de montée et de polarisation sociale et politique si nous ne soulevons pas des propositions qui donnent des réponses socialistes révolutionnaires aux situations posées, contre toutes les variantes du réformisme/possibilisme (avec son double rôle négatif, d’être un obstacle conscient pour empêcher l’avancée de la gauche révolutionnaire et en même temps responsable d’ouvrir un espace pour la droite à cause de son échec quand il gouverne).

Nous devons faire savoir que la gauche anticapitaliste et socialiste est le seul secteur politique qui propose une voie de lutte contre toutes les pouvoirs capitalistes, en commençant par dénoncer l’ingérence des entreprises impérialistes américaines, européennes et chinoises dans nos biens communs. Nous rejetons toute forme d’extractivisme et de pillage, nous voulons que toutes les corporations multinationales s’en aillent. Nous dénonçons les nouvelles tentatives d’ingérence des États-Unis et les plans du FMI dans la région, et nous nous opposons également à l’ingérence croissante de la Chine via des investissements et des prêts (qui est en concurrence avec les États-Unis pour ses propres intérêts géopolitiques et de pillage). Et nous participons activement à des actions socio-environnementales sur tout le continent. En Amazonie, contre les entreprises et les sociétés qui polluent et sont responsables de la déforestation afin qu’elles assument la réparation socio-environnementale des zones et des communautés affectées. En Argentine, contre la cession et la destruction de la mer argentine et contre toutes les entreprises extractives dans les provinces montagneuses et autres. Dans les luttes contre les compagnies minières au Pérou, dans la dénonciation du gouvernement vénézuélien pour la cession des richesses de l’Orénoque, et il y a des exemples dans d’autres pays. Les luttes socio-environnementales sont un grand axe d’activité, de contestation et de possibilités de nous construire.

Contre toute ingérence impérialiste, nous proposons un modèle économique et productif dont les politiques énergétiques et minières soient développées sans corporations et dirigées par l’État, sous la gestion de ses travailleurs, professionnels et techniciens, et en consultation et accord avec les communautés affectées, afin de décider démocratiquement du modèle productif à appliquer et du type d’exploitation à ne pas réaliser si elle affecte négativement la vie humaine et l’environnement. Et sur cette base, nous nous efforçons de mettre fin à un modèle latino-américain de simple exportation de matières premières ; nous impulsons un modèle d’industrialisation au service des besoins sociaux et des échanges solidaires de nos richesses entre les pays du continent.

Nous luttons pour vaincre les régimes capitalistes antidémocratiques dirigés par les partis du système, au service des profits d’une minorité de capitalistes et des privilèges de la caste politique, judiciaire et cléricale et des autres sphères du pouvoir. Nous appelons les peuples à lutter sans relâche pour obtenir la convocation d’Assemblées Constituantes libres et souveraines où tout soit débattu et où nous proposons des changements économiques et politiques structurels, dans la perspective du gouvernement des travailleurs et du socialisme.

Contre toute tentative de coup d’État, nous appelons à l’affronter par la mobilisation sociale, nous exigeons le jugement et la sanction des responsables matériels et politiques. Face aux avancées autoritaires et répressives des gouvernements capitalistes, nous défendons les droits, garanties et libertés démocratiques. Pour la liberté des prisonniers politiques et la clôture des procédures judiciaires contre les militant.e.s populaires. Pour le démantèlement de la police et de tout l’appareil répressif. Pour la fin de tous les traités militaires avec l’impérialisme et le retrait de ses bases.

Pour la rupture de tous les pactes avec le FMI, les accords de libre-échange avec les États-Unis et les accords de la route de la soie le long de la côte Pacifique, qui ont également un caractère de capitulation et de pillage. Contre les plans politiques d’ingérence et les résolutions pro-USA de l’OEA et contre les plans économiques du Mercosur, qui représentent les intérêts de la grande bourgeoisie du Brésil et de l’Argentine. Nous remettons en question les plans du Groupe de Puebla, qui parlent de besoins sociaux, mais les gouvernements, partis et anciens présidents qui y sont regroupés ont appliqué ou appliquent des plans capitalistes d’austérité et de capitulation.

Nous sommes pour une unité latino-américaine totalement différente, qui reprend le rêve et la campagne révolutionnaire et indépendantiste de Bolivar, San Martin, Sucre et d’autres libérateurs, mais qui, en cette époque de domination capitaliste-impérialiste, les dépasse politiquement et programmatiquement dans un sens anticapitaliste et socialiste. Pour une Amérique latine sans aucune ingérence impérialiste ni corporations capitalistes qui nous pillent et nous contaminent. Pour le contrôle étatique de tous les systèmes financiers et de commerce extérieur. Pour le soutien des luttes de nos peuples frères et l’échange solidaire des richesses naturelles et des technologies. Pour une Fédération socialiste d’Amérique latine, gouvernée par ses travailleurs.euses.

Bien sûr, nous intervenons au quotidien dans les luttes ouvrières, populaires, de genre, de jeunesse et paysannes. Pour des salaires décents dans le secteur privé et public, actualisés selon l’inflation. Contre toutes les réformes du travail et la précarité, que la bourgeoisie et l’impérialisme entendent approfondir. Pour la défense des allocations sociales et de l’investissement public réel dans de véritables programmes d’emploi basés sur de lourds impôts permanents sur les grandes entreprises, les banques et les fortunes. Contre la bureaucratie syndicale, pour une nouvelle direction syndicale démocratique et de lutte.

Pour le droit à la terre pour travailler et vivre dans la dignité. Contre les propriétés foncières et pour de profondes réformes agraires, comme étape pour en finir avec le modèle agro-industriel et passer à un modèle de production alimentaire diversifiée en accord avec les besoins populaires.

Pour l’égalité des droits des femmes et les dissidences sexe-génériques dans toutes les sphères de la vie. Nous sommes les protagonistes de ces luttes et soutenons leurs revendications. Nous défendons également les communautés indigènes qui luttent pour le droit à leurs territoires ancestraux et pour une inclusion effective avec tous les droits garantis par les États. Et nous répudions toute tentative de répression contre ces peuples.

L’orientation politique pour combattre et nous construire

Sur cette base programmatique stratégique, et sur d’autres points spécifiques qui dépassent le cadre de ce texte, nous promouvons dans chaque pays la construction de partis révolutionnaires et d’alternatives politiques de gauche, afin d’essayer d’apparaître le plus fortement possible face à toutes les variantes de la droite et du possibilisme réformiste.

Il s’agit d’une tâche et d’une position politique très importantes, car dans un continent en pleine tourmente, avec de forts éléments de polarisation politique et sociale et des phénomènes politiques de droite, une tâche essentielle consiste à renforcer les pôles politiques de gauche. Et qu’ils puissent tenter des expériences différentes et qualitativement supérieures à celles du réformisme qui, lorsqu’il gouverne, gère le pouvoir capitaliste, applique l’ajustement et donc échoue et ouvre de l’espace aux phénomènes de droite. A titre d’exemples récents, le gouvernement Boric s’est rapidement tourné vers la droite, s’est concilié avec le régime chilien et a même réprimé des luttes. Dans le cas de Lula, au-delà de quelques mesures sociales initiales, il suivra sûrement un parcours similaire, comme l’a fait le PT chaque fois qu’il était au gouvernement. En Colombie, le nouveau gouvernement Petro s’oriente également vers un consensus avec la politique traditionnelle et conservatrice.

C’est pourquoi il est fondamental de faire tout ce qui est possible pour réaliser des alternatives de la gauche anticapitaliste et socialiste, de réaliser là où il y a des conditions objectives et subjectives, de construire et de faire partie de fronts ou de regroupements de la gauche qui affrontent tous les représentants politiques du système. La forte montée de la lutte des classes dans la région ne suffit pas à renverser la situation si elle ne finit pas par s’exprimer par des changements politiques et révolutionnaires à gauche. Et pour cela, les partis et les groupes qui composons la LIS, nous devons avoir des politiques et des tactiques pour promouvoir et intégrer des outils politiques qui, depuis la gauche, peuvent jouer un rôle positif dans certains pays.

Il n’y a pas de recettes éternelles pour cette politique. Nous devons considérer la réalité de chaque pays pour voir les possibilités concrètes. Au Brésil, par exemple, nous faisons partie depuis de nombreuses années du PSOL, qui a joué un rôle positif depuis sa fondation en tant que parti large de gauche. Dans la dernière étape, l’avancée de ses courants plus réformistes a fait qu’ils ont fini par capituler devant le PT, en refusant de présenter une candidature présidentielle propre au premier tour des élections et en menant une campagne qui imitait le discours luliste et sans critique, ce qui a fait que le PSOL a perdu une grande opportunité. Ceci est aggravé par le récent vote de sa direction pour soutenir le gouvernement de l’extérieur et avec une partie qui voulait directement entrer au gouvernement, ce qui aurait rendu ce cours régressif encore pire. C’est pourquoi, dans la dernière période, nous agissons comme une aile gauche très critique, désormais renforcées par la fusion prochaine de nos deux organisations au Brésil, Alternativa Socialista et Lucha Socialista. Comme il n’y a pas d’autres phénomènes de gauche en dehors et qu’il y a un fort débat à la base du PSOL dans lequel nous sommes profondément impliqué.e.s, nous continuons à nous battre politiquement au sein de ce parti avec nos positions en toute indépendance et nous verrons à l’avenir si la nécessité et la possibilité de construire un autre outil se présentent. Mais jusqu’à présent, nous en faisons toujours partie parce qu’il y a un secteur dynamique de sa base militante et de ses sympathisants à gagner et nous avançons précisément parce que nous menons cette lutte politique interne, tout en intervenant et en luttant dans des secteurs de la classe ouvrière et avec une bonne position dans ConLutas, un espace d’articulation de classe.

Un autre exemple est celui de l’Argentine, où il y a plus de trois ans nous avons formé le Front de Gauche Unité avec trois autres forces qui se réclament du trotskysme, qui est la principale alternative de gauche dans le pays. Le FIT-U joue un rôle positif en tant qu’expression politique unitaire de la gauche anticapitaliste et socialiste, en étant la seule alternative électorale aux partis du régime. En même temps, il présente de nombreuses limites et faiblesses dues à la vision sectaire et électoraliste des autres forces membres, qui refusent de donner au front un caractère plus de fond, de devenir en mouvement politique ou en parti commun de courants internes organisés démocratiquement, d’unité dans la lutte de classe et pas seulement électorale, et d’ouverture à la gauche sociale et intellectuelle. Nous sommes une partie active du front, tout en combattant pour sa direction dans une lutte sur la stratégie à suivre. Il est possible que le FIT-U puisse avancer beaucoup, donc pendant que nous menons cette lutte politique en son sein, nous donnons la priorité à la construction du MST comme parti révolutionnaire, ce qui est indispensable pour gagner de plus en plus chez la gauche en général et au sein du FIT-U en particulier. Bien entendu, nous menons cette politique en même temps que nous intervenons dans la lutte de classe, avec un poids important dans le secteur santé et en faisant partie de la direction de la PSC (Plénière du Syndicalisme Combatif) et de l’Unidad Piquetera, un espace d’unité des organisations de chômeurs.

Dans d’autres pays comme la Colombie et le Chili, où il y a eu de fortes rébellions, des processus politiques et de lutte des classes ces dernières années, nous construisons nos organisations. Dans le cas de la Colombie, nous allons unifier Impulso Socialista et le Grupo de Trabajadores Socialistas, dans le cadre de la LIS, qui nous renforcera et à partir duquel nous agissons avec une politique sur la base ouvrière et populaire qui a voté Petro, en présentant nos propositions et attentifs au climat politique pour voir si à moyen terme des ruptures progressives émergent avec lesquelles penser à de nouveaux groupements ou fronts politiques de gauche indépendants du gouvernement et du régime.

Au Chili, depuis le Mouvement anticapitaliste, nous essayons d’avancer dans notre construction à ce stade en donnant la priorité à la jeunesse. Depuis la rébellion de 2018, nous avons proposé des politiques et des tactiques envers d’autres secteurs. Nous l’avons fait face au phénomène des candidatures indépendantes, qui ont ensuite fait défection, et nous avions des tactiques et des propositions envers une autre force de gauche, le PTR, lié au PTS argentin. Aujourd’hui, nous donnons la priorité à notre renforcement en tant que groupe et nous restons attentifs aux nouveaux phénomènes qui apparaissent, soulevant la nécessité d’unir les anticapitalistes.

De la même manière, depuis la LIS nous devons suivre d’autres processus dans la région et aider l’intervention de nos groupes. Au Pérou, en pleine rébellion qui dure depuis des semaines et tend à s’approfondir contre un gouvernement putschiste qui ne parvient pas à s’imposer et qui a déclenché une répression brutale. Les incohérences de Castillo, son virage à droite du gouvernement et son refus de procéder à des changements radicaux l’ont affaibli, ce qui a entraîné une offensive des secteurs les plus réactionnaires, mais aussi un processus révolutionnaire qui, à l’heure où nous écrivons ce document, continue de croître. Dans ce processus, nous intervenons et accompagnons nos camarades, dont le défi est de répondre avec une politique correcte et d’essayer d’avancer dans la construction d’un noyau révolutionnaire solide et dynamique.

Dans d’autres pays où nous intervenons, la réalité est très différente, il n’y a pas de forte montée ni de rébellions, mais d’une résistance contre des régimes très durs et non démocratiques comme au Venezuela et au Nicaragua. Dans les deux cas, les camarades de LIS essaient de construire dans une situation objective difficile. Au Venezuela, à partir de Marea Socialista, nous essayons de rassembler avec nous des militant.e.s et des dirigeant.e.s ouvriers à Caracas et dans d’autres États, alors qu’en même temps nous avons une politique envers d’autres secteurs de la gauche indépendante du gouvernement Maduro, avec lesquels nous promouvons certaines actions pour des revendications sociales et démocratiques. Il en va de même pour le mouvement des femmes, qui est faible dans ce pays, mais qui génère de temps à autre des initiatives dans lesquelles nous intervenons. Au Nicaragua, nous agissons notamment à partir de l’avant-garde jeune qui est noyautée en exil et nous avons l’enjeu et l’opportunité de nous renforcer parmi les exilé.e.s au Costa Rica, sur la base de la campagne internationaliste réussie que nous avons menée pour la liberté des prisonniers politiques et qui a fait de nous une référence dedans et dehors le Nicaragua.

Au Costa Rica, les camarades du PRT rejoignent également la LIS, qui apporteront leur expérience et exprimeront un nouveau saut politique dans cette région, ce qui nous place devant le défi de concevoir une politique et une orientation pour l’ensemble de l’Amérique centrale. La construction de notre groupe au Nicaragua et les avancées au Costa Rica sont un nouvel exemple et un enseignement de l’importance des campagnes politiques internationalistes, d’une part pour répondre à la réalité et à la lutte de classe, et en même temps pour avancer dans notre extension, notre renforcement et notre construction. Maintenir et approfondir les initiatives et les campagnes politiques de la LIS est une tâche politique privilégiée que tous les groupes et partis du continent doivent reprendre à fond chaque fois qu’une campagne internationaliste est lancée.

A côté de ces exemples, nous avons des camarades et des opportunités dans d’autres pays du continent. Au Paraguay, après les fortes mobilisations de 2021, notre groupe Alternativa Socialista tente de renforcer sa construction et a lancé un appel public pour un front radical, un troisième espace anticapitaliste et socialiste, face au virage à droite du Frente Guazú. Au Mexique, nous avons l’enjeu d’explorer un rapprochement avec des camarades de valeur. En Uruguay, nous avons un petit travail syndical mais nous avons du mal à avancer sur le plan politique.

En résumé, et au-delà des inégalités de la situation objective et de notre propre développement dans chaque pays, nous allons vers un 2023 où de nouveaux processus de lutte, de nouvelles rébellions et une plus grande polarisation politique et sociale sont en route. Dans cette situation passionnante, nous devons intervenir à fond dans les processus réels, en nous éloignant de toute orientation propagandiste. Et continuer à faire des expériences politiques de nos propres constructions révolutionnaires et des tactiques de front où nous pouvons et où nous serons renforcés pour intervenir dans la prochaine période, en répondant aux principaux processus de la lutte de classe et en nous battant pour la direction des secteurs. Contribuer depuis notre continent au renforcement général de la LIS est une tâche stratégique à laquelle nous devons donner la priorité, en privilégiant également la formation et la politisation de nos cadres et militant.e.s.

Ce document a été approuvé avec les ajouts suivants, soulevés lors du débat :

  • L’importance de voir les inégalités dans la montée continentale, qui présente des processus plus importants et plus critiques en Amérique du Sud auxquels nous devons répondre, et une situation différente en Amérique centrale, bien qu’il y existe également de nouvelles possibilités politiques à suivre et à profiter avec de nouvelles initiatives.
  • La dénonciation des accords d’AMLO avec Biden et la politique impérialiste d’utilisation de main-d’œuvre bon marché et immigrée avec la délocalisation d’entreprises sur le territoire mexicain est également incorporée.
  • L’importance de participer aux processus de mobilisation des mouvements indigènes, paysans et noirs dans les pays où ils ont lieu a été ratifiée, soutenant dans tous les cas les revendications de ces secteurs sociaux.
  • En même temps, il a été précisé que notre stratégie privilégiée est d’intervenir, lutter pour gagner la direction, nous construire et nous structurer socialement et politiquement dans la classe ouvrière et dans la jeunesse.
  • La nécessité de déployer des politiques d’exigence et de dénonciation dans des pays comme le Brésil, le Chili, la Colombie ou le Mexique, où les forces du soi-disant progressisme ont pris le pouvoir, a été soulignée, comme un moyen d’aider des pans de leurs bases sociales à faire l’expérience avec ces gouvernements.
  • La nécessité de poursuivre les tâches de soutien et de solidarité avec la lutte du peuple péruvien a été précisée. De même pour les nouvelles actions menées par nos camarades nicaraguayens dans leur lutte contre la dictature Ortega-Murillo. Et la tâche d’inclure des actions pour soutenir la lutte du peuple d’Haïti a été incorporée, contre les interventions impérialistes là-bas et contre les politiques de pillage et d’attaques contre les droits sociaux de son peuple.
  • Il a été apprécié d’incorporer la contribution du texte sur la situation aux États-Unis, qui fait partie importante des débats sur la situation de l’ensemble du continent.